Mieux comprendre le “libéralisme autoritaire” avec Carl Schmitt et Hermann Heller

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SOURCE : Marianne

Mieux comprendre le "libéralisme autoritaire" avec Carl Schmitt et Hermann Heller

La publication de deux textes inédits de Carl Schmitt et de Hermann Heller permet de porter un regard neuf sur la question a priori paradoxale du libéralisme autoritaire.

Le libéralisme autoritaire est un grand impensé de la philosophie politique. Traditionnellement, on oppose volontiers le libéralisme, comme théorie des limites de l’État, à la dictature ou à l’autoritarisme. Le destin du libéralisme, dit-on, serait lié à celui de la démocratie moderne. Enfant de la philosophie des Lumières (Montesquieu, Kant, Tocqueville) et modèle concurrent du Léviathan hobbesien, il garantirait aux sociétés une plus grande autonomie des individus, une séparation des pouvoirs, une presse indépendante et la liberté d’entreprendre.

DEUX TEXTES ESSENTIELS

Aujourd’hui encore, c’est cette interprétation univoque du libéralisme qui prédomine : une société démocratique est nécessairement une société libérale. Remettez en question le modèle libéral et c’est la démocratie qui est en danger. La chute de l’Union soviétique en 1991  a renforcé l’idée d’un modèle politico-économique unique. « There is no alternative », affirmait le Premier ministre britannique Margaret Thatcher. Pourtant, cette lecture à sens unique, ce conte de fée libéral est mis à mal par l’émergence, depuis le début du XXIe siècle, de nouvelles formes de pouvoir à la fois libérales économiquement et  autoritaires politiquement. Citons comme exemples la Russie de Poutine, la Hongrie d’Orban ou les États-Unis de Trump. Mais ce que l’on nous présente comme une anomalie, comme un phénomène absolument nouveau et difficilement explicable possède son précédent historique : celui du déclin de la République de Weimar et de la montée du nazisme.

En publiant Du Libéralisme autoritaire, Grégoire Chamayou, traducteur et auteur d’une éclairante préface, entend bien montrer que la double face du libéralisme n’est pas toujours accordée, que le libéralisme économique (l’économie de marché) ne se superpose pas nécessairement au libéralisme philosophique (idéal d’émancipation individuel) L’ouvrage en question réuni deux « textes ennemis », « État fort et économie saine », un discours du juriste et éminent penseur de la révolution conservatrice Carl Schmitt prononcé en 1932, et « Libéralisme autoritaire ? », un article d’un autre juriste, l’intellectuel juif engagé à gauche Hermann Heller, publié en 1933.

Les propos défendus par Carl Schmitt montrent que le libéralisme ne s’oppose pas nécessairement à l’autoritarisme, que l’on peut appeler de ses vœux un État fort tout en sacralisant le développement économique via une défense inconditionnelle du patronat et une mise au banc des syndicats.  Le projet philosophique de Carl Schmitt, qui s’inscrit dans le cadre d’une critique des dérives de la démocratie, entend bien mettre fin à l’interventionnisme d’État à teneur social afin de libérer véritablement les forces vives de l’Allemagne. « Car Schmitt veut séduire, mais aussi rassurer le patronat allemand, s’il lui promet un État fort […] il l’assure également que cette force immense s’arrêtera respectueusement à la porte des entreprises et des marchés », souligne Chamayou. Hermann Heller dénoncera le « national-libéralisme » de Schmitt qui met en péril le pluralisme démocratique. Il doutera également de l’efficacité d’un tel dispositif. À ses yeux, l’autoritarisme politique ne peut pleinement s’accomplir qu’en débordant sur la sphère économique : « Un État qui voudrait effectivement garantir la “libre force de travail de tous les hommes qui mettent l’économie en mouvement” ne pourra pas se permettre d’opérer un retrait hors de l’économie ; il va lui falloir au contraire empiéter sur le domaine économique de façon autoritaire et, pour tout dire, de façon socialiste. » Adolf Hitler, national-socialiste fraîchement élu chancelier du Reich, fera ce pas supplémentaire pour réaliser le véritable État total.

* Carl Schmitt et Hermann Heller, Du libéralisme autoritaireLa découverte, collection « Zones », 144 pages, 16 euros


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