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SOURCE : Alternatives économiques
Alternatives économiques, 27 novembre 2020
Avant la crise, seuls ceux qui étaient les moins éloignés de l’emploi ont profité de la décrue du chômage rappelle le « 2e rapport sur la pauvreté en France » de l’Observatoire des inégalités, qui s’inquiète des effets sociaux de la pandémie, notamment sur les jeunes.
L’onde de choc de la crise sanitaire est encore devant nous. Alors que se profile une sortie progressive du second confinement, une troisième vague sociale commence déjà à déferler sur l’Hexagone. Faute de statistiques récentes disponibles, il est difficile de savoir précisément quel est l’impact du Covid sur le niveau de vie des Français. L’Insee vient de publier une estimation dite « avancée » du taux de pauvreté à 14,5 % de la population, mais ces données concernent l’année 2019. Et encore, pour avoir une photographie plus fine, il faudra attendre, la plupart des chiffres datent de deux ans. Malgré tout, plusieurs indices n’incitent guère à l’optimisme.
Signaux inquiétants
En 2020, le PIB devrait dévisser de 10 %. Le gouvernement a mis en place d’importants filets de sécurité qui sont censés limiter sérieusement les dégâts, et en premier lieu le chômage partiel à grande échelle. Mais cela ne suffira pas. Au troisième trimestre 2020, on comptait 2,7 millions de chômeurs en France, en hausse de 628 000 personnes. Et parmi eux, les plus précaires, qui sortent d’un emploi instable, risquent d’être mal, voire pas du tout indemnisés.
Autre signal d’alerte, depuis le 1er mars, les entreprises ont annoncé que 67 000 postes étaient menacés de suppression dans le cadre d’un plan social, contre moins de 27 000 si l’on prend en compte la même période en 2019, selon la Dares1.
Le nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active, le RSA, a lui aussi nettement augmenté : + 20 % à la fin de l’été par rapport au début d’année, soit 400 000 personnes de plus qui dépendent de ce minimum social pour survivre. Enfin, les associations caritatives alertent sur une hausse significative du nombre de personnes qui ont recours à l’aide alimentaire pour se nourrir.
« La situation est d’autant plus inquiétante qu’avant la crise l’état des lieux n’était pas reluisant », Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités
« La situation est d’autant plus inquiétante qu’avant la crise l’état des lieux n’était pas reluisant », souligne Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Même si le chômage avait entamé une décrue à partir de 2016, cette baisse était trop lente pour réellement améliorer le sort des plus démunis. Seuls ceux qui étaient les moins éloignés de l’emploi en ont profité.
C’est ce que rappelle avec force le « 2e rapport sur la pauvreté en France », que vient de publier l’Observatoire des inégalités. Entre 2013 et 2018, le taux de pauvreté est ainsi resté assez stable, avec une remontée en 2018 due notamment à la baisse des allocations logement décidée en 2017. Avant de diminuer légèrement en 2019, grâce aux mesures concédées par le gouvernement suite au mouvement des gilets jaunes.
En 2018, on comptait 5,3 millions de pauvres au seuil de pauvreté fixé à 50 % du niveau de vie médian, soit 8,3 % de la population. Ce seuil à 50 %, qui a la préférence de l’Observatoire, n’est pas le seuil officiel de pauvreté, qui s’établit à 60 % du niveau de vie médian. Selon la mesure officielle, c’est donc 9,3 millions de personnes qui étaient pauvres en 2018, soit 14,8 % de la population, un record. Mais l’Observatoire considère que cette convention est trop large et agrège des réalités trop différentes. Il préfère braquer ses projecteurs sur ceux qui concentrent le plus de difficultés, c’est-à-dire vivant avec moins de 885 euros par mois pour une personne seule.
Côté niveau de vie, c’est la grande stagnation depuis 2008. Du moins pour les plus modestes. Les 10 % des Français les plus pauvres touchaient au mieux 963 euros par mois à la veille de la chute de Lehman Brother. Dix ans plus tard, leur niveau de vie plafond est passé à 934 euros, soit une baisse de 3 %. Sans les prestations sociales, cette chute aurait été encore plus rude : 12 %.
« La stagnation des niveaux de vie des plus modestes reflète bien la situation de la France, comme de nombreux pays riches : une croissance terne qui se traduit soit par du chômage, soit par la création de pseudo-emplois, et une pauvreté qui ne se résorbe plus. En face, des classes aisées dont les niveaux de vie continuent à progresser », résume Louis Maurin.
Des jeunes essorés
Ce nouveau rapport offre un diagnostic très précis et, osons-le, « riche » sur l’état de la pauvreté en France. Les statistiques essentielles y sont compilées et analysées. Encore plus précieux, l’Observatoire des inégalités prend un soin suffisamment rare pour être souligné à détailler la fabrique de ces chiffres, qu’il ne prend pas pour argent comptant.
Avec cette année, un focus particulier sur les jeunes, en première ligne face à la crise qui se profile. « Si les personnes âgées ont subi les plus lourdes conséquences en matière de santé, les jeunes vont payer l’addition en matière d’emplois et de revenus », pointe le rapport. C’est en effet sur leurs épaules que repose en grande majorité la précarité du marché du travail. Ce sont eux qui cumulent les CDD, qui occupent ces nouveaux jobs non salariés qui pullulent.
Un constat que vient de confirmer par ailleurs la Dares, le service statistique du ministère du Travail, dans son tableau de bord sur la situation du marché du travail durant la crise sanitaire. Le nombre d’inscrits à Pôle emploi en catégories A, B ou C2 a explosé chez les jeunes de moins de 25 ans entre février et juin (+ 18 %), la hausse étant nettement moins prononcée chez les 25-49 ans (+ 8 %) et les seniors (+ 4 %).
Pour la Dares, outre la précarité de l’emploi, ce constat s’explique aussi par leur positionnement sur des métiers particulièrement affectés par les mesures de restrictions. Les jeunes sont très présents dans les métiers de l’hôtellerie-tourisme et du commerce : près de 40 % de ceux qui sont inscrits en catégorie A recherchent un emploi dans ces deux domaines, contre environ un quart des demandeurs d’emploi d’âge médian. A l’inverse, on compte moins de jeunes sur les services à la personne et le support à l’entreprise, qui ont été relativement épargnés par la crise sanitaire.
S’ajoutent à ces difficultés la quasi-impossibilité à se former dans de bonnes conditions et le vertige de ceux qui cherchent leur premier emploi. « Le fort ralentissement des entrées en formation pendant le premier confinement a également plus pénalisé les jeunes, qui sont surreprésentés parmi les demandeurs d’emploi en formation », note la Dares.
« Les entreprises sont dans la plus totale incertitude quant à leur avenir. Comment embaucher quand on ne sait pas si l’on va devoir se reconfiner du jour au lendemain ? On mesure l’anxiété des jeunes qui ont achevé leur formation initiale en juin dernier et qui, en septembre, n’ont trouvé que des portes closes », insiste Louis Maurin.
Chaque année, le marché du travail doit en effet « absorber » environ 700 000 nouveaux entrants, qui arrivent avec peu d’expérience. Cet automne, trouver un premier job va être très compliqué. Et pour eux aussi, la situation était déjà alarmante avant la crise sanitaire. Entre 2002 et 2018, le taux de pauvreté des jeunes de 18 à 29 ans a progressé de près de plus de 50 %, passant de 8 % à près de 13 %.
Cela ne devrait pas s’arranger : « Il y a malheureusement fort à parier qu’en 2023, quand on pourra enfin observer le détail de ce qui se joue aujourd’hui dans les statistiques publiques sur les revenus et la pauvreté des jeunes, les chiffres seront encore davantage dégradés », conclut Louis Maurin. D’autant qu’ils restent exclus du bénéfice des minima sociaux avant 25 ans…
Des aides trop restrictives
Les annonces faites jeudi par le gouvernement pour venir en aide aux précaires restent trop restrictives pour être à la hauteur de l’enjeu. Le Premier ministre Jean Castex a présenté lors d’une conférence de presse la création d’une aide exceptionnelle qui devrait permettre aux travailleurs « permittents » (qui alternent chômage et emploi) de maintenir leurs revenus à 900 euros par mois jusqu’en février. A la condition d’avoir travaillé au moins 60 % du temps en 2019.
La mesure devrait toucher 300 000 à 400 000 personnes, selon le gouvernement, dont 70 000 jeunes3. Les jeunes qui s’engagent dans un parcours de formation auront droit à une aide allant jusqu’à 500 euros. Dernière annonce : le nombre de bénéficiaires de la garantie jeune devrait être élargi, pour un effectif total porté à 200 000 personnes.
« Ces aides sont exceptionnelles et limitées dans le temps, commente Anne Brunner, de l’Observatoire des inégalités. On continue d’exiger un niveau de maintien dans l’emploi pour toucher cette allocation qui est élevé et très dur à atteindre pour les jeunes. Et en parallèle, il n’est toujours pas question d’élargir le RSA aux moins de 25 ans. »
Pour Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, « le gouvernement est capable de mettre beaucoup d’argent sur la table dans le contexte d’exception qui est le nôtre en ce moment, lié à la crise sanitaire. Mais il a toujours du mal à appréhender l’idée d’un revenu de remplacement digne de ce nom, hors urgence Covid. »
« Les aides annoncées jeudi sont exceptionnelles et limitées dans le temps, On continue d’exiger un niveau de maintien dans l’emploi pour toucher cette allocation qui est élevé et très dur à atteindre pour les jeunes », Anne Brunner, de l’Observatoire des inégalités
En témoigne le flop du revenu unique d’activité (RUA), qui visait à fusionner une dizaine de prestations sociales en une seule. « Le gouvernement a lancé une concertation sur le RUA, mais le chantier s’est brutalement arrêté au printemps, au moment où il devait y avoir des simulations, notamment sur son impact et son coût, explique Christophe Robert. Jean Castex nous a dit que cela devait continuer, mais nous n’avons toujours pas de calendrier. Cela ressemble à un enterrement en bonne et due forme. »
Quant à la garantie jeune, c’est une bonne mesure aux yeux d’Anne Brunner, avec tout de même deux écueils : « Elle est limitée à un an et surtout elle est contingentée. 90 000 jeunes en ont bénéficié l’année dernière, la jauge devrait monter à 150 000, voire 200 000, cette année selon les annonces du gouvernement. C’est bien, mais il y a 700 000 jeunes en situation de précarité… »
C’est pourquoi l’Observatoire des inégalités plaide pour la mise en place d’un revenu minimum unique. A ne pas confondre avec un revenu universel, qui serait versé à tous. Ici, il s’agit de cibler les plus modestes. Selon les estimations de l’Observatoire, 7 milliards d’euros suffiraient pour assurer aux plus démunis 900 euros par mois pour vivre, à partir de 18 ans. Sans autre critère d’éligibilité que le niveau de ressource. Un montant à comparer aux dizaines de milliards qui ont été mis sur la table pour aider ou réduire les impôts des entreprises, cette fois-ci sans aucune contrepartie.
- 1.Lire notre dossier spécial sur les plans sociaux à travers la France.
- 2.C’est-à-dire les chômeurs qui n’ont aucun emploi et ceux qui ont une activité réduite.
- 3.Selon l’Unédic, 1,6 million d’allocataires travaillaient chaque mois en 2018 et, parmi eux, 829 000 cumulaient allocations chômage et salaire.