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SOURCE : Révolution permanente
Depuis plusieurs mois, l’Inde a vu une révolte paysanne surgir contre les lois du gouvernement de Narendra Modi sur l’agriculture, dont le fond est de libéraliser le secteur agricole en appauvrissant les agriculteurs. Mais, après un mois de blocage de la capitale, le gouvernement cherche à négocier.
Cet article est une traduction de l’article Un mes de huelga agrícola obliga al Gobierno indio a convocar nueva mesa de diálogo paru dans La Izquierda Diario, média frère de Révolution Permanente en Argentine, le 28 décembre 2020.
Crédit Photo : La Izquierda Diario
Depuis le 26 novembre, les agriculteurs indiens continuent de bloquer l’accès à la capitale fédérale, New Delhi, pour protester contre trois lois votées en septembre concernant l’agriculture. Et depuis un mois, les barrages routiers, grèves de la faim, et manifestations s’enchaînent contre un gouvernement qui ne veut rien lâcher. Au cœur des préoccupations des paysans indiens, trois lois agricoles, qui prévoient notamment la fin de prix minimum garantis pour les ventes de produits agricoles. Ces lois cherchent en fond à favoriser les acteurs de l’agro-business et leur donne une plus grande marge de manœuvre en permettant l’achat direct des produits par ces acteurs aux paysans. Mais ce que ceux-ci craignent, en toile de fond, c’est la baisse de leurs revenus qui devra les pousser à l’endettement voir à la vente de leurs terres.
Ces trois lois sont loin d’être anecdotiques : elles concernent directement 50 % de la population active indienne, soit 250 millions de travailleurs. A titre de comparaison, la population active de l’ensemble de l’Union Européenne est de 215 millions de travailleurs. Face à ces lois d’ampleurs, la lutte n’a cessé de s’intensifier depuis septembre, avec depuis un mois une montée nationale de plusieurs centaines de milliers d’agriculteurs sur la capitale afin de la bloquer. Des barrages routiers ont été érigés, et ce malgré un hiver très rigoureux, qui a déjà causé la mort de près de 25 paysans occupant ces rues.
Face à cela, le gouvernement de Narendra Modi, Premier ministre depuis 2014, ne veut pas céder, prétextant que ces lois sont en réalité avantageuses pour les paysans. Depuis plusieurs années, le gouvernement mise en réalité sur une politique nationaliste et xénophobe, notamment à l’encontre du Pakistan et de la Chine, pour tenter de créer un sentiment d’union nationale. En juin dernier, des affrontements militaires entre la Chine et l’Inde avaient eu lieu dans l’Himalaya, causant la mort de 20 soldats indiens. Mais cette politique d’union nationale, qui s’accompagnait de réforme néolibérale contre les paysans et les ouvriers, a montré toutes ses limites le 26 novembre, lorsque près de 200 millions de travailleurs se sont mis en grève contre les lois paysannes ainsi que sur des lois concernant les salaires et la flexibilisation du travail.
Dans cette situation, le gouvernement Modi tente une fois de plus de négocier avec les syndicats d’agriculteurs, qui restent fermes sur leur volonté d’abroger les lois, comme l’a expliqué une lettre de la coalition syndicale Samyukta Kisan Morcha au ministère de l’agriculture. Yogendra Yadav, porte parole de l’organisation paysanne Swaraj India, a ainsi déclaré que le premier point à l’ordre du jour des discussions avec le gouvernement devrait être les modalités d’abrogation des trois lois. Alors que le blocage de New Delhi dure, les paysans s’organisent pour assurer leur subsistance : ceux-ci organisent notamment une distribution d’eau potable, de vivre et d’électricité sur les barrages pour tenir, soutenus par les habitants de la ville. Une solidarité exceptionnelle qui fragilise d’autant plus le gouvernement.
En effet, celui-ci a d’ores et déjà perdu un allié de sa politique, le parti Rashtriya Loktantrik, dont le porte parole s’est joint aux manifestants. Ce petit parti, issu d’une scission avec le parti au pouvoir, le Bharatiya Janata (BJP), montre cependant la fragilité de la politique du Premier ministre.
La lutte des travailleurs agricoles ouvre une crise politique pour un gouvernement qui tente de se positionner comme un exemple de développement afin d’attirer les investissements mondiaux. Mais la lutte de classes en cours, au centre de laquelle la paysannerie joue le rôle le plus importants, mais dont l’alliance avec la classe ouvrière a déjà montré des signes de réussites, ouvre une voie différentes et impose des limites importantes à un gouvernement ultra-conservateur, nationaliste et xénophobe. Un triomphe éventuel de cette lutte pourrait ouvrir la voie au reste des opprimés en Asie.