Suspension du compte Twitter de Trump: “Les Gafa donnent des gages aux Démocrates”

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SOURCE : Marianne

Le réseau social conservateur Parler est hors-service après la décision d’Amazon ce 10 janvier de supprimer l’accès du réseau social à ses serveurs en raison de son incapacité à modérer les messages incitant à la violence. Cette suspension suit celle, sur Twitter, du compte de Trump après l’intrusion de ses partisans au Capitole.

Suspension du compte Twitter de Trump : "Les Gafa donnent des gages aux Démocrates"

C’est une série de vaguelettes qui s’est transformée en tsunami. Après quatre années passées à hésiter sur la régulation de leurs contenus, les Gafam ont choisi l’action en 2021. Tout a commencé par un coup de tonnerre : l’exclusion de Donald Trump de Facebook et Instagram le 7 janvier à la suite de l’intrusion de centaines de ses partisans au Capitole, deux jours plus tôt. Puis, un second, avec la suspension définitive du compte du président sur Twitter le lendemain.

Dernier coup de semonce en date des géants de l’Internet : l’escamotage de Parler, réseau social conservateur affectionné par beaucoup de membres de la mouvance trumpiste. Les émeutes de Washington ont eu l’effet d’un électrochoc auprès des géants du Net, qui ont subitement décidé d’appliquer scrupuleusement leurs conditions d’utilisation concernant les messages incitant à la violence. Une prise de conscience soudaine, non dénuée d’opportunisme, et dont la pertinence est aujourd’hui en partie questionnée.

En Allemagne, Angela Merkel a ainsi estimé cette fermeture du compte d’un chef d’État “problématique“. “Il est possible d’interférer dans la liberté d’expression, mais selon les limites définies par le législateur, et non par la décision d’une direction d’entreprise”, a expliqué Steffen Seibert, son porte-parole lors d’une conférence de presse. Même son de cloche en France : sur France Inter ce 11 janvier, Bruno Le Maire s’est dit “choqué” que cette décision de suppression revienne à Twitter. “La régulation des géants du numérique ne peut pas se faire par l’oligarchie numérique elle-même. (…) La régulation est nécessaire, mais doit se faire par le peuple souverain, par les États et par la justice”, a estimé le ministre français de l’Économie et des Finances.

BRUSQUE INFLEXION

A Washington, les réactions politiques ont été nettement moins nuancées. Chez les Républicains, pour lesquels cette suppression tient de la censure, l’indignation est de mise. Côté démocrate, le tout nouveau silence du président sortant est à l’inverse quasi unanimement célébré. À quelques jours de l’investiture de Joe Biden, dont l’élection est toujours contestée par une partie des partisans de Donald Trump, le camp du président élu met en avant un risque politique majeur. “(Ces entreprises) n’ont pas peur des boycotteurs. Elles ont peur que leurs services soient utilisés pour organiser une attaque“, a par exemple tweeté Brian Beutler, rédacteur en chef de Crooked Media, média fondé par des anciens de l’administration Obama. Après avoir été employées par les émeutiers du Capitole pour se coordonner, les plateformes auraient donc décidé d’arrêter les frais. On ne les accusera pas d’avoir permis un attentat le jour de l’investiture de Biden.

L’opération n’avait certes pas la même magnitude, mais ce n’est pas la première fois que des partisans de Donald Trump envahissent une institution américaine“, fait remarquer Fabrice Epelboin, entrepreneur et spécialiste des réseaux sociaux. Moins d’un an avant que le président sortant n’appelle des pro-Trump à marcher sur le Capitole, ses partisans avaient déjà envahi le Congrès de Lansing, dans le Michigan, où siègent les élus de l’Etat dirigé par une gouverneure démocrate. Après un tweet de Donald Trump leur demandant de “libérer le Michigan” des restrictions sanitaires imposées par la gouverneure démocrate, une centaine de militants avaient envahi le bâtiment, appelant parfois à pendre des politiciens et les qualifiant de “traîtres“. Twitter n’avait pas suspendu le compte de Donald Trump. Amazon n’avait pas fait disparaître un réseau social de son cloud. Auparavant, ils ne l’avaient pas non plus fait après la manifestation de suprémacistes blancs à Charlottesville, qui avait entraîné la mort d’une jeune femme. Après quatre ans d’atermoiements, la succession d’événements ayant décidé cette brusque inflexion de la politique des Gafam intrigue.

UNE DÉCISION OPPORTUNISTE

“Cette décision, qui intervient seulement quelques jours avant l’arrivée au pouvoir de Bidenest clairement opportuniste” note Fabrice Epelboin. Si le président élu compte dans son cabinet et parmi ses proches plusieurs anciens des mastodontes de la Silicon Valley, il n’a pas affiché son intention d’être tendre avec eux. L’administration Biden compte ainsi encourager l’autorité de la concurrence américaine, la Federal Trade Commission (FTC) et le département de la Justice à poursuivre leurs plaintes, notamment contre Facebook. Depuis la mi-décembre, ces derniers demandent à la justice d’envisager une séparation des filiales Instagram et WhatsApp du géant américain : “Le débat du démantèlement fait son chemin, notamment avec la sénatrice démocrate Elizabeth Warren qui appelle depuis quelques années à casser les Gafam“, poursuit Epelboin, pour qui les récentes décisions d’Amazon, Twitter de Facebook, correspondent à un “mouvement de panique” de ces entreprises face à la nouvelle administration. “Elles sont toutes dans une situation de quasi-monopole. Le démantèlement serait une catastrophe pour elles. En effectuant ces suppressions de dernière minute, la Silicon Valley tente de donner des gages aux démocrates pour l’éviter.

En donnant ces fameux “gages” aux démocrates, les Gafam s’enfoncent pourtant dans un autre problème. “Les décisions de ce week-end marquent un tournant dans la manière qu’ont les plateformes de contrôler leur contenu. C’est l’éternel débat hébergeur ou éditeur”, note Dominique Boullier, professeur des universités en sociologie à Science Po, spécialiste des usages du numérique et des technologies cognitives.

De Facebook à Amazon, toutes se considèrent comme des hébergeurs : elles estiment servir d’infrastructure de stockage en ligne. “Amazon Web Services est bien un hébergeur – l’entreprise constitue l’architecture de près d’un tiers d’Internet -. Ce qui n’est pas le cas d’une plateforme comme Facebook ou Twitter”

UNE LIGNE ÉDITORIALE NON ASSUMÉE

À l’inverse d’Amazon Web Services, ces deux dernières structures sont des réseaux sociaux, qui font leur beurre sur les interactions sociales entre leurs utilisateurs. En choisissant de modérer certains messages, ces deux dernières entreprises prennent de fait, sans le dire, les caractéristiques d’un éditeur, qui sélectionne soigneusement les contenus ayant droit de cité sur sa plateforme. Ces derniers jours, Facebook a ainsi fermé les comptes de plusieurs responsables gouvernementaux ougandais accusés d’interférences dans le débat public à la veille de l’élection présidentielle. “Entre la suspension du compte de Trump et ces suppressions en Ouganda, on est en train d’assister à une uniformisation des règles au sein de l’entreprise“, note Dominique Boullier. Mais cette dernière se fait à couvert.

“Pour cette raison, la décision d’Amazon Web Services d’exclure “Parler” de ses services était très étonnante : un hébergeur a fait le choix de modérer un contenu. Mais en supprimant un réseau social marginal, Amazon prend peu de risques. Cette décision est à attribuer à la volonté de la Silicon Valley de se refaire la façade avant l’arrivée des démocrates”, rappelle Dominique Boullier. Comme Twitter et Facebook, Amazon ne serait probablement pas non plus ravie d’être considérée comme un éditeur.

Les plateformes refusent d’être assignées à cette catégorie, car cela sous-entendrait qu’elles doivent modérer leur contenu a priori, et non a posteriori comme aujourd’hui, poursuit le spécialiste. Cela sous-entendrait un énorme travail de réorganisation de leurs équipes techniques et de leurs algorithmes“. Surtout, cela les obligerait à édicter des règles de modération claires. “Exactement comme un média, avec des exigences et une ligne éditoriale qui leur est propre”, pointe Dominique Boullier. De quoi mettre en péril leur vocation d’infrastructure globale, et se priver d’internautes peu en accord avec leur nouvelle politique. “Donc, prendre le risque de diminuer leur impact publicitaire… et perdre de l’argent.” Tandis qu'”en suspendant des comptes, en supprimant un site, on ne règle pas un problème, note Fabrice Epelboin. On le dissimule avec de la cosmétique.


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