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SOURCE : Aurélien Bernier
Depuis la fusion de Gaz de France et de Suez en 2008, le groupe qui est devenu Engie semble en restructuration permanente. Il est aujourd’hui menacé d’éclatement. Ce morcellement rappelle tristement le plan Hercule, dont l’ombre pèse sur l’avenir d’EDF.
En moins d’un an, la stratégie du groupe Engie a beaucoup changé. Sous la direction générale d’Isabelle Kocher, la multinationale misait avant tout sur les énergies renouvelables et les services. L’activité historique gazière, elle, était présentée comme dépassée. En février 2020, la dirigeante est poussée vers la sortie. Sous l’impulsion du président Jean-Pierre Clamadieu, Engie opère un virage à presque cent quatre-vingts degrés : le développement des réseaux énergétiques redevient prioritaire et pour y investir, certaines activités de services pourraient être vendues.
Ce revirement n’est pas le premier que connaît le groupe. Sitôt la fusion de 2008 réalisée, le conseil d’administration de GDF-Suez entend profiter de la libéralisation du marché de l’électricité pour concurrencer EDF sur le territoire français. Mais, en dépit de l’expérience de Suez dans l’électricité nucléaire en Belgique via sa filiale Electrabel, les résultats sont décevants. Engie s’engage alors dans un fort développement à l’international, rachetant l’électricien britannique International Power, et multipliant les acquisitions dans les pays émergents, en Amérique du Sud et en Asie notamment.
“Dégraissages” en série
À nouveau, le retour sur investissement n’est pas au rendez-vous. À partir de 2016, et sous couvert de transition énergétique, Isabelle Kocher cherche à réduire une exposition d’Engie aux fluctuations des marchés, jugée trop forte. Les grandes ambitions affichées sur les énergies renouvelables sont avant tout un repositionnement sur des énergies photovoltaïque et éolienne subventionnées, plus sûres financièrement. Quant à l’autre priorité stratégique les services, il s’agit certes d’un secteur de plus en plus concurrentiel, mais préservé des risques de Bourses et où le groupe dispose d’une forte expérience.
En deux ans et demi, près de 10 000 emplois sont supprimés, la relation clientèle est délocalisée, de nombreuses cessions sont réalisées.
Les rachats à l’international ont néanmoins coûté cher et Engie doit réaliser des économies. Au printemps 2016, la direction annonce un plan baptisé “Lean”, qui signifie littéralement “dégraissage” : en deux ans et demi, près de 10 000 emplois sont supprimés, la relation clientèle est délocalisée, de nombreuses cessions sont réalisées. Parmi elles, les activités d’exploration, de prospection et de production pétrolière et gazière sont vendues au fonds d’investissement Neptune en 2017.
Deux ans plus tard, ce fonds ferme ses bureaux en France, provoquant les premiers licenciements secs dans le secteur des Industries électriques et gazières (IEG). Comme pour tourner la page écrite par Isabelle Kocher, Jean-Pierre Clamadieu annonce dès le début de l’année 2020 vouloir réinvestir les secteurs du gaz et de l’électricité et simplifier l’organisation du groupe. Son plan consiste à scinder l’entreprise qui compte encore 170 000 salariés en deux branches. La première, New Engie, regrouperait le gaz, l’électricité, les énergies renouvelables et les services directement associés aux infrastructures. La seconde, New Engie Solutions, comprendrait les autres activités de service comme la performance énergétique des bâtiments ou le génie électrique
Engie cherche toujours à réaliser des économies et à dégager des liquidités pour de futurs investissements.
En dépit des apparences, il existe une certaine forme de continuité entre ce nouveau projet et les précédents. Engie cherche toujours à réaliser des économies et à dégager des liquidités pour de futurs investissements. Jean-Pierre Clamadieu ne se cache pas de vouloir mettre en vente Endel, une filiale spécialisée dans la maintenance industrielle, qui est un acteur majeur du nucléaire en France. De même, il souhaite céder les 40 % de Gaztransport & Technigaz (GTT) détenus par Engie, alors que cette entreprise est un leader mondial des membranes de confinement pour navires méthaniers et que l’approvisionnement en gaz liquéfié est en progression spectaculaire en Europe et dans le monde.
Du côté du réseau français de transport gazier, une baisse de 10 % de la participation d’Engie dans GRT est également étudiée. Mais comme par le passé, les nouveaux investissements sont plutôt attendus en dehors de l’Union européenne, dans des pays où la rentabilité des actifs est potentiellement plus élevée.
Le gaz pilori
Remplaçante de la réglementation thermique “RT 2012”, la nouvelle réglementation environnementale “RE 2020” interdit l’installation de chauffage au gaz dans les maisons individuelles neuves à partir de l’été 2021. Un coup dur pour Engie, avec à terme le risque d’une baisse des consommations de gaz en France. Et un paradoxe écologique, puisque le gaz “vert” issu de la méthanisation est amené à se développer fortement.
Le statut menacé
Du côté des salariés, on craint que la restructuration des filiales ne soit qu’une étape vers de futures cessions à d’autres énergéticiens – comme Total qui s’intéresse au négoce de gaz – ou à des fonds prédateurs comme Neptune. La chasse aux doublons et aux économies pourrait également supprimer des postes dans les services support et la recherche.
Quant au statut, il est lui aussi menacé par la réorganisation. Déjà filialisés, les services informatiques sont rattachés à la convention collective des bureaux d’études, Syntec, alors qu’ils étaient personnels des IEG à l’époque de Gaz de France. Un glissement forcé qui pourrait se reproduire dans New Engie Solutions. Ce morcellement d’Engie et les ventes à la découpe qui ont suivi devraient constituer une alerte, martèlent les opposants au plan Hercule qui menace EDF. Ce projet d’éclatement d’EDF pourrait aboutir aux mêmes funestes résultats.
La filialisation est à la fois une stratégie pour la privatisation du service public et un modèle d’organisation voulu par les investisseurs une fois les activités privatisées.
En règle générale, les marchés financiers sont davantage intéressés par des industries spécialisées, capables d’être plus facilement avalées ou revendues en fonction du contexte économique et des prévisions boursières, que par de grands groupes intégrés. La filialisation est à la fois une stratégie pour la privatisation du service public et un modèle d’organisation voulu par les investisseurs une fois les activités privatisées. C’est aussi un choix qui empêche toute politique de long terme au service du bien commun, que seul un service public déconnecté de la sphère financière est capable mettre en œuvre.