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SOURCE : A l'encontre
Entretien avec Yuri Costa
Yuri Costa est le président du Conseil national des Droits Humains pour les années 2021-2022. Cet organisme est, officiellement, «un organe collégial de composition paritaire [«société civile» et organismes gouvernementaux] qui vise à promouvoir et à défendre les droits de l’homme au Brésil par des actions de prévention, de protection, de réparation et de sanction des comportements et des situations de menace ou de violation de ces droits, prévues dans la Constitution fédérale et dans les traités et actes internationaux ratifiés par le Brésil.».
Yuri Costa a donné cet entretien au site de l’Instituto Humanitas Unisinos qui se revendique d’une approche «sociale-chrétienne». Yuri Costa, professeur de l’Université d’Etat du Maranhão, est actif dans divers organismes de défense des peuples indigènes, des populations noires, de populations pénitentiaires… Il est aussi membre, entre autres, de la «Commission pour l’éradication du travail esclavagiste dans l’Etat du Maranhão».
Le site avec lequel il s’est entretenu indique, en introduction, que «depuis un certain temps, le domaine des droits de l’homme est attaqué. Avec la montée au pouvoir d’une droite conservatrice, ces réactions ont également été orchestrées par les institutions de l’État.» Il nous est apparu intéressant de pouvoir saisir des facettes de la réalité socio-politique du Brésil sous l’angle de l’approche défendue par le «président du Conseil des Droits de l’Homme». (Rédaction A l’Encontre)
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IHU On-Line – Aujourd’hui, au Brésil, quels sont les plus grands défis pour la promotion des Droits de l’Homme? Et comment évaluez-vous le rôle de l’État dans cette promotion aujourd’hui?
Yuri Costa – Construire une culture qui connaît et respecte les droits de l’homme est un défi constant. Cette lutte se poursuit depuis l’après-guerre, lorsqu’un système international de protection de ces droits a été mis en place.
Au Brésil aujourd’hui, le défi semble posséder des éléments spécifiques. Jamais il n’y a eu un discours aussi explicite et institutionnalisé contraire aux Droits de l’Homme. Un discours qui cherche à les délégitimer et même à les associer à quelque chose de contraire au développement du pays. Malheureusement, l’État a acquis une position d’instigateur dans ces attaques. Cette situation est regrettable et constitue un grave recul, car il incombe, précisément, aux pouvoirs publics de promouvoir les Droits de l’Homme et de protéger les personnes et les groupes vulnérables.
HU On-Line – Les plus grandes violations de la promotion des droits de l’homme se produisent-elles dans les villes ou les campagnes du Brésil, dans les forêts et les lieux reculés du pays? Pourquoi?
Yuri Costa – Au Brésil, il y a des violations systématiques des droits de l’homme, tant à la campagne qu’en ville. Chacun de ces environnements présente des particularités liées à cet état de fait. Il ne s’agit pas de gradation, c’est-à-dire de savoir lequel de ces espaces porte le plus grand préjudice aux droits, mais de percevoir les caractéristiques de chaque environnement.
Dans les campagnes, je signale les conflits fonciers et les attaques contre les modes de vie des Peuples et des communautés traditionnelles comme des éléments qui concentrent la plupart de ces lésions. Dans la ville, la question du logement et de la violence est certainement à mettre en relief. Malheureusement, nous avons historiquement construit un pays injuste et inégalitaire, qui a transformé l’environnement rural et urbain en lieux d’exclusion et de violence.
IHU On-Line – Dans quelle mesure la pandémie ressuscite-t-elle la recherche de la promotion des droits de l’homme? Quels sont les plus grands défis à cet égard depuis l’apparition de Covid-19?
Yuri Costa – La pandémie a mis en relief les problèmes structurels qui marquent la formation historique du Brésil, comme l’inégalité de traitement que nous accordons aux différents groupes sociaux. Le caractère exceptionnel de la crise sanitaire s’est rapidement transformé en un tableau socio-économique dramatique. S’il y a une chose que nous avons apprise au cours des premiers mois de la pandémie, c’est qu’elle n’atteint pas les groupes sociaux de la même manière. Le discours fragile selon lequel la maladie serait «démocratique», touchant aussi bien les riches que les pauvres, n’a pas survécu aux premières observations de la réalité nationale.
La contagion qui arrivait depuis les vols internationaux remplis par les «élites» s’est rapidement révélée beaucoup plus forte lorsqu’elle atteignait, par exemple, les périphéries des grandes villes, les immigrants réfugiés ou la population des rues. Face à un tel scénario, il n’a jamais été aussi important de renforcer la défense et la diffusion des droits de l’homme.
IHU On-Line – D’un point de vue historique, comment évaluez-vous la relation de l’État brésilien avec la promotion des droits de l’homme?
Yuri Costa – Ce qui peut être conçu historiquement comme un État brésilien, dans ses différentes dimensions et ces divers contextes, n’a jamais eu comme priorité la protection des droits de la majorité de la population. En ce sens, l’État a servi (et sert encore dans une large mesure) beaucoup plus à la reproduction des privilèges d’une minorité.
L’abîme de l’accès à l’éducation, les problèmes du service de santé publique, le racisme institutionnalisé et la composition de la population carcérale sont quelques-uns des exemples de la façon dont l’État brésilien a, historiquement, contribué à la construction de structures qui reproduisent les lésions faites aux droits des personnes et des groupes vulnérables. Comme je l’ai déjà mentionné, ce tableau est très problématique, puisque c’est ce même État qui doit guider la promotion des Droits de l’Homme depuis la planification et l’exécution des politiques publiques qui les valorisent.
IHU On-Line – L’esclavage a-t-il été la plus grande attaque contre les droits de l’homme dans l’histoire du Brésil? Pourquoi? Et avons-nous surmonté les avilissements laissés par l’esclavage?
Yuri Costa – L’esclavage des indigènes, des Africains et des afro-descendants, pratiqué pendant des siècles dans notre pays, a certainement été la violation la plus perverse et la plus violente des droits de l’homme que nous ayons connue. L’esclavage avait pour base principale le soutien et la négation de l’humanité des esclaves, en plus de se reproduire en ayant pour règle la violence et la torture exercées sur les corps des hommes et des femmes soumis à la captivité.
Je ne peux penser à une autre expression d’atteinte à la dignité humaine aussi expressive dans notre histoire. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’esclavage était une politique prévue par la loi, assumée et encouragée par l’État. Elle s’est ainsi constituée en ce que nous appelons aujourd’hui la politique publique.
De plus, le déploiement des conséquences du système esclavagiste pour ceux qui en ont été victimes est encore frappant au Brésil. En ce sens, les politiques de réparation pour les populations indigènes et noires devraient être une priorité de l’État et de la société dans son ensemble.
IIHU On-Line – Lilia Schwarcz défend la thèse selon laquelle l’autoritarisme brésilien provient du mandonisme [autoritarisme et clientélisme] qui trouve son origine dans le Brésil colonial et est actualisé dans l’Empire et dans les différentes périodes républicaines. Comment appréhender ce «mandonisme» autoritaire ?
Yuri Costa – Ledit mandonisme – qualifié par d’autres auteurs de clientélisme ou par des expressions similaires – est en fait structurant dans notre société depuis l’époque coloniale. Le pouvoir des élites locales, pendant des siècles, a fonctionné comme un mécanisme important pour la reproduction des privilèges des élites et de la violence contre les minorités.
Je suis d’accord avec Lilia Schwarcz pour dire que depuis lors, ils ont considérablement modifié les formes d’expression du mandonisme, ce qui ne l’a pas empêché de rester présent aujourd’hui, et pas seulement dans les campagnes ou dans les petites villes. La violence, la corruption, le racisme et le sexisme sont quelques-uns des héritiers directs d’un mandonisme qui a trouvé des moyens de reproduire les inégalités dans notre pays et qui parvient encore à maintenir les privilèges d’une minorité au détriment de la majorité de la population brésilienne.
IHU On-Line – Quels sont les plus grands défis pour la protection des peuples autochtones aujourd’hui? Comment analysez-vous tous les revers survenus ces dernières années?
Yuri Costa – Bien qu’il n’existe pas de définition «fermée» de ce que sont les peuples et les communautés traditionnelles, je comprends que la principale caractéristique de ces collectivités réside dans la résistance culturelle et sociale comme fondement de leur organisation et de leur conduite politique. Cette résistance prend forme dans la lutte quotidienne pour la reproduction de ces groupes, et pas seulement comme une pérennisation physique, mais comme le maintien d’une vision du monde particulière et d’un mode de vie matériel et mental spécifique.
Cela dit, il est important de repérer comment opèrent les récentes attaques contre les peuples et les communautés traditionnelles. Si, d’une part, elles sont graves et nuisibles pour ces collectivités, d’autre part, elles se présentent comme l’actualisation d’un racisme et d’une posture génocidaire qui marquent l’histoire du Brésil depuis le début de notre colonisation. Face à ces attaques, il est très important de renforcer l’importance des peuples dits originels, en protégeant leurs modes de vie, tout en leur donnant un rôle de premier plan dans cette défense.
HU On-Line – L’essor actuel de perspectives plus conservatrices a donné libre cours à une série de conceptions exprimées par certaines personnes dans le sens suivant: «les droits de l’homme sont des privilèges», ils «défendent les bandits», les droits visant à protéger des populations indigènes «entravent l’expansion de la production et du développement». Comment pouvons-nous répondre à ces positions?
Yuri Costa – Les droits de l’homme constituent une sphère de protection qui garantit une existence digne aux hommes et aux femmes. En ce sens, je pense généralement que défendre les Droits de l’Homme, c’est défendre l’évidence, car cela signifie, après tout, se battre pour que chaque personne ait le minimum pour que son existence soit supportable et digne. Le logement, l’alimentation, la santé, l’habillement, l’éducation, le travail… tous ces domaines sont directement liés à la culture des droits de l’homme.
Le discours qui réduit les Droits de l’Homme à la défense des «criminels» est un discours superficiel visant clairement à maintenir les privilèges d’une minorité non engagée dans l’expansion des droits et des garanties sociales. De plus, il n’y a pas de décalage entre la défense des droits de l’homme et l’idée de développement. Bien au contraire. Un pays ne se développe véritablement qu’avec l’extension des droits, et pas seulement avec la croissance économique, surtout lorsqu’elle est concentrée dans les mains de quelques-uns et au détriment de la majorité de la population.
IHU On-Line – Si nous voyons les discours actuels de criminalisation et de condamnation des minorités, nous voyons aussi des discours mobilisateurs visant à dénoncer de telles perspectives. Comment observez-vous cette apparente contradiction? Et comment cela est-il éclairé, par exemple, dans le cas de João Alberto Silveira Freitas, un homme noir tué par des agents de sécurité de supermarché de la chaîne Carrefour à Porto Alegre?
Yuri Costa – Je ne vois aucune contradiction entre l’augmentation des attaques contre les groupes vulnérables et les formes de résistance vigoureuses dans lesquelles ces groupes ont joué un rôle moteur. Il y a, en fait, une forte relation entre ces éléments. L’augmentation des exigences ainsi que des mobilisations de femmes, de Noirs, de la population LGBTQI+, d’immigrant·e·s et des peuples et communautés traditionnels relèvent d’un acte politique et, comme tout acte de pouvoir, elles se heurtent à une résistance. Dans ce cas, la résistance face à la conquête des droits de ces ensembles sociaux est menée précisément par ces individus et groupes historiquement privilégiés. Ils ont précisément construit – et persistent à les maintenir – leurs éléments de distinction sociale et économique à partir de la domination et de la violence contre la majorité de la population.
Malheureusement, l’État a été plus que souvent l’auteur de ces actes violents et discriminatoires contre des personnes vulnérables.
IHU On-Line – Beaucoup défendent que les droits de l’homme doivent être efficacement travaillés comme contenu programmatique en partant de premiers degrés de l’éducation scolaire. Êtes-vous d’accord? Comment évaluez-vous la façon dont le sujet a été traité dans le cadre éducatif?
Yuri Costa – Il n’y a pas de respect des droits de l’homme sans une éducation adéquate en matière de droits. Et je ne parle pas de l’éducation sur les bancs des facultés de droit. Je parle d’une culture qui fait entrer l’éducation aux droits dans la salle de classe dès les classes les plus élémentaires de la vie scolaire. L’exercice de la citoyenneté, notamment par l’exigence des droits ainsi que par la lutte contre la violence et la discrimination, doit être cultivé dès le plus jeune âge.
Je comprends que nous sommes encore loin de cette proposition. Mais il y a certainement eu des avancées significatives au cours des dernières décennies. Les écoles et les enseignants sont de plus en plus sollicités pour aller au-delà d’un enseignement faisant l’accord et pour travailler sur les compétences et les capacités critiques des élèves. Cela me semble une voie pertinente pour ce que j’ai appelé ici la culture de l’éducation aux droits.
HU On-Line – La promotion des droits de l’homme peut-elle être considérée comme un moyen de chercher à réduire les inégalités? Et comment cela peut-il être rendu possible?
Yuri Costa – Dans un pays avec une très forte inégalité sociale comme le nôtre, la défense des Droits de l’Homme apparaît comme quelque chose de fondamental. Ainsi, toute défense des Droits de l’Homme devient un combat pour la réduction des inégalités. Il n’y a pas moyen de dissocier un élément de l’autre.
La réalisation des droits de l’homme passe, dans une large mesure, par l’élargissement des droits et des garanties sociales. L’inclusion de personnes et de groupes historiquement exclus dans des politiques publiques qui visaient auparavant certains segments de la société devient, par exemple, un facteur pertinent de l’efficacité des droits de l’homme.
IHU On-Line – Quelle relation pouvons-nous établir entre la promotion des droits de l’homme et la justice socio-environnementale?
Yuri Costa – Les dernières décennies ont considérablement transformé l’idée de l’environnement en Occident. L’une de ces transformations a été le dépassement de la défense d’une nature intacte comme objectif principal du discours environnemental ainsi que la perception qu’il faut se battre pour une perspective socio-environnementale. En gros, l’idée est aujourd’hui développée que la dimension humaine n’est pas séparée de la dimension environnementale.
Dans une large mesure, la défense des droits de l’homme, en tant qu’outil de protection des personnes et des collectivités vulnérables, finit par être intégrée dans la sphère socio-environnementale, car il n’est pas possible de garantir la défense des minorités sans se battre pour cette dimension. Cela est particulièrement vrai pour la protection des groupes ayant une vision du monde particulièrement liée à la nature et à ses ressources, comme les peuples et les communautés traditionnelles.
IHU On-Line – Quel Brésil saisissez-vous de l’État du Maranhão (État du nord-est du Brésil), où vous vivez?
Yuri Costa – Le Maranhão est l’un des États les plus pauvres et les plus inégaux du Brésil. Nous sommes classés en dernière position selon les différents indices de développement humain pertinents. Une décennie de travail en tant que défenseur public fédéral responsable de l’agenda des droits de l’homme au Maranhão m’a malheureusement appris à quel point la réalité du Maranhão reproduit aujourd’hui un état de choses marqué par la violence et le non-respect des droits dans les campagnes et la ville. Dans cette perspective, si l’expérience du Maranhão ne diffère certainement pas de la plupart des réalités brésiliennes, elle présente dans une bonne mesure une dimension particulière, liée surtout aux formes d’organisation et de mobilisation sociale.
IHU On-Line – Nous vivons une époque marquée par de nombreuses difficultés, au milieu de crises économiques, sociales, environnementales, politiques, éthiques et même sanitaires. Comment, au milieu de tout cela, pouvons-nous renouveler nos espoirs et croire qu’il est possible de changer cette réalité?
Yuri Costa – Le contexte que nous traversons pose différents défis dans le domaine des droits de l’homme, le principal étant de ne pas accepter les reculs. Les résultats obtenus dans la lutte contre les différentes formes de violence et dans la défense des droits sociaux ont été obtenus à des sévères épreuves, avec des sacrifices de la part d’individus et des collectivités; et cela sur le long terme. On ne peut admettre que ces réalisations soient réduites à néant.
En bonne mesure, c’est le renforcement de politiques gouvernementales qui peut contribuer à l’élargissement de ces droits. Lorsque les autorités publiques cessent d’agir et réduisent les investissements en faveur des populations vulnérables – ce qui est le cas – il devient vite évident que les Droits de l’Homme sont en déperdition. La conviction dans la nécessité de changer la réalité est quelque chose de nécessaire et de permanent. Nous ne pouvons pas perdre cette priorité. (Entretien publié par le site de l’Instituto Humanitas Unisinos qui se revendique d’une approche «sociale chrétienne»; traduction du brésilien par la rédaction A l’Encontre)