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SOURCE : Libération
Les mesures sanitaires prises sans délibération ni vote du Parlement sont de plus en plus fréquentes. Elles sont non seulement attentatoires aux libertés publiques mais contribuent à creuser des inégalités déjà criantes.
Tribune. Face à la progression de l’épidémie de Covid-19, Emmanuel Macron a annoncé, mercredi 14 octobre, un nouveau train de mesures restrictives visant à ralentir la circulation du virus. Particulièrement attentatoires aux libertés publiques, ces mesures ont été édictées – comme le permet l’état d’urgence – sans délibération ni vote du Parlement. Jusqu’où faut-il admettre cette érosion démocratique, qui accompagne une telle atteinte aux libertés de tous ? Le «bon sens» évoqué par le président de la République lors de son allocution n’est visible nulle part et consiste plutôt, sans véritable délibération, à multiplier les mesures de restriction des libertés publiques. S’il nous faut désormais «vivre avec le virus», comme le répètent nos dirigeants depuis le déconfinement, faut-il pour autant accepter de vivre au rythme de ces restrictions, qui sont soustraites à tout débat public et sur lesquelles personne n’est appelé à voter ?
L’état d’urgence sanitaire, qui autorise le gouvernement à prendre, sans discussion possible, les mesures les plus contraignantes, a pu être nécessaire au mois de mars afin de limiter l’engorgement des hôpitaux. Mais cet état d’urgence et d’exception ne saurait être sans cesse renouvelé. La normalisation de ces pouvoirs exceptionnels confiés aux dirigeants, affranchis du processus démocratique, représente une atteinte de plus en plus alarmante aux libertés et aux droits fondamentaux.
Comment «vivre avec le virus», en effet, sans préserver notre vie démocratique, économique, sociale, et culturelle ? La lutte contre l’épidémie ne saurait, à elle seule, occuper tout l’espace politique. Dans un Etat de droit, les libertés publiques sont inaliénables. Nous refusons de vivre dans cet état d’urgence et d’exception perpétuel, où la moindre menace – aujourd’hui sanitaire, demain sécuritaire – pourrait suffire à justifier que des mesures si contraignantes soient mises en œuvre sans que personne ne soit appelé à les voter.
Parce qu’elle constitue une atteinte considérable à la liberté d’aller et venir, l’instauration d’un «couvre-feu» – mesure qui semblait, depuis des décennies, appartenir aux seuls livres d’histoire – n’aurait dû être envisagée qu’en ultime recours, et à la double condition qu’elle fût réellement utile et strictement proportionnée. Comment s’assurer que ces conditions sont bien remplies, dès lors qu’aucun débat n’a lieu avant la prise de décision et que le Parlement n’est pas même réuni ? Quelle garantie a-t-on qu’une telle contrainte était incontournable ? Quelle assurance a-t-on que le gouvernement a pris, en amont, toutes les mesures de dépistage et de soutien de notre système hospitalier public pour tenter d’éviter un tel expédient ?
La question est d’autant plus légitime que les effets délétères de cette nouvelle mesure de «confinement» sont désormais connus. Ces dispositions plongent d’ores et déjà dans la détresse de nombreux secteurs économiques, parmi les plus fragiles : restaurateurs, lieux culturels, indépendants, etc.
Dans le même temps, les mesures du gouvernement creusent les inégalités tout en les invisibilisant, car ce sont d’abord les plus précaires et les plus pauvres qui en pâtissent. Les conséquences économiques se font déjà ressentir, puisqu’on estime que la crise sanitaire a fait basculer un million de Français dans la pauvreté, tandis que l’accès au RSA n’est toujours pas ouvert aux 18-25 ans. Rappelons que le chômage et la pauvreté entraînent eux aussi des morts par leur bilan humain trop souvent négligé : les dépressions, maladies cardiovasculaires, addictions et autres troubles qu’ils entraînent seraient ainsi responsables de 10 000 à 14 000 décès par an.
Les inégalités ne peuvent continuer à se creuser, la pauvreté à s’aggraver, le chômage à s’accroître, dans la poursuite d’une illusoire maîtrise des risques exclusivement pandémiques, au prix d’une érosion toujours plus grande des libertés publiques et de la démocratie.
Dans ce «monde d’après» aux allures dystopiques, les citoyens se voient réduits à de simples travailleurs-consommateurs, leurs loisirs sont supprimés car considérés comme «un peu inutiles» par le président de la République. L’art, la culture, la vie associative, le sport et la fête sont ainsi relégués au second plan, alors qu’ils devraient, au contraire, constituer les moteurs de nos vies en ce qu’ils nous permettent de faire société.
Plus que jamais, il est nécessaire que s’ouvre un véritable débat sur la politique sanitaire. Mais ce débat suppose qu’il soit mis fin à l’état d’exception et que la démocratie reprenne enfin ses droits en France.
Parmi les signataires :
Lenny Benbara Fondateur du think tank Institut Rousseau,
William Bouchardon Responsable de la rubrique Economie du Vent se lève,
Laura Chazel Chercheuse en science politique à Sciences-Po Grenoble,
Gaël Giraud Economiste et directeur de recherches au CNRS,
Bruno Gaccio Humoriste, scénariste, auteur et producteur de télévision,
Caroline Mécary Avocate au barreau de Paris, ancienne coprésidente
de la fondation Copernic,
Gilles Perret Réalisateur documentariste,
Denis Robert Journaliste,
François Ruffin Député dans la première circonscription de la Somme (Picardie debout),
Pierre Zaoui Maître de conférences en philosophie à l’Université de Paris.