Joseph Ponthus, forçat et poète

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SOURCE : Marianne

Joseph Ponthus, forçat et poète

Eric Poindron, poète et éditeur, rend hommage à un ami et à un poète singulier, Joseph Ponthus, foudroyé par un cancer à 42 ans. Homme attachant, prosateur populaire et musical, il était un des rares représentants d’une littérature ouvrière cheminant entre le swing troubadour et le raffinement. C’est l’homme d’un livre qui disparaît, mais son cri de survie devenu un petit succès continue de retentir.

Baptiste, alias « Joseph Ponthus », l’écrivain, le poète, le camarade, le costaud n’est plus. Il s’est éteint mercredi 24 février entouré de son épouse Krystel, de sa maman, de Pok Pok le chien et de son chat. Joseph le géant, le colosse fragile et sensible comme un enfant a été terrassé par le cancer à quarante-deux ans et ses amis nombreux sont dans la peine. Les amis de partout : les compagnons d’usine, ses éditrices, les écrivains, les libraires, les lecteurs, les rencontres de salons du livre ou de buffet de gare. Rarement homme a été autant homme du peuple et homme de joie.

Joseph et son livre unique À la ligne – Éditions La Table ronde -, sont arrivés comme un boulet – boulot – de canon. Un titre astucieux et invendable, « À la ligne », et pourtant derrière le titre un grand texte, une profession de foi et une leçon de courage ; un texte d’écrivain aussi. Un roman dit-on, qui n’est pas tout à fait un roman et qui n’est pas non plus seulement de la poésie. Un témoignage peut-être mais à la jolie manière Ponthus. Sans ponctuation et presque sans respiration. Une plongée dans l’univers du travail pénible, de l’usine et des conserveries de pêche et de la camaraderie. Ses phrases éclaboussent, entraînent, comme les vagues nous emportent dans leur flots : « L’usine serait ma Méditerranée sur laquelle je trace les routes périlleuses de mon Odyssée Les crevettes mes sirènes Les bulots mes cyclopes La panne du tapis une simple tempête de plus Il faut que la production continue Rêvant d’Ithaque Nonobstant la merde. » Un de ces livres rares que la presse célèbre, que les libraires prescrivent et que les lecteurs se refilent comme on le ferait d’un secret à partager. L’histoire d’un bonhomme de lettres ; d’un bon-homme et d’un honnête homme. Joseph était celui-là. Poing levé et serré, sourire à la lippe et la larme à l’œil. Toujours.

UN GARS DE REIMS, POING LEVÉ ET SERRÉ

Le gaillard était un gars de Reims, un champenois qui avait fait ses humanités à Saint-Joseph, école d’excellence où il avait appris le latin et les bonnes manières. Il aimait la Cathédrale, l’histoire de la cité des Sacres et le champagne. Il aimait aussi Paul Fort et les biscuits roses. Il aimait sa jeunesse comme il aimait la Bretagne, sa nouvelle peau, sa nouvelle vie. Après avoir été éducateur spécialisé à Paris et militant de gauche comme il se doit, il avait rencontré Krystel, la femme de sa vie, et le chemin de l’usine. Parce qu’il faut bien vivre, parce qu’il était comme ça ; responsable et gentilhomme. L’usine, ça vous abîme, ça vous broie, ça vous néantise. Alors la journée, il écrivait dans sa tête, il se repassait des chansons et des poèmes, et le soir, épuisé, brisé, il notait tout pour ne rien oublier. Pas de revanche ni de colère, non, du sur le vif, avec distance et style. Il accumulait les phrases dansantes, les références littéraires et les brins de vie. Et l’effroi peu à peu prend forme.

L’écrivain et ami Jérôme Leroy a été le premier à repérer cette prose populaire et musicale, littérature ouvrière à la fois swing troubadour et raffinée. Et saint Jérôme a eu la bonne idée de faire lire les mots à la ligne de Joseph à Alice Déon qui dirige la Table Ronde. Le cri de survie est devenu un livre puis le livre un petit miracle. Les récompenses et les prix se sont enchainés. Les traductions et les projets de tout ordre : Théâtre, adaptation musicale, bande-dessinée. Des projets, encore des projets. Et des lecteurs, toujours plus nombreux, attendris, bouleversés, frères. Oui, à chacun de trouver dans le livre un peu de son histoire et de son combat. Joseph entreprit son tour de France et des libraires et chacun, anonyme ou moins, de se souvenir de ses mots justes, de son rire franc, de ses bras longs qui enveloppent et de son écriture fine. Joseph aimait les humains comme il connaissait le nom des fleurs ou le prénom des animaux de compagnie. Joseph était un frère humain, complice de Villon et de Léo Ferré, la révolte et la bonté en bandoulière.

« C’EST CHAQUE JOUR MON ANNIVERSAIRE »

Joseph avait sa chambre à la maison et, entre deux rencontres et entre deux trains, il apportait indifféremment la joie ou du nougat, des livres qu’il voulait partager ou des bouteilles à sacrifier, des éditions originales et de nouveau projets. Nous avons beaucoup devisé – les potins, Alexandre Dumas, les petits éditeurs de qualité – et à défaut de le refaire, tenté d’améliorer le monde. Nous fûmes piétons de Paris et piliers de bistrot. Nous avons léché les vitrines de librairies et écumé les réserves de l’école Estienne, nous avons agrandi la famille des amis et tissé à beaucoup des liens de Phraternité. Pierre Michon, Jean Rouaud, Christian Laborde, Guillaume Sire ou l’éditeur Dominique Tourte. Une agence tout risque qui aurait entendu les mots de Jean de la Fontaine, le poète et le champenois : « Il faut s’entraider, c’est la loi de la nature. »

Et en la matière, Phrère Joseph était un expert. Il se faisait un devoir dans ses rencontres d’apporter et d’encenser les livres qu’il aimait : ceux de Jane Sautière et de Pierre Michon, de Jérôme Leroy ou de Thierry Metz, de Xavier Grall, j’ai eu cette chance aussi. Et puis, il vous écrivait des cartes postales à l’ancienne et vous offrait les recettes de cuisine de Marguerite Duras. Et il riait, pleurait, riait de la vie et du succès auquel il n’était pas préparé. « C’est chaque jour mon anniversaire » répétait-il avant d’ouvrir une nouvelle bouteille de vin et de sortir, de son sac de marin, un livre qu’il vous offrait.

JOSEPH ÉTAIT PLUSIEURS ET ENTIER

Joseph était plusieurs et entier, révolutionnaire et tendre, chahuteur et courtois, enfant et sage. Il me revient la tendresse qu’il avait pour Anne-Lucie Bonniel l’attachée de presse et complice, ou Léa Wiazemsky, l’amie dumasienne avec qui les rencontres étaient mousquetaires. Ce jour est aussi sombre que la mort de Porthos dans Le Vicomte de Bragelonne. La mort d’un titan. « Plus rien ! Le géant dormait de l’éternel sommeil, dans le sépulcre que Dieu lui avait fait à sa taille. » J’ai dans les mains cette biographie reliée et introuvable qu’il m’avait offerte et que je ne voulais accepter. Mes mains sont lourdes de tous ces cadeaux, même si mes bras sont ceux d’un Porthos. Tu auras ton cierge à la cathédrale de Reims, notre cathédrale, homme de paroles et de loyauté ; mon joli bretteur de mots et de vie.

Le jour tombe et les oiseaux chantent déjà le printemps à venir et la douceur de vivre d’une fin d’après-midi. J’espère que Joseph le drôle d’oiseau est l’un des leurs.


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