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SOURCE : France culture
Dans une série d’éclairages à l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, France Culture vous propose de passer en revue cinq idées reçues sur l’événement – et cinq livres pour y voir clair. Premier volet : l’organisation de la Commune et ses valeurs morales.
A l’occasion du 150e anniversaire de la Commune de Paris, nous vous proposons de replonger dans les enseignements récents des recherches sur l’insurrection de 1871, qui font un sort à une petite litanie d’idées reçues et de lieux communs qui saturent l’image de l’événement, et empêchent parfois de le penser à sa juste place. Ni le bilan macabre du nombre de morts de la Commune, ni l’image d’une armée de prolétaires tendus vers la destruction de l’économie de marché, ni encore la place des femmes et la réalité de leur émancipation dans l’ordre social communard ne sont longtemps restés à l’abri de ce décalage entre la réalité et ses représentations.
Au fil d’une courte série d’articles nourrie de cinq livres parus dans l’actualité éditoriale récente, replongez dans cet événement qui démarrait le 18 mars 1871 sur les hauteurs de Montmartre pour s’achever dans un bain de sang, le 28 mai : voici cinq poncifes revisités pour faire le point sur ce que fut la Commune de Paris. Autant que la manière dont les historiens l’ont regardée.
Premier épisode : non, la Commune de Paris ne fut pas cette explosion anarchique et sulfureuse, sans organisation ni valeurs morales.
L’épisode de la Commune de Paris est souvent associé à l’idée d’un moment de chaos intense. De fait, la dynamique insurrectionnelle dont on ne peut l’étêter ajoute à cette représentation : le 18 mars 1871, c’est une ville qui fait front contre le pouvoir central – en tout cas dans ses arrondissements les plus populaires qui se soulèvent. Et les 72 jours que durera l’épisode sont bien à ranger du côté d’un moment d’intense bouleversement, tant au plan politique, moral, et quotidien. Avec cette révolution, c’est l’ordre social qui s’ébranle, et que les communards et les communardes entendent réinventer.
Malgré tout, cette vision chaotique a beaucoup à voir avec l’image des barricades et de la Semaine sanglante, du 21 au 28 mai 1871, qui verra la défaite de la Commune. Comme une vision qui se sur-imprime au risque de saturer l’image, cette représentation saccadée et échevelée crée un décalage. En effet, si la Commune envoie ses hommes, et quelques femmes, se battre contre l’armée versaillaise et si la guerre avec Bismarck crée un double front, cette vision paroxystique de l’épisode peut brouiller la compréhension qu’on en a. Car adhérer à la Commune de Paris, et en défendre les objectifs au plan des idées, ce ne fut pas seulement consolider une barricade, prendre les armes, et vaquer à sauver la révolution dans un Paris en flammes. Vivre sous la Commune de Paris et y travailler, ce fut, aussi, s’inscrire dans une vie quotidienne et administrative plus encadrée qu’on ne se le figure souvent.
Ainsi, la Commune de Paris ne fut pas seulement une longue bataille de 72 jours mais aussi un régime d’administration des Parisiens et des Parisiennes ; une “Ville libre” qui cherche à s’inventer sur des bases improvisées mais pas forcément brouillonnes. Très vite après le soulèvement du 18 mars à l’aube, l’idée d’organiser des élections s’impose par exemple aux chefs de file : ceci n’est pas un putsch. Elles auront lieu à la toute fin du mois de mars et avoir ce calendrier en tête permet de mieux considérer le caractère extraordinairement éphémère de l’épisode. Les traces archivistiques qu’il nous en reste témoignent aussi d’une organisation plus huilée, et plus bureaucratique qu’il n’y paraît parfois : en lieu et place d’une pulsion collective pour renverser la table, on observe plutôt des administrations qui reprennent et frappent du papier à en-tête, des associations qui s’arment de règlements intérieurs corsetés, et une morale révolutionnaire qui encadre le nouvel ordre social en train de germer.
Ainsi, les communards ne sont-ils pas tous des soldats révolutionnaires loin s’en faut, mais aussi des administrés et des administrateurs. Tandis que Versailles détient encore bien des leviers de l’action publique, et alors que la population parisienne a globalement faim, et sort exsangue du Siège de Paris à la fin du Second empire, la vie au jour le jour s’organise de l’intérieur. L’insurrection n’a pas 48 heures par exemple, que la poste fonctionne à nouveau, en tous cas dans les limites de l’enceinte de la capitale. Très vite, les leaders de la Commune puis ses élus s’affairent à rompre avec l’isolement de la ville en relançant le courrier vers les régions et même l’étranger. Si les rapports à la Banque de France sont tumultueux et que les délégués aux Finances de la Commune ne parviennent pas à obtenir l’argent espéré, la Banque de France ne cesse pas de fonctionner et l’activité de crédit continue sous la Commune de Paris.
Comme bien des denrées, le gaz manque, bien sûr, mais des travaux de voierie se poursuivent par exemple, et on veille bon an mal an à maintenir l’éclairage public. Quant débute la Semaine Sanglante, deux mois après le soulèvement, l’historien Jean-Louis Robert précise dans La Commune de Paris 1871, Les acteurs, les événements, les lieux (aux Editions de l’Atelier) que le tribunal civil a été remis en marche, et que 20 justices de paix sont en fonction. Tous les tribunaux n’ont pas encore repris leur fonctionnement, mais la Commune planche sur les réformes judiciaires et prend même quelques décrets qui montrent l’ambition d’installer un Etat de droit : pour lutter contre l’arbitraire, ce sera 24 heures maximum de détention en cas d’arrestation sauf notification explicite ; et si l’on renonce à l’exonération totale des frais de justice, certains actes deviennent gratuits.
“Mort aux voleurs !”
Sur le murs de l’Hôtel-de-Ville, on lit “Mort aux voleurs” sur une affiche où l’on apprend que désormais, les voleurs pris en flagrant délit seront fusillés. Et les plus visés sont les fonctionnaires corrompus. Les ivrognes sont aussi ciblés par les mesures de maintien de l’ordre. Autant dire, un corsetage de la population qui tranche largement avec les représentations qui ont pu voyager au moment de la Commune dans la presse versaillaise, ou dans des témoignages à charge que laisseront certains contemporains de l’événement qui nous décrivent une foule haineuse hors de contrôle, et un Paris vautré dans ses plus vils penchants.
En réalité, cette vision du Paris communard perclus de vice nous renseigne davantage sur les représentations des classes populaires et des foules dans la bourgeoisie de la seconde moitié du XIXe siècle, que sur la vie dans les rues de la capitale en avril 1871. L’historienne Laure Godineau rappelle dans le même ouvrage (La Commune de Paris – 1871, Les acteurs, l’événement, les lieux) que si la dépravation morale est sujet au printemps 1871, c’est plutôt pour dénoncer la société du Second empire, que la morale communarde regarde comme la mère de tous les vices.
L’historienne insiste au contraire sur le calme relatif de la vie à Paris, tandis qu’on se bat au-delà des fortifications : longtemps, les cafés ne cessent de fonctionner et font le plein. Même les témoins hostiles à l’insurrection, parmi lesquels des observateurs étrangers, décrivent une ville plutôt calme, loin des caricatures d’une ville avinée en pleins ébats. La question du sexe est en effet un motif récurrent, qui embarque avec elle de nombreuses représentations des femmes, et empêchera durablement de penser l’implication des femmes dans la construction politique communaliste. L’image de la prostituée échevelée a la vie longue, et continuera de voyager durablement derrière l’étiquette de “pétroleuse”.
Or en épluchant les archives, on se rend compte au contraire que certains communards contestent la présence des femmes de gardes nationaux sur le champ de bataille parce qu’elles risqueraient de les divertir. Si ces mesures font l’objet débat, le pouvoir communaliste fait également fermer des maisons closes et arrêter des femmes qui se prostituaient sur la voie publique. Dans l’imaginaire communard, elles sont sans doute davantage victimes que coupables, à une époque où la prostitution comme activité occasionnelle était très fréquente dans les classes populaires où l’on parlait de “cinquième quart” pour nommer ce complément de salaire. Mais dans la doxa communaliste telle qu’elle se déploie au fil des semaines, il s’agit plutôt d’organiser le travail des femmes pour leur garantir un salaire que de laisser faire : la prostitution est même fondamentalement attachée à l’image inégalitaire du Second empire, et parfois comparée à la traite négrière.
Si l’épisode n’excèdera pas 72 jours, c’est un nouvel horizon moral qui se dessine dans les archives qu’on peut encore consulter aujourd’hui. Parfois, c’est affaire de détails mais en ouvrant les cartons d’archives, on croise par exemple ici ou là des feuilles volantes qui font office de certificats de respectabilité : il s’agit d’assurer que le citoyen X ou Y est bien digne de foi. L’horizon de république sociale est aussi un horizon éthique, un bon citoyen est un citoyen loyal… et aussi un bon travailleur. De toutes ces traces affleure ce que Laure Godineau décrit comme “une nécessaire morale citoyenne” qui se met en place en même temps qu’on change d’ère :
La morale collective reposait sur la vertu révolutionnaire, conduisant à la fin de toute dépendance personnelle, au travail conçu comme antithèse de l’exploitation parasite, au dévouement au collectif, au respect du bien légitime. Le citoyen vertueux politique était juste et moral.
A l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, retrouvez une série d’articles pour éclairer cinq idées reçues sur la révolution de 1871, et leur faire un sort avec cinq ouvrages importants récemment (re)parus :
- Commune(s) 1870 – 1871, par Quentin Deluermoz (Seuil)
- La Commune n’est pas morte – Les usages politiques du passé, de 1871 à nos jours, par Eric Fournier (Libertalia)
- Les “Pétroleuses”, par Edith Thomas (Gallimard – Folio)
- La Commune de Paris – 1871 – Les acteurs, l’événement, les lieux, coordonné par Michel Cordillot (Editions de l’Atelier)
- La Commune de 1871 – Une relecture, sous la direction de Marc César et Laure Godineau (Créaphis).