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SOURCE : France culture
Donald Trump n’est pas une nouveauté dans le paysage politique américain : des leaders populistes, les Etats-Unis en ont déjà connu. Mais quelle que soit l’époque, couper l’herbe sous le pied aux démagogues n’est pas facile. Et si l’exemple de F. D. Roosevelt pouvait nous éclairer en la matière ?
Que Donald Trump ne soit pas une absolue nouveauté dans le paysage politique américain, c’est ce qu’affirme le politologue Michael Lind qui rappelle dans un article publié sur le site Project Syndicate quelques précédents.
1872-1904. Les “Bourbon Democrats” sudistes
Après la guerre de Sécession, les gros bonnets du Sud ont formé une espèce de ligue suprématiste blanche, pour résister à l’émancipation des anciens esclaves noirs par les yankees nordistes victorieux. On les appelait les Bourbon Democrats, car ils s’étaient emparés de ce parti, par haine des Républicains qui dominaient les Etats du Nord. Afin de maintenir les cadres de leur “économie de plantation”, malgré l’interdiction de l’esclavagisme, il leur fallait maintenir des salaires très bas pour leurs travailleurs agricoles, tant noirs que blancs. Ils ont aussi utilisé, dans des proportions scandaleuses, la main-d’œuvre quasi-gratuite des prisonniers, détenus dans les tristement fameux pénitenciers du Sud.
Les Bourbon Democrats ont multiplié les obstacles légaux à l’inscription des Noirs et des Blancs pauvres sur les listes électorales. Et c’est pour mettre fin à ces pratiques répugnantes qu’a été voté le Voting Rights Act, en 1965. Cette oligarchie politique sudiste s’appuyait sur les petits fermiers blancs. Elle les séduisait en usant d’un langage vulgaire. Ainsi, le gouverneur de Caroline du Sud, Benjamin R. Tilman, était surnommé Pitchfork Ben (Ben la Fourche), parce qu’il avait menacé le président des Etats-Unis de “lui planter sa fourche dans son gros cul”. Ils s’en prenaient aux grandes banques et aux grandes compagnies “venues du Nord pour exploiter les pauvres Blancs du Sud”.
Ces démagogues tablaient, pour ce faire élire, sur le racisme des petits Blancs. L’un des plus fameux fut le gouverneur d’Alabama, George Wallace, farouche défenseur de la ségrégation raciale dans le Sud, qui se présenta deux fois aux primaires présidentielles démocrates, avant de concourir sous les couleurs de son propre parti, en 1968 : il emporta plus de dix millions de voix et finit troisième. Mais une fois élus, ils trahissaient habituellement les intérêts de leurs électeurs pauvres et rejoignaient l’élite sociale locale. Certains ont créé de véritables dynasties, tel le gouverneur, puis sénateur de Louisiane, Huey P. “Kingfish” Long. Lorsqu’il fut assassiné en 1935, c’est son frère qui lui succéda au poste de gouverneur et son fils au Sénat.
XXe siècle. De James Michael Curley à Rudy Giuliani
James Michael Curley (1874-1958), maire de Boston, puis gouverneur du Massachussetts, se faisait appeler “le maire des pauvres”. Il finit en prison pour corruption. Frank Rizzo (1920-1991), maire de Philadelphie de 1972 à 1980, et Rudy Giuliani, maire de New York de 1994 à 2001, appartiennent à cette catégorie de politiciens qui prétendaient défendre les “pauvres Blancs” contre les élites. Trump, à cet égard, n’était en rien une nouveauté, comme l’ont trop facilement prétendu ceux qui connaissent mal l’histoire politique américaine.
De même, poursuit Lind, comparer Trump avec les dictateurs fascistes des années trente est absurde. Mussolini et Hitler avaient le soutien des militaires, de l’administration, des élites universitaires et des principaux réseaux d’hommes d’affaires de leurs pays. Trump, au contraire, avait su les unir contre sa personne et son style de gouvernement. Non, si on peut comparer Trump à d’autres politiciens, c’est plutôt à des personnages comme Matteo Salvini. Pas plus qu’on ne saurait réduire Trump au “_nationalisme blanc_“. C’est une fausse piste : le fait qu’il ait nettement percé auprès de l’électorat latino, et même amélioré son score chez les Noirs, entre les deux scrutins présidentiels de 2016 et 2020, le démontre. Et Michael Lind donne alors une leçon aux responsables politiques de son pays, qui vaut bien au-delà des Etats-Unis : “En tant que style politique, écrit-il, le populisme émerge lorsque les politiciens conventionnels et les dirigeants des partis ignorent les préoccupations de groupes importants au sein d’une population.”
Comment Roosevelt réussit à couper l’herbe sous le pied des populistes
Bien sûr, les démagogues populistes offrent des réponses fumeuses aux questions de ces gens, mais ce sont des problèmes réels et il faut leur apporter des réponses sérieuses, si on veut couper l’herbe sous le pied aux populistes. C’est pourquoi l’élite sociale devrait arrêter de faire des délocalisations, du commerce international et de l’immigration, des questions tabous. “L’histoire américaine démontre que la meilleure façon d’éliminer le populisme est d’incorporer les électorats qui se sentent aliénés dans la politique mainstream et de s’occuper sérieusement de leurs sujets de plainte.” C’est exactement ce qu’a su faire Franklin Roosevelt pour mettre fin à la Grande dépression des années trente.
Conclusion : “Les populistes sont souvent des canailles, mais ceux qui les suivent méritent d’être respectés et entendus. Le populisme démagogique est une maladie de la démocratie représentative. Soigner cette maladie passe par la représentativité effective.”