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SOURCE : Lundi matin
Un parc d’attraction consacré au jour le plus long, celui du débarquement allié sur les côtes normandes, 600 000 visiteur.se.s par saison, 40 hectares de terres agricoles aménagées et bétonnées, pour la modique somme de 225 millions d’euros. C’est le projet fou qu’aurait pondu Hervé Morin, l’ancien ministre de la Guerre lorsque François Fillon officiait comme premier ministre de Nicolas Sarkozy.
Pour Morin, « On ne peut pas se contenter de faire l’évènement tous les cinq ans. L’objectif est de pouvoir retenir chaque année les touristes quelques jours de plus ». en rejouant le sauvetage du soldat Ryan en permanence au détriment de tout le reste : le ravage des écosystèmes, la précarisation des emplois, la marchandisation de la culture, le développement de la technopolice…
« Désinvesti de son territoire d’origine, le touriste nourrit l’espoir confus de trouver ailleurs ce qui lui manque chez lui : le goût de vivre une existence conviviale sur un territoire encore chargé de sens et de vie. Mais par sa présence même, il détruit ce qu’il est venu chercher. »
L’usure du monde. Critique de la déraison touristique, Rudolphe Christin
Un immense parc d’attraction sur le débarquement, 800 spectateurs qui avancent pendant 45 minutes dans un travelling de 800 mètres de long, 600 000 visiteur.se.s par saison, 40 hectares de terres agricoles aménagées et bétonnées sur la côte entre Carentan et Bayeux, le tout pour la somme colossale de 225 millions d’euros…. C’est ce qui serait sorti de la tête d’Hervé Morin [1, président de la région Normandie et de ses petits copains investisseurs [2]. Ce libéral revendiqué a toujours adoré la compagnie des grands patrons : « Avec eux, je me sens naturellement en phase. On parle pareil, on a le même comportement pragmatique et concret ».
C’était en souhaitant la nouvelle année 2020 qu’Hervé Morin a exprimé son projet lui permettant d’étendre son domaine de nuisance. Ami de l’ordre et du pouvoir, il affichait sa bonhomie en tant que ministre de la Guerre sous Fillon – Sarkozy. Des bureaux pour la guerre, aux centres de formation pour la guerre… il ne lui manquait plus qu’un parc d’attraction !
MA NORMANDIE, CALL OF DUTY
Qu’il s’appelle « D-Day Land » ou « Hommage aux héros », qu’un comité historique ou éthique l’accompagne, ne change en rien la nature du projet prévu pour 2024 (date du 80e « anniversaire ». C’est qu’il faut faire vite avant que le filon s’épuise !). Au-delà des différents conflits et désaccords sur les questions mémorielles et patrimoniales que pose une mise en scène à grand spectacle pensée par des anciens de TF1, c’est avant tout d’une industrie touristique dont il s’agit. Ce n’est pas tant sur le plan historique que nous nous insurgeons ici (quoique…), mais sur ce que l’industrie du tourisme de masse produit et révèle en termes de monde.
En Normandie, on compte déjà près de 100 sites [3]
lieux de mémoires et musées sur le 6 juin 44 et la boucherie qui s’en suit. La région en est minée. Chaque année des millions de touristes viennent ainsi se ressourcer sur les plages du débarquement et autres nécropoles militaires… un vrai musée à ciel ouvert ! Au-delà de l’aspect historique et pédagogique, avouons-le, 20 000 civils et 100 000 soldats morts, des milliers de mutilés, femmes violées et autres atrocités s’imposent aujourd’hui comme un marché lucratif.
Sur les fameuses plages du débarquement, le défilé des politiciens qui mènent et orchestrent des guerres un peu partout dans le monde n’est pas nouveau. Entre terre et bocage c’est une bien belle vitrine pour la paix dans le monde et l’amitié entre les peuples. Tous les cinq ans, c’est la grande parade médiatique des chefs d’État : Sarkozy, Obama et le prince Charles pour le 65e, Hollande, Obama et Poutine pour le 70e, Macron et Trump pour le 75e… Le Pen pour le 80e ? Avec eux, les touristes fanas de guerre et de son esthétique, des reconstitutions grandeurs nature, ou encore une multitude de vide-greniers où chacun peut s’acheter son déguisement ou son bibelot souvenir du débarquement.
Mais pour Morin ça ne suffit pas : « On ne peut pas se contenter de faire l’évènement tous les cinq ans. L’objectif est de pouvoir retenir chaque année les touristes quelques jours de plus ». Faire de la Normandie un spectacle permanent est donc l’objectif !
Dans un esprit de concurrence et une logique capitaliste, pour placer la Normandie comme première destination internationale grâce à la seconde guerre mondiale, ce sont tous les arguments en faveur de l’industrie du tourisme de masse qui sont mobilisés et qu’il nous semble essentiel de combattre.
A TOURISME INDUSTRIEL, RAVAGES INDUSTRIELS !
Le D-Day Land c’est à la fois l’arbre qui cache la forêt et le bulldozer qui la détruit. Dans l’ombre du spectacle ce sont des bouleversements du paysage et du quotidien qui s’annoncent. L’industrie du tourisme dépolitise, jetant de la poudre aux yeux à tout le monde (constructeurs, promoteurs immobiliers, restaurateur.trices, commerçant.es, élu.es…). Morin nous vend la poule aux œufs d’or mais lorsqu’un territoire est la cible d’une attraction touristique de masse, les dégâts sont considérables. Rappelons qu’ici, il est question de flux de 600 000 visiteur.ses par saison, ce qui équivaut à une moyenne de 3300 visiteur.ses par jour d’avril à septembre ! Une partie de l’année la densité de population explose et les manières d’habiter se retrouvent désorganisées. On ne mesure pas l’impact sur la circulation, les bouchons, les queues dans les commerces, l’impossibilité de se garer près de chez soi ou en bord de mer, les parkings géants qui ne servent que quelques mois dans l’année, les pollutions visuelles et sonores, mais aussi les loyers et l’immobilier qui flambent. L’autre partie de l’année c’est le vide. Les villages sont désertés, les commerces fermés et les maisons abandonnées. Avec le tourisme, on assiste aussi à une folklorisation du monde, des savoir-faire et des pratiques.
On ne mesure pas non plus la gueule des emplois créés. Car le tourisme est une machine à fabriquer des emplois précaires, saisonniers et parcellisés (prolos de l’hôtellerie et de la restauration, femmes de chambre, guides…) à l’heure de la réforme de l’assurance-chômage qui va taxer l’utilisation de contrats courts et s’attaque aux saisonnièr.es. Le touriste est un consommateur qu’il faut servir et qui devient toujours plus exigeant. Il veut tout, tout de suite. Le rapport n’est que superficiel, artificiel et marchand. Dans une même logique, des emplois et commerces d’autres secteurs qui ne supporteront pas le tourisme industriel seront sacrifiés.
On pourrait aussi mettre en avant la destruction des écosystèmes et tous les petits impacts environnementaux. Le territoire est réaménagé pour le plus grand plaisir de captifs consentants, le parcours doit être balisé, numérisé, connecté… tout en découvrant un territoire authentique ! Les infrastructures pour les accueillir, les bus tour, la fabrication de babioles en série, la bétonisation des terres, l’utilisation de technologies avares de métaux rares… Car l’industrie du tourisme, à l’instar des autres industries, c’est aussi un flux de marchandises toujours croissant : toujours plus de touristes pour toujours plus de biens de consommation (culturels ou non). Le touriste veut aussi se sentir protégé, sécurisé… attendez-vous à voir fleurir des réservistes et des caméras de vidéosurveillance un peu partout ! Tout concourt à une transformation du paysage en faveur d’une artificialisation abjecte.
Comme toujours, on transforme la vie des habitant.e.s en les dépossédant (privatisation des espaces, accaparement du temps, destruction d’écosystèmes…) afin d’assurer toujours la même logique du capitalisme qui permet le profit pour quelques-uns mais qui ravage les vies de beaucoup d’autres.
LA GUERRE, C’ÉTAIT MIEUX AVANT !
Mais le capitalisme ce n’est pas que Disneyland version 6 juin 44, le capitalisme c’est aussi et surtout la guerre. La réalité est tout aussi spectaculaire mais bien moins attractive. Ce que le spectacle ne dit pas c’est que la France s’engraisse chaque jour grâce aux guerres puisqu’elle est actuellement la 3e exportatrice d’armes au monde. Cette réalité, c’est aussi celle de l’État français qui, sur ces mêmes côtes normandes, fait la guerre aux exilé.e.s et empêche le passage de ceux qui veulent simplement rejoindre les côtes anglaises. D’un côté le touriste international que les politicards cherchent à attirer à tout prix pour qu’il dépense son argent, de l’autre le mauvais migrant qu’ils chassent à grands coups de dispositifs militaires. Pour l’État et ses sbires c’est « Tourist welcome, refugees go home ». La réalité c’est aussi l’armée qui recrute en polluant les trottoirs de nos villes de publicités indécentes pour poursuivre la guerre au Sahel. Guerre qui dure depuis 8 ans maintenant et qui coûte 2 millions d’euros par jour.
Définitivement, nous ne sommes pas pour le même monde. Et si pour l’instant, c’est votre camp (celui du spectacle, de l’argent, des catastrophes et des armes) qui mène la guerre contre les peuples, nous préparons la riposte !
GUERRILLA CAMEMBERT
[1] On lui doit entre autres le Balard, bâtiments construits en rapport avec le Pentagone américain, présent dans le 15e à Paris pour les états-majors des Forces armées françaises. Il a aussi lancé un Erasmus de la défense entre écoles militaires et centres de formation. On comprend pourquoi les diplomates américains de l’ambassade à Paris se réjouissaient de son affectation : « Proche de l’ambassade, amical et direct, il assume son affection pour les États-Unis et est parmi les plus atlantistes des députés ».
[2] On pense notamment à Europacorp, une boîte de production et de distribution de cinéma qui est côté en bourse (capitalisation de 31 millions d’Euros) dont Régis Lefebvre, directeur de la communication, dit très sérieusement : « Certains disent que notre projet est un spectacle… Cela nous choque ». Cette boite est aujourd’hui détenu par Axel Duroux (ancien DG de TF1, ancien producteur chez Endemol (Loft Story, Star Academy, Miss France)…). Mais en termes d’investisseur, il faut aussi voir le scénariste canadien Serge Denoncourt qui prône les « technologies nouvelles » mais se dit « écoresponsable ». Selon lui : « En 45 minutes de spectacle, on va apprendre plein de choses… ». Enfin, le producteur Roberto Ciurleo, petit bigot du show-biz qui rêvait de devenir curé, est déjà très fier de sa comédie musicale « Bernadette de Lourdes ».
[3] Source Normandie-tourisme. Liste des musées : Le Mémorial de Caen ; Musée du Débarquement à Utah Beach ; Airborne Museum, Normandy Victory Museum, Musée du débarquement ; centre Juno beach, Musée de la Libération…