Blanquer et la chasse aux profs contestataires

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SOURCE : Révolution permanente

Attaque contre Sud Education 93, mutations disciplinaires au collège République de Bobigny, bras de fer autour de la grève du Bac en 2018, sanctions contre les enseignants de Melle mobilisés contre les E3C. Entre autres. L’arrivée de Jean-Michel Blanquer au ministère de l’Education coïncide avec une véritable offensive contre les enseignant.e.s qui s’engagent contre ses réformes. Un tour de vis répressif dans la gestion des personnels qui va de pair avec l’autoritarisme pédagogique qu’il cherche à imposer dans les programmes et dans les classes.

De mémoire de prof, les sanctions disciplinaires pour faits de mobilisation à l’encontre des enseignant.e.s militant.e.s et mobilisé.e.s sont rarissimes. Y compris la grande grève de 2003 contre la réforme des retraites, qui avait fait sortir massivement les enseignants des salles de classe pour rejoindre la rue, avait été sans conséquence, sur le plan disciplinaire, pour les enseignant.e.s. 
Corporation traditionnellement « de gauche » (avec toutes les nuances politiques qu’on peut y faire valoir), les enseignant.e.s ont rarement été inquiétés pour leurs engagements et leurs mobilisations, y compris sous des gouvernements de droite. Gênantes, les grèves et les mobilisations des profs étaient par ailleurs l’occasion, pour la classe dirigeante, de resservir, médiatiquement, tous les stéréotypes disqualifiant – la soi-disant fainéantise, etc…-. Mais le discrédit contre les profs s’était toujours limité au discours politique et médiatique tournant à la dérision et folklorisant les remous du monde enseignant.
Or, de manière très nette avec l’arrivée de Jean-Michel Blanquer au ministère de l’Education en 2017, mais déjà avec des prémisses sous la précédente mandature de François Hollande, on voit se multiplier les éléments de répression portant sur les mobilisations, les insubordinations ou tout simplement l’expression d’opinions contestataires dans le monde éducatif.

La mise à mal des espoirs de « révolution pédagogique » à l’école

Les prémices de cette répression portent plutôt sur des éléments « d’autonomisation pédagogique » en lien avec des pédagogies émancipatrices de type Freinet. A la fin des années 2000, et sous couvert du droit à l’expérimentation, plusieurs établissements, notamment dans l’Académie de Créteil, se lancent dans des projets d’établissements audacieux et innovants. Ils sont alors encouragés par le Recteur en place qui n’est autre que Jean-Michel Blanquer. Son idée : vider les salles des profs de ses éléments les plus remuants, en canalisant les énergies militantes dans des poches d’expérimentation pédagogique. Beaucoup d’enseignant.e.s sautent le pas et se prennent à rêver d’une autre école dans ces espaces pédagogiques restreints et strictement encadrés par l’institution. Les projets se multiplient : création du « microlycée » du Bourget en 2009, classes expérimentales à partir du fameux « article 34 » de la loi d’orientation de 2005, instauration de l’internat d’excellence de Sourdun et engagement de certaines équipes dans des projets d’établissements audacieux et alternatifs.

Mais l’arrivée de Jean-Michel Blanquer au ministère coïncide avec l’effet d’un recadrage des équipes qui se sont emparées de cette fenêtre de liberté et ne sont plus strictement dans les clous de l’institution. La nouvelle doctrine éducative promue par Blanquer est résolument hostile à la pédagogie Freinet : cadrage strict de la méthode d’apprentissage de la lecture avec la publication d’un guide aux enseignants, promotion d’un lycée d’élite, savoirs beaucoup plus descendant et part belle faite aux neurosciences qui subsument la question des inégalités scolaires pour offrir une vision très techniciste de l’enseignement.

En 2017, au lycée Suger de Saint-Denis, un prof est muté de force de son établissement ; reconnu et très investi pédagogiquement, l’enseignant avait « outrepassé ses fonctions en s’arrogeant des droits administratifs”. A Epinay-sur-Seine, ce sont les pressions exercées sur les équipes qui décident certains, qui forment une poche de résistance aux programmes et aux méthodes traditionnelles, à partir de leur plein gré. Dans le micro-lycée du Bourget comme à l’internat d’Excellence de Sourdun, les équipes enseignantes sont contraintes à se surinvestir en multipliant les réunions, les heures supplémentaires de soutien, en multipliant les projets avec les élèves avec ses conséquences : surcharge de travail, augmentation de la productivité, situations de burn-out.

Dans la continuité de la démarche pour régler leurs comptes aux « pédagogo » (franchement réformistes, dont une partie est liée au SGEN-CFDT, proche du hollandisme, l’autre à une branche de Sud-Education très portée sur la « révolution pédagogique »), viendra la réduction à peau de chagrin des établissements expérimentaux comme c’est le cas du collège Halimi à Aubervilliers où l’expérimentation d’un collège coopératif est brutalement stoppée en juin 2020. Il s’agit de tirer un trait sur les mandats précédents, où sous Hollande-Peillon-Vallaud-Belkacem, on avait tenté de coopter une des tendances du monde enseignant en utilisant ses rêves de « révolution pédagogique ».

La stigmatisation de Sud-Education 93 et la répression du collège République de Bobigny

Le ministère décide aussi de s’attaquer de front à Sud-Education, notamment dans le 93. La polémique lancée par Blanquer lui-même sur l’organisation d’un stage anti-raciste de Sud-Educ 93 en avril 2018 semble combler deux de ses objectifs : faire taire toute critique contre l’institution scolaire qui pointerait son rôle dans la reproduction des inégalités, qu’elles soient économiques, sociales ou raciales ; et délégitimer une organisation syndicale contestataire, qui multiplie les adhérents dans les établissements scolaires du département le plus pauvre de France et où les inégalités scolaires sont criantes.

Le tribunal administratif donnera raison à l’organisation syndicale Sud-Education. Mais l’offensive contre l’organisation syndicale ne s’arrête pas là. En 2019, quatre militants syndicaux combatifs au collège République de Bobigny font face à des sanctions disciplinaires très lourdes avec des mutations forcées. Du jamais vu ! Les faits reprochés sont minimes et remontent à plusieurs années : pis, ce sont des rapports d’incidents avec des élèves qui sont utilisés contre certains d’entre eux. Les dossiers sont vides, mais les sanctions très lourdes. Tous ces enseignants à la carrière exemplaire dans le 93 sont des militants syndicaux, notamment chez Sud-Education. Un message clair de la hiérarchie est envoyé. Il s’agit de détruire certains bastions de résistance enseignants contre les réformes éducatives et de stigmatiser l’appartenance à un syndicat : faire peur, faire taire, pour mieux régner…

« Sois prof et tais-toi » : censure pédagogique et disparition du droit d’alerte

Dès Hollande, mais accentué sous Macron, avec l’article 1 de la loi Blanquer de 2018, c’est la liberté pédagogique des enseignants qui est attaquée de front : d’abord, dès 2015, Jean-François Chazerans, enseignant de philosophie dans l’Académie de Poitiers est mis en cause par sa hiérarchie pour ses propos tenus en classe après l’attentat de Charlie Hebdo en lien avec la liberté d’expression. Le tribunal administratif confirme la décision de mutation d’office requise par le Recteur de Poitiers. C’est tout simplement la possibilité de discuter et de réfléchir – principe même d’un cours de philosophie – qui est sanctionnée.

Dans la continuité de cette affaire, l’article 1 de la loi Blanquer concernant « le devoir d’exemplarité » des enseignants qui passe en 2018 vient consolider les bases légales d’une volonté de censure du monde enseignant. Le droit d’alerte est lui aussi considérablement réduit : dorénavant tout dysfonctionnement de l’institution ne peut plus être portée sur la place publique mais doit impérativement emprunter le canal de la hiérarchie. C’est ce qui, dans le cas de la grève sanitaire de novembre 2020, a été utilisé contre les enseignants qui ont souhaité dénoncer l’impossible application d’un protocole sanitaire dans les établissements. A Stains, à Aubervilliers, à Saint-Denis, des enseignants, le plus souvent militants syndicaux, ont été convoqués pour des entretiens disciplinaires. Ce qu’on leur reproche : avoir demandé des conditions sanitaires dignes dans les écoles pour faire face à la pandémie de Covid et avoir été en contact avec la presse. Il s’agit bien de museler progressivement les enseignants.

Des sanctions pour faits de grève

Avec la « radicalisation » des enseignants qui date de 2018 on assiste à un tournant dans la gestion des personnels. La vague jaune de novembre 2017 s’est diffusée dans le monde de l’éducation : Stylos Rouges en décembre, premières formes de résistances à la réforme du lycée, début de l’insubordination dans les écoles primaires avec l’imposition de la réforme et de la loi Blanquer, et aussi la grève du baccalauréat, inédite par sa forme, qui arrive comme un point d’orgue d’une année de lutte dans l’éducation. S’ensuit, en 2019, la grève contre la réforme des retraites et les E3C avec les blocus lycéens.

Dans l’Académie de Poitiers, quatre enseignants du lycée de Melle sont sanctionnés pour avoir fait grève contre la tenue des E3C, les nouvelles épreuves issues de la réforme du lycée et du baccalauréat mise en place par Blanquer. La Rectrice a décidé de passer outre la décision du conseil de discipline (où sont représentés les syndicats) pour imposer des sanctions exceptionnelles dont la rétrogradation à l’échelon 1 et la mutation forcée. Même situation au lycée François Mauriac de Bordeaux où trois enseignants sont visés par des sanctions pour les mêmes motifs mais écopent de sanctions moins lourdes (blâme et mise à pied). Encore, pour punir les grévistes du bac 2018, un trimestre de cotisation retraite est enlevé à de nombreux grévistes du Bac. Pour la première fois, des enseignants sont sanctionnés pour avoir fait grève durant les épreuves du baccalauréat. Leur est reproché « l’entrave à un examen national ». Mais, par ce biais c’est l’exercice même du droit de grève qui est visé.

Le niveau de répression dans l’éducation est absolument inédit : ce sont les mêmes méthodes qui sont utilisées dans les entreprises publiques en voie de privatisation comme à la RATP et à la SNCF. Est-ce seulement une réponse à la radicalisation du monde enseignant qui met en cause les réformes Blanquer pour leur caractère inégalitaire et destructeur de l’Education publique ? Pas si sûr. Pour le gouvernement, il s’agit aussi de faire rentrer dans le rang un des appareils de la production du « consentement à la domination » qu’est l’école, pour en faire véritable socle idéologique du régime. Son but est d’en faire le relais de sa politique islamophobe et discriminatoire. De plus en plus, néanmoins, les personnels de l’Education se refusent à endosser ce rôle. A raison.


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