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SOURCE : Lundi matin
Je regrette mon premier confinement ; ces beaux vieux temps, au printemps. Je regrette mon angoisse, ma peur, ma stupeur, ma surprise, mon incrédulité, ma haine, que j’ai partagées avec tant, tant d’autres. Je regrette la rage, la violence, le changement qu’il a représenté, ce confinement. Je regrette le vocabulaire déplacé – la guerre – je regrette les héros, les applaudissements. On y croyait – enfin, pas moi, mais peu importe -, certains y croyaient et s’y retrouvaient, dans ce discours, dans leur dépossession.
Ils étaient là, ensemble, à 20h, le soir sur les balcons. Et c’était bien. Maintenant on ne les entend plus. C’est peut-être parce qu’il fait un peu froid…mais finalement, pas tant que ça. Peut-être bien qu’il y a quelque chose, quelque chose d’autre, qui s’est tiédie ? Je ne sais pas. Je sais que je le regrette. Je le regrette, mon premier confinement. Je regrette les queues de quinze minutes à la boulangerie, les pannes de farine – maintenant les rayons sont pleins ! Je regrette le silence, les corbeaux, l’absence de sens que l’on découvrait – maintenant, elle est partout. Je regrette que l’on regrette le temps d’avant. Maintenant on ne regrette rien, et en plus, on est presque contents. De plus en plus, on se contente, et de miettes. Oui, ça va. Ça va mieux et je regrette. Je regrette le soulagement que j’ai eu à l’époque. Je me disais qu’au moins, on n’était plus obsédés avec l’islam. Mais ce temps-là il est passé. Maintenant on a les deux. Se confiner est tellement banal que l’on peut le faire sans rien changer, en bien gardant nos vieilles obsessions. Confinés, on ne les oublie pas, au contraire. Peut-être même que se confiner permet de les solutionner ? Peut-être que, confinés, on sera plus “protégés” ? Je n’ose même pas y répondre. Mais je le regrette. Je regrette le premier confinement. Oui, on le dit souvent, et c’est vrai : on a bien raté le déconfinement. Mais ce n’est pas très grave : on l’a raté pour bien le réussir, le reconfinement. Et iI est bien là, il arrive, il est tout doux, il est comme un soulagement. Il est la voie bénie, en fin d’année. C’est celui que l’on attendait, c’est notre Messie. Et nous r’voilà résignés, assignés à la maison. Mais maintenant on n’a plus grande chose à foutre, maintenant on s’en fiche. On ne le respecte même plus tellement ce confinement, il est devenu à notre manière. On s’adapte. Et la vie continue. Et elle est presque belle. Et elle est presque bien. Elle est presque comme avant. Oui, il est à regretter, lui. Et je le regrette. Je regrette ce premier confinement. Maintenant, il n’y a plus de surprise. C’est juste : on se confine. Et bof. Il n’y a plus ces tonnes d’écrivains et de philosophes avec leurs théories de ceci ou de cela. Plus les optimistes qui disent que l’on se découvre à la maison, ou bien ceux qui nous voient en 1984, ou pire encore, et que Foucault ceci, que Foucault cela, et le numérique et blabla. Non, nous ça va, on est bien là, en télétravail. Au moins les gosses vont à l’école. On ne cultive plus le potager, on ne fait plus le pain, et on ne voit pousser que notre bide. Plus d’impro au reconfinement, maintenant c’est du sérieux, et on sait faire. C’est du confinement “normal”. On vit comme on voulait, sans changer. Je le regrette, bon Dieu. Je le regrette, bon sang. Je le regrette, putain ! Oh, comme je le regrette, mon premier confinement. Va savoir, mais les vents sifflent que les parcs resteront ouverts, vous imaginez cela ? On pourra même y aller à notre pause café. Café à emporter. Oui, il y en a. Oui, c’est trop bien. Et il ne faut pas qu’une Hidalgo ou un Lallement nous gâchent tout, car “eux”, en haut, ils l’ont bien réussi. Ils ont bien réussi ce reconfinement. Et moi je regrette. Je regrette mon premier confinement. Laissons-nous tranquilles. Laissons-nous tranquilles à la maison. On est bien parti pour y rester. Merci, Macron, merci Castex. Après l’affaire des masques, après les élections, vous entendre dire “on ne va pas reconfiner” c’était presque comme entendre une promesse. Des vœux d’amour pervers que l’on murmure à notre oreille. Ah, les coquins, c’est notre petit jeu…et vous avez bien tenu à nous donner ce plaisir, cet éclair de lucidité terminale pendant l’été et les premiers mois de la rentrée : un regain d’énergie comme celle qui arrive aux moribonds pour mieux y passer. Et ça a été trop bien de l’avoir aperçue. Oui, on l’a vue, la liberté. On s’est rappelé de sa beauté…et c’était comme un rêve. C’était bon, c’était très bon. Au soleil…et vous pouvez y aller, faites-moi autant de reproches que vous voulez, car je l’avoue : avec d’autres, c’est bien vrai, je l’ai baisée à fond. Oui, on a jouit ! Et nous avons aussi vu, nous avons bien vu qu’elle ne nous appartenait pas. Elle ne nous appartient plus. La vérité est qu’on ne savait plus vraiment comment s’y prendre. Masqués, et tout, couvre feu, et tout, distance, un mètre, deux sièges, il faut, il ne faut pas, tout ça, bof. C’était bizarre. On a eu du mal à s’y plonger, quoi. Parce qu’on le savait bien déjà. On savait que c’était fini pour nous et on n’y a pas vraiment cru. On n’était plus au niveau. On était maladroits. Mais peu importe. Finalement, c’est mieux comme ça. On est devenu trop laids, trop moches. Trop glauques. On pue. Moi, maintenant, depuis, je pue. Mieux vaut lui dire adieu, à la vie, et s’adapter. Faire comme vous voulez. On ne sait plus rien et on sait que vous n’avez pas raison. Mais on s’en fout. Au moins vous nous laissez encore un peu respirer. Et rêver. Et se rappeler. Moi, je me rappelle. Et je le regrette. Je regrette mon premier confinement. Je la regrette encore, la naïveté de mon premier confinement.
Pérola Milman est directrice de recherche en physique quantique au CNRS.