Féminisme et action syndicale: à McDonald’s, un collectif au carrefour des luttes

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SOURCE : Alternatives économiques

Dans un rapprochement inédit, des salariés de la chaîne de fast-food unissent lutte contre les discriminations sexistes et raciales et défense des droits syndicaux.

Samedi 16 janvier, à Paris, malgré la neige, des salarié·es se rassemblent à l’appel de la CGT devant le McDonald’s du boulevard Magenta, près de la Gare de l’Est, pour protester contre ce qu’ils considèrent être une attaque contre une équipe syndicale particulièrement active. Trois managers ont été licenciés après que la protection liée à leurs mandats passés de représentants du personnel a été levée.

L’hostilité de la multinationale de la restauration rapide à l’encontre du syndicalisme est bien connue. Elle est dans le viseur du puissant syndicat étasunien des employés de service, le SEIU, qui a engagé un combat de longue haleine pour relever le salaire minimum et faire reconnaître la liberté syndicale dans les fast-foods outre-Atlantique.

En France, où le « dialogue social » est plus installé, l’antisyndicalisme prend souvent des formes plus subtiles. L’employeur encourage par exemple les salariés ayant sa confiance à investir les mandats de représentation et en dissuade les autres, comme dans le cas du restaurant de la Gare de l’Est.

Le rassemblement du 16 janvier peut être lu comme un épisode supplémentaire dans la longue chronique des affrontements autour des libertés syndicales à McDonald’s. Il avait cependant quelque chose d’extraordinaire : aux côtés des syndicalistes de la CGT, les jeunes militant·es du collectif « McDroits » étaient venu·es faire cause commune. Membre du collectif, Mathilde a fait le déplacement depuis Le Havre, où elle vit et travaille, pour témoigner de la répression dont elle est également victime.

Avec une dizaine de collègues de son restaurant, la plupart étudiant·es-salarié·es, elle a fait grève le 24 octobre pour protester contre le harcèlement sexiste sévissant dans son restaurant, notamment de la part d’un délégué du personnel proche de la direction. Cette dernière s’est engagée à mener l’enquête qui a depuis confirmé le harcèlement sexuel ; un des agresseurs a été licencié et l’autre est sur le point de l’être.

Mais dans le même temps, Mathilde, salariée modèle n’ayant jusqu’alors jamais fait l’objet d’aucune remontrance au travail, s’est elle aussi vue convoquer subitement pour un entretien préalable au licenciement, qui lui a été signifié le 19 décembre. Elle se retrouve elle aussi devant les prud’hommes, avec l’appui de la CGT et d’associations qui soutiennent son engagement féministe et son rôle de lanceuse d’alerte.

Un maxi best-of de discriminations

La grève féministe menée au Havre, et dont Mathilde pense aujourd’hui payer le prix, a germé dans l’esprit des jeunes salarié·es en dehors de toute infrastructure syndicale préexistante. Elle est devenue réalité en rencontrant l’écho donné aux problèmes du sexisme et des discriminations à McDonald’s par le collectif McDroits. Reprenant les codes du mouvement féministe, le collectif s’est fait connaître le 8 mars 2020 en organisant un collage à proximité de plusieurs restaurants parisiens pour dénoncer le port de la jupe obligatoire et les violences de genre.

L’action du collectif McDroits s’inspire de la vague de mobilisations féministes qui saisit le monde, comme une réplique supplémentaire de #MeToo dans le monde du travail et des appels à la grève des femmes. L’hybridation des registres syndical et féministe permet ainsi de mettre en cause, dans un même mouvement, les rapports sociaux de sexe et de production.

Le 16 octobre, dans le sillage de la plainte déposée en mai 2020 devant l’OCDE par une coalition syndicale internationale contre le « harcèlement sexuel systématique » dans la multinationale, le collectif tenait un rassemblement devant le siège de McDonald’s France pour rendre publics des dizaines de témoignages de salarié·es et d’ancien·nes salarié·es victimes de violences sexistes, homophobes, racistes, transphobes ou grossophobes.

En menant un travail d’enquête et de mobilisation, amplifié par la presse et les réseaux sociaux, le collectif McDroits a ébranlé l’image, résumée par le slogan « venez comme vous êtes », d’une entreprise accueillante où chacun·e peut tenter sa chance et où tout le monde se tutoie, par-delà les lignes hiérarchiques. Il a mis en lumière des discriminations qui sont irréductibles au travail, mais constitutives du rapport à l’emploi des jeunes salarié·es.

A McDonald’s prévaut une hyper-division du travail inspirée du taylorisme industriel le plus classique : les salarié·es sont présumé·es interchangeables. Mais derrière cette figure générique du travailleur universel se cache la réalité des rapports sociaux : les caractéristiques d’âge, de genre, de race, d’orientation sexuelle ou d’apparence physique s’avèrent jouer un rôle décisif dans l’organisation du travail et la gestion de la main-d’œuvre.

D’une part, elles actualisent le pouvoir des responsables qui s’en servent pour affecter les équipier·es théoriquement « polyvalent·es » où bon leur semble : les jeunes femmes, et surtout celles qui sont jugées plus « jolies » ou correspondant aux critères socialement attendus de la féminité, sont plus souvent en caisse, les autres relégué·es en cuisine.

D’autre part, les discriminations et violences sexistes, racistes et autres qui poussent à l’exit une partie significative des jeunes recrues s’avèrent, tout comme le statut de jeunes en formation qui entre en tension avec celui de salarié, fonctionnelles dans le système de rotation élevée de la main-d’œuvre. Comme le rappelle l’ONG ReAct dans un rapport récent, c’est ce turnover qui permet de maintenir des niveaux de salaire bas et d’entretenir les promesses de carrière : pour quelques-un·es qui progressent à McDo, la plupart ne font que passer.

Ces défections ont d’autant moins de chances d’être interprétées comme le produit d’un milieu de travail peu inclusif qu’elles passent inaperçues dans un système où l’emploi, parce qu’il est occupé par un volant important d’étudiant·es salarié·es, est généralement éphémère… bien que les contrats soient en CDI.

Des mobilisations intersectionnelles

A l’heure où l’on fustige les « idéologies » du genre et de l’intersectionnalité, ce qui se joue à McDonald’s témoigne d’une convergence originale. Les alliances construites sur le terrain entre les syndicats traditionnels et un collectif parasyndical tel que McDroits font émerger les voix de jeunes salarié·es précaires qui, trop souvent, peinent encore à percer.

Loin de relever de problématiques « identitaires » éloignées des revendications « matérialistes » censées être au cœur du mandat syndical, la prise en charge des questions de genre, de race ou d’orientation sexuelle dans l’entreprise permet de souligner à quel point celles-ci modèlent les relations de travail. Les syndicats traditionnels les considèrent encore trop souvent comme secondaires.

Le mouvement de refus des assignations sexistes, racistes ou homophobes au travail contribue pourtant, chez ces jeunes salarié·es, à la formation d’une « conscience salariale » : elles et ils découvrent que leurs intérêts ne sont pas nécessairement ceux de l’employeur, qu’elles et ils ont des droits et qu’il existe des moyens de les faire valoir… comme l’action syndicale.

Depuis, la CGT McDonald’s compte de nouvelles adhérentes au Havre.

Karel Yon est sociologue, chargé de recherche à l’Idhes (CNRS, Université Paris-Nanterre). Il s’intéresse aux expériences de renouveau syndical et a publié récemment (en collaborations) : « Grèves générales », Mouvements, n°103, 2020 ; « Les jeunes, le travail et l’engagement », La Revue de l’IRES, n°99, 2019 ; Sociologie politique du syndicalisme, Armand Colin, 2018.


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