AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Bastamag
Voilà quatre ans que la ferme de Belêtre, en Indre-et-Loire, a initié le mouvement des petites coopératives (Scop) en agriculture. L’enjeu : limiter l’endettement, se rémunérer pour son travail et non sur son capital, améliorer la protection sociale et faciliter la transmission.
À Dolus-le-Sec, en Indre-et-Loire, la coopérative paysanne de Belêtre est l’une des premières fermes françaises à avoir adopté, en novembre 2016, le statut de société coopérative de production (Scop). « Quand on a cherché à s’installer en agriculture tous les cinq, ce qui motivait notre projet agricole était avant tout politique, explique Mathieu Lersteau, l’un des cinq cofondateurs. Dans ce projet, il y avait quelque chose d’assez tranché sur le rapport au capital et la volonté de participer à un mouvement de transformation sociale. »
Imaginer un projet où l’argent ne soit pas un obstacle
Avant de s’installer, Mathieu travaillait dans le réseau InPACT très mobilisé sur les questions d’installation et de renouvellement [1]. « Des paysannes et des paysans insistent sur l’importance de l’installation dans leur discours militant mais mettent en vente leurs fermes à 500 000 euros quand vient l’âge de la retraite. C’est une façon de compenser leurs faibles pensions : ils comptent sur la vente de leur capital pour assurer leurs vieux jours. Mais ça écrème les candidats et candidates à l’installation qui n’ont pas les finances ou la possibilité d’emprunts bancaires. Ce n’est pas comme ça qu’on va pouvoir assurer le renouvellement des actifs en agriculture. » La France compte actuellement 450 000 paysannes et paysans. D’ici dix ans, 60 % d’entre eux vont quitter le métier pour partir à la retraite ou se réorienter.
Impossible aux yeux de Mathieu et de ses collègues d’avoir un discours défendant l’agriculture paysanne tout en participant à un schéma qui concourt à l’agrandissement des fermes, à l’endettement, à la difficulté de reprendre une exploitation et au final, à la disparition des paysans. Dès lors, comment imaginer un projet où l’argent ne soit pas un obstacle ? La Scop apparaît comme le moyen de transmettre l’entreprise sans transmettre le capital, mais en améliorant le niveau de protection sociale. « L’outil de travail reste la propriété de la coopérative, les parts sociales mises au début dans la société restent à leur valeur nominale. » Autrement dit, l’apport initial des associé.es ne peut pas faire l’objet d’une plus-value.
À Belêtre, chaque associé a apporté 3000 euros au capital social lors de la création de la coopérative et le montant de la part sociale a été fixé à 50 euros. « Si l’un.e des associé.es part, ce sera avec 3000 euros. Et nous sommes sur le point d’accueillir de nouveaux associés qui, avec 50 euros en poche, pourront devenir associés-salariés-cogérants. »
« À l’heure actuelle, s’installer en Scop en agriculture est très pertinent politiquement, mais une connerie économiquement »
Lorsqu’ils se lancent en 2014, le statut de Scop est peu connu des institutions agricoles et il leur faut faire vite pour créer la structure. Le statut associatif est alors privilégié et un bail agricole est signé avec le propriétaire au nom de l’association. En choisissant la Scop, les associés-salariés ont aussi dû renoncer à la dotation jeune agriculteur (DJA), une aide financière apportée lors de l’installation [2].
« C’est un choix que l’on a fait en conscience mais qui a des conséquences importantes. » S’ils avaient par exemple choisi le statut de Gaec (groupement agricole d’exploitation en commun), ils auraient à l’inverse pu bénéficier jusqu’à 100 000 euros de DJA… « Si on ajoute les aides économiques ou fiscales qui seraient multipliées par le nombre d’associés grâce à la transparence, ça fait beaucoup… À l’heure actuelle, s’installer en Scop en agriculture est très pertinent politiquement, mais une connerie sur le plan économique » déplore Mathieu. Adhérent de la Confédération paysanne, il milite pour l’accès aux mêmes droits et aides que sous un statut agricole classique.
Fonctionnement horizontal et autogestionnaire
Depuis sa création, la Scop de Belêtre a développé une activité de paysans-boulangers et de maraîchage. Martin, l’un des cinq cofondateurs, l’a quittée cet été pour s’installer sur une ferme à proximité, afin d’expérimenter autre chose que l’agriculture collective. Alors qu’ils viennent de récupérer des terres et des bâtiments avec l’association Terre de liens – ils sont désormais installés sur 64 hectares, intégralement en fermage, c’est à dire en location – les quatre associés-salariés restant recherchent de nouvelles personnes. « On a différentes pistes de diversification mais rien n’est arrêté. La priorité est de trouver des gens qui partagent les valeurs du collectif », précise Mathieu. Parmi ces valeurs on retiendra : expérimenter une agriculture bio et paysanne, l’autogestion d’une entreprise non capitaliste, une dimension humaine (« prendre soin de nous »), et une dimension politique (« participer à un mouvement de transformation sociale »).
Partager de telles valeurs, c’est notamment adhérer à un fonctionnement horizontal comme l’illustrent leur réunion hebdomadaire et leurs nombreux outils d’organisation. Tous les mardis matin, les associés se retrouvent. « Dans tous les cas nous sommes codécisionaires et coresponsables des décisions que l’on prend au consentement. Nous considérons aussi que prendre soin du collectif et l’outiller fait partie du travail. »
Génération sacrifiée
Mathieu admet toutefois un facteur limitant dans le statut actuel. La Scop a investi 163 000 euros depuis le début dans la construction de l’outil de travail. Les cofondateurs ont choisi de ne pas faire d’emprunts bancaires mais de se verser de tout petits salaires pendant les deux premières années. Désormais chaque associé est rémunéré au Smic sur la base de 35 h. Les cogérants ont également choisi de ne pas rémunérer le capital, donc de ne pas se verser des dividendes, et d’affecter 50 % du résultat annuel au travail – donc aux salariés – et 50 % à l’entreprise, afin que celle-ci ait les moyens d’investir.
« Depuis le début, nous avons fait une croix sur une partie de la rémunération de notre travail. Ainsi, beaucoup d’argent reste dans l’entreprise pour limiter l’endettement et privilégier l’autofinancement des investissements. Nous avons donc constitué un capital, via l’outil de travail, mais celui-ci ne nous reviendra jamais. C’est un choix que l’on a fait en conscience et que l’on assume mais c’est un facteur limitant pour la création d’autres Scop en agriculture. Il y a une génération sacrifiée dans ce modèle-là. »
Dans quelques mois, les gros investissements seront terminés pour les deux ateliers principaux de la ferme. Les nouveaux arrivants n’auront qu’à mettre 50 euros pour devenir associés-salariés-cogérants. « La génération qui va nous suivre n’aura pas à sacrifier une partie de sa rémunération car l’outil de travail est désormais en place et c’est une bonne chose. En revanche, si nous souhaitons développer d’autres activités dans la Scop, nous devrons recommencer. »
« On a besoin d’un soutien public au moment de l’installation pour aider au démarrage »
Si l’on se place du côté de ceux qui cèdent leur activité, comment renoncer à son capital et se contenter d’une retraite de la mutualité sociale agricole (MSA), avec une pension moyenne de 730 euros par mois [3] ? « Si on demande à ces paysans et paysannes-là de ne pas réaliser leur capital, c’est aussi un sacrifice. Ils n’ont pas anticipé de choisir un statut bénéfique sur le plan de la protection sociale. » Pour Mathieu, c’est évident : « Aujourd’hui, on a besoin d’un soutien public au moment de l’installation pour aider au démarrage en Scop. Ou alors il faut apporter une bonification de retraite à celles et ceux qui transmettraient leur ferme en y laissant le capital. »
La bataille pour la reconnaissance d’un statut de type Scop en agriculture se poursuit à la ferme de Belêtre, avec une conviction : « La recherche de cohérence ! On ne peut pas militer pour une agriculture paysanne sans commencer par garantir des conditions favorables de reprise et de transmission de sa ferme. C’est un changement radical d’état d’esprit qu’il faut insuffler dans le monde paysan : se rémunérer pour son travail plutôt que sur son capital. C’est une condition sine qua non pour qu’une agriculture française à un million de paysan.nes ne reste pas qu’un slogan mais devienne un jour réalité. »
Sophie Chapelle
Crédit photo : Yoan Jäger
Cet article est extrait de Campagnes solidaires, le magazine de la Confédération paysanne qui a consacré son dossier de décembre 2020 aux Scop en agriculture.