Stratégies sociales, stratégies électorales, par J.P. Boudine.

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Arguments pour la lutte sociale

Le camarade Jean-Pierre Boudine nous a adressé cet article, que nous publions volontiers. Place à la discussion !

 

Il est très mal vu, dans les organisations marxistes révolutionnaires (pléonasme) de parler aujourd’hui de stratégie pour l’élection présidentielle de 2022.

Pourquoi ? Parce qu’il faudrait, pour ces camarades, « Chasser Macron avant 2022 ». Grands dieux ! Pourquoi pas ! Qui s’y opposerait ? Mais comment ? Par la lutte des classes, les grèves, les manifestations, la grève générale. D’accord ! J’espère et je crois que ceux qui luttent pour le pouvoir des travailleurs travaillent à l’unité pour la grève générale.

Pour ce qui me concerne, j’ai connu la Grève Générale de 1968 comme militant et dirigeant de la Fédération des Etudiants Révolutionnaires fondée en avril, dissoute par le gouvernement en juin. J’en ai tiré la leçon suivante : sans perspective politique gouvernementale incluant l’emploi stratégique et tactique des éléments de démocratie bourgeoise, tels les élections, le camp des travailleurs a peu de chances d’accéder au pouvoir, même à la suite d’une puissante grève générale, avec occupations et élections de comités de grève.

Le suffrage universel ne constitue pas historiquement un cadeau de la classe bourgeoise : c’est un acquis du peuple travailleur.

L’état bourgeois dispose en première analyse de la force : police, armée. Comme classe, la bourgeoisie dispose aussi, aujourd’hui, de tous les grands médias. Elle a la haute main sur la production, la finance, la justice et beaucoup d’institutions.

Si un gouvernement « progressiste » (il faut accepter le vague de ce mot) accédait au pouvoir suite à une victoire à l’élection présidentielle, les travailleurs, pour autant, n’auraient pas « pris » le pouvoir.

Pour au moins trois raisons. La première c’est que, sans doute, l’équipe gouvernementale serait « progressiste » et courageuse … jusqu’à un certain point seulement (je pense ici à Tsipras). La seconde c’est que la classe bourgeoise aurait gardé tous les atouts cités plus haut, et la troisième c’est que l’environnement capitaliste international viendrait à son aide. Mais tout de même, elle aurait subi une défaite qui compliquerait ses affaires.

D’autant que dans sa contre attaque, elle s’exposerait à un risque plus grand que la perte d’une élection : la mobilisation du peuple travailleur « en défense » de sa victoire. A mes yeux, la révolution socialiste ne peut provenir que d’un tel processus : succès démocratique, contre attaque de la bourgeoisie, nouvel assaut des classes travailleuses et populaires.

Je ne développe pas, mon seul but est de dire brièvement pourquoi, selon moi, les révolutionnaires doivent prendre très au sérieux les élections démocratiques.

Un aspect sensible de la période, c’est que 2017 n’est pas loin dans le passé. J’espère que tout militant intelligent comprend qu’un succès de Mélenchon aurait offert de très intéressantes perspectives. Pourquoi ? Parce que Mélenchon, ce n’est pas le PCF, ni le PS. C’est un homme qui a rompu avec ces partis. La bourgeoisie connaît le PCF et le PS. Elle adore les détester. Ces deux partis lui ont plusieurs fois sauvé la mise, quand elle était dans des situations assez critiques : en 45, en 47, en 68, en 82… Les gens qui suivaient Mélenchon ne suivaient ni le PCF, ni le PS. Pour la bourgeoisie, c’était l’inconnu. Certes, Mélenchon pouvait passer, en économie, pour un keynésien (il le disait) et en politique pour un simple « républicain ». N’empêche. La bourgeoisie a raison de craindre ce genre de nouveauté. Elle craignait en 1981, avec à la tête de l’état un homme aussi assurément ami de l’ordre ancien que Mitterrand ! Elle pouvait craindre en 2017.

J’ai fait avec ardeur la campagne présidentielle de Mélenchon, en 2012, et plus encore en 2016 et 2017. Nous n’étions pas loin d’accéder au second tour. Et si, par chance, il s’était joué contre Le Pen, nous pouvions gagner.

Je ne raconte pas cela pour refaire l’histoire, mais pour répéter que 2017 n’est pas loin. Les « gens » savent qu’il y a eu 7 millions d’électeurs favorables à un changement social et politique consistant.

Le NPA, LO, l’extrême-gauche, comme on les appelle, ont présenté des candidats. Ces candidats ont obtenu un peu plus que les voix qui ont manqué à Mélenchon pour accéder au second tour. Je ne discute pas le droit de ces organisations de présenter des candidats. Je note seulement qu’implicitement, sachant que Nathalie Arthaud, ni Philippe Poutou ne serait le prochain président de la République, ces organisations exprimaient avec ces candidatures qu’elles n’accordaient aucune valeur (ou aucune chance) au succès de Mélenchon. Comme je l’ai dit plus haut, à mon avis ce fut une erreur. Le temps n’est plus aux « témoignages ». Ces candidatures « de témoignage » qu’ont-elles rapporté à ces organisations, depuis 1969 (Krivine) ? Elles sont connues. Elles font partie du décor.

Ce serait encore une erreur de ne pas s’intéresser tactiquement et stratégiquement à l’élection de 2022.

J’espère que ce qui précède n’a pas fait naître dans l’esprit du lecteur le soupçon que je plaide pour un remake de 2017 en 2022, avec encore JLM en tête d’affiche ! Non. En dehors même du fait que Mélenchon s’est comporté, dès juin 2017, comme un imbécile et qu’il a presque complètement ruiné les atouts que notre campagne lui avait mis en main, en quatre années, l’époque a profondément changé. Nous avons eu le mouvement des Gilets Jaunes, leurs assemblées et les assemblées d’assemblées, le lien avec une partie du tissu syndical des salariés. Et ce mouvement lui-même est en phase avec le mouvement mondial très bien analysé par le billet récent (paru dans « Arguments pour la lutte sociale ») de Vincent Présumey : Algérie, Chili, Liban. Ces mouvements ne cherchent pas à s’abriter sous l’aile d’un Tribun, d’un sauveur. Ils tendent, tous, aux assemblées locales et à l’exigence d’Assemblée Constituante. Qu’est-ce d’autre, tendanciellement, que ce qu’on appelait au début du vingtième siècle des Conseils, soit, en russe, des Soviets ? Cela, c’est le vif de la période. Mais comme on sait, « le mort saisi le vif ». Le mort c’est l’attitude des états majors des partis, et, caricaturalement, c’est la candidature de notre sauveur perdu : Mélenchon.

Pour conclure brièvement. Selon moi, les marxistes doivent aider au changement de paradigme : non plus, dans l’esprit de la cinquième République, faire campagne en 2021 et 2022 derrière un Tribun, mais s’en éloigner d’une distance raisonnable, sans déserter le terrain. Aider à constituer une équipe large, diverse et unie sur quelques mesures phares (incluant par exemple l’abrogation des lois scélérates votées ces dernières années). Cette équipe désignera par consensus son porte-drapeau, dont le nom sera sur le bulletin. La rupture avec l’ancien esprit, sur quoi peut-elle s’appuyer ? Sur les gilets jaunes. Plus exactement sur ce qui a pu rester des Assemblés d’Assemblées. Sans exclure, au contraire, tous les partis dont on a peine à déglutir qu’ils soient « de gauche » : PCF, FI (qui n’est pas un parti mais une troupe sans la moindre vie démocratique), EELV et différents lambeaux du PS.

Pour ceux que cet assemblage fait hurler je rappelle que dans le Manifeste du Parti Communiste, ses auteurs conseillent aux communistes français de marcher avec (voire même derrière)… Ledru-Rollin ! Chasser Macron, en 2022 – ou avant, bien sûr – est sans doute à ce prix. Nous ne pouvons viser qu’une transition, sous maints aspects insatisfaisante, mais qui pourra mettre « l’Achéron en mouvement ».

C’est impossible, diront certains ! Mais était-il possible, aux municipales, de battre Gaudin à Marseille, Colomb à Lyon ? Non, c’était impossible. Et la vie a encore donné raison à Pierre Dac : « il faut se méfier de ce qui est impossible. C’est généralement ce qui arrive ». Ce que je propose n’est rien de moins, ni de plus que « Le Printemps Marseillais ». C’est possible.

JPB, 8 décembre.


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