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SOURCE : Blog d'Antoine (NPA)
Le dernier sondage confirme cette probable majorité indépendantiste en redistribuant cependant les cartes politiques autrement que faisaient d’autres sondages espagnols : ainsi les républicains de la gauche indépendantiste (ERC) longtemps placés gagnants et, par là, pouvant faciliter un accord politique avec les socialistes, eux-mêmes présentés en position aussi de virer en tête sont aujourd’hui présentés comme dépassés par le parti plus radicalement rupturiste, le Junts de l’ancien président de la Généralité, aujourd’hui exilé et devenu eurodéputé, Carles Puigdemont. Si cette hypothèse qu’avance le récent sondage d’un média écossais se confirmait dimanche, c’est toute la politique du gouvernement, combinant un paradoxal débauchage chez les indépendantistes (auprès d’ERC) et de répression judiciaire des mêmes, qui ferait un flop monumental. Et qui relancerait le spectre de la “sécession” qui inquiète au plus haut point les partisans d’un régime plongé dans une profonde crise de légitimité, portée à incandescence par les révélations en cascade de la corruption de la maison royale.
Une crise politique dont ni l’arrivée de la gauche unie (PSOE-Unidas Podemos) au gouvernement, ni sa gestion problématique de la crise pandémique et de ses dramatiques retombées sociales, n’ont dessiné qu’elle puisse être ralentie voire contenue et en voie de résolution. Tout montre que les équilibres politiques à Madrid continuent à dépendre largement de ceux de Barcelone. Le socialiste Pedro Sánchez, n’étant parvenu à se gagner, pour faire majorité de gouvernement, qu’un Podemos en déclin accéléré, ce qui rendait caduque l’option préférée des historiques bipartistes du PSOE (Felipe González en tête) d’un accord “de régime” avec les droites, s’est vu contraint de chercher l’appoint parlementaire des….nationalistes honnis, basques, galiciens et…catalans. Et cela à coup de beaucoup de bluff politicien (le leurre d’un dialogue, qui ne vient jamais – et pour cause -, pour mettre fin à la crise catalane) et de quelques avancées budgétaires pour leurs aires respectives qui signaient certes ses capacités manoeuvrières mais aussi sa fragilité institutionnelle par les contradictions induites avec son soutien à une monarchie et un système territorial, parfois social, associé à la corruption, à la rude restriction des libertés et au développement accéléré des inégalités. Bref à un ensemble de positionnements structurels inacceptables sur le fond par ces partis nationalistes !
Ce qui, à partir de dimanche, se jouera en Catalogne de ces crises entrelacées de l’Etat espagnol dépendra beaucoup de la capacité d’un indépendantisme probablement gagnant à se ressouder ou pas autour d’une perspective de rupture institutionnelle que l’échec de 2017 a rendu plus problématique à mettre en oeuvre qu’imaginé !
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Les sondages pour l’élection catalane du 14 février sont désormais interdits dans l’Etat espagnol. Mais l’écossais The National vient de sortir le sien. C’est en anglais. Voilà ce qu’il donne qui corrige, à l’avantage de Junts et de la CUP et au détriment d’ERC et du PSC, le dernier sondage sorti outre-Pyrénées.
Junts : 20,37% et 32-35 sièges.
ERC : 19,78% et 30-32 sièges.
PSC : 19,34% et 28-30 sièges.
Ciutadans : 9,82% et 13 sièges.
CUP : 7,75% et 10-11 sièges.
En Comú Podem : 7,21% et 8-9 sièges.
VOX : 5,20% et 5-6 sièges.
PP : 3,57% et 3 sièges.
Avec 72 sièges, dans l’option la plus basse, l’indépendantisme catalan conserverait en l’accentuant la majorité absolue. Cela signerait l’échec cuisant de l’unionisme, à commencer celui du chef de gouvernement, le socialiste Pedro Sánchez, qui pensait faire une percée décisive en exportant de Madrid son ministre de la santé, Salvador Illa, comme tête de liste et en s’impliquant personnellement ainsi que nombre de ministres dans la campagne électorale. L’effet symbolique des socialistes arrivant en tête pour signifier une défaite radicale des “sécessionnistes” ferait un flop monumental.
ERC, longtemps donné gagnant, payerait le brouillage d’un positionnement du grand écart qui l’a amené à soutenir au Congrès le gouvernement de coalition socialiste/podémite tout en faisant feu de tout bois contre les socialistes catalans accusés d’avoir soutenu le coup d’Etat du 155 en 2017. En oubliant que Pedro Sánchez, alors dirigeant national du PSOE, avait été l’artisan de l’alignement de son parti sur la droite et sa violente répression des votant.e.s du référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017 !
Puigdemont, bête noire du régime ayant conquis dans son exil la victoire d’être élu eurodéputé, serait le grand gagnant de cette élection mais il devrait se confronter à la difficulté de tenir son engagement de proclamer unilatéralement l’indépendance (ce qu’il n’avait pas fait en 2017) si l’ensemble de l’indépendantisme dépassait les 50%, ce qui est tout à fait possible selon divers sondages. Difficulté d’abord car la mobilisation électorale, elle-même lestée par une abstention qui s’annonce bien plus élevée qu’en 2017, ne peut s’économiser, au vu de l’enjeu, de s’articuler à un rapport de force extra-électoral (la rue !), loin d’être gagné tellement les divisions des partis proindépendance et leurs guéguerres institutionnalistes ont profondément semé le doute sur leur volonté d’aller de l’avant, vers la République catalane.
Si l’on ajoute que l’Etat espagnol conserve, sous le gouvernement de gauche, toute sa capacité de nuisance liberticide et qu’il n’hésiterait pas à la faire jouer au moindre geste sécessionniste, il y aurait nécessité à “travailler” sur un temps donné ladite rupture en termes d’organisation de la remobilisation populaire en usant de tout ce que la désobéissance civile, donnant une place essentielle à la revendication de libération des prisonniers politiques, autorise comme dynamique de radicalisation massive ! C’est en gros ce que la CUP anticapitaliste, dont ce sondage prédit une forte poussée, a opposé au volontarisme exacerbé de Puigdemont. Non pour reculer sur la nécessité de l’indépendance mais pour faire que, dans un délai raisonnable (à la différence d’ERC qui renvoie la rupture aux calendes grecques), soit évité le travers qui a mené à l’échec de 2017 : l’impréparation !
Les Communs, qui sont les alliés de Podemos, ne parviendraient pas à convaincre que leur mutation pleine et entière vers l’espagnolisme (ils furent partisans d’un catastrophique ninisme en 2017, ni PP, ni indépendantisme) et l’union (sur le mode subalterne) aujourd’hui avec les liberticides socialistes sont payantes dans des terres attachées à leurs libertés. Libertés que, dans sa continuité historique, l’Etat espagnol monarchiste leur a toujours déniées, dénaturées ou rabotées jusqu’à ce jour.
Ciudadanos qui, en 2017, avait réussi à capitaliser autour de lui la victoire espagnoliste du 155 (la mise sous tutelle de l’Autonomie catalane), est en déroute aujourd’hui. Ce dont profitent le PSC qui, sans vergogne, fait du pied à son électorat farouchement anticatalan, et l’ultradroite Vox dont l’entrée au parlement catalan est hélas assurée. Dynamique donc de recomposition de l’électorat de droite dont fait aussi les frais le PP qui s’enfonce dans toujours plus de marginalité politique. Il vient de recevoir le coup de grâce du procès de son financement occulte qui s’ouvre en ce moment même : le trésorier du parti emprisonné depuis longtemps a mis à exécution ses menaces de tout balancer pour se venger du lâchage de l’appareil “populaire”.
Resteraient donc nombre d’incertitudes et d’inconnues si les projections de ce sondage se vérifiaient en donnant un net avantage dans le camp indépendantiste aux plus radicaux (Junts et CUP) : ce qui signerait un coup terrible à la stratégie du régime espagnol de la répression judiciaire “à la franquiste” visant à éradiquer l’idée sécessionniste. Mais cela signerait aussi le nouveau défi pour l’indépendantisme catalan de reconstruire sa propre stratégie et, en particulier, d’élargir sa base sociale tout en constituant un Govern opérationnel, ce qui n’est pas le cas depuis 2017. Cet élargissement au demeurant ne saurait échapper à la mise en place de mesures sociales de haut niveau seules à même de convaincre les couches populaires non indépendantistes que, malgré tout, la république catalane serait autrement plus sociale et populaire que la monarchie des héritiers du franquisme, de son syndrome structurellement antisocial et corrompu… Mais pour cela il faudrait que Junts et ERC révolutionnent un logiciel politique de “pragmatisme” social-libéral limitant la mise en place ces prémices d’une orientation radicalement sociale sans laquelle de larges secteurs populaires ne verraient pas leur intérêt d’accepter de s’intégrer à une logique d’émancipation seulement nationale ! Ce que la CUP cherchera probablement à faire valoir auprès des deux autres composantes indépendantistes si les urnes lui sont aussi favorables qu’annoncé !
Antoine