100 ans d’histoire de France et du PCF sur les murs. Les communistes s’affichent

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SOURCE : Dissidendes

Corentin Lahu, Guillaume Roubaud-Quashie (avec la participation de Nicolas Devers-Dreyfus et Catherine Leclère), 100 ans d’histoire de France et du PCF sur les murs. Les communistes s’affichent, Villejuif, éditions Helvétius, 2020, 189 pages, 24 €.

Un compte rendu de Christian Beuvain (avec la participation de Julien Hage)

Cet ouvrage est le catalogue d’une exposition d’affiches initialement prévue au siège du Parti communiste français (espace Niemeyer, 2 place du colonel Fabien, Paris, XIXe), pour le printemps 2020, reportée plusieurs fois suite à la crise sanitaire. Une exposition numérique, dont le plan entièrement thématique diffère de celui proposé par ce catalogue (majoritairement chronologique, avec seulement quatre thèmes retenus), visible sur le site de la Fondation Gabriel Péri, permet une comparaison fructueuse quant aux angles d’attaques énoncés1. Nous y reviendrons. Le catalogue2 propose un choix d’une centaine d’affiches, en quadrichromie, ainsi que quelques autres documents (cartes d’adhérents, papillons), sous la direction de deux historiens, le décidément très sollicité pour ce centenaire Guillaume Roubaud-Quashie, directeur de la maison Triolet-Aragon et de la revue à vocation théorique du parti, Cause commune, et le doctorant et archiviste Corentin Lahu3.

Revendiqué dès l’avant-propos et la préface, l’objectif de l’album dessine une continuité politique, retracer, par l’image, pour le « plus grand public », une histoire de France à travers l’histoire centenaire du parti communiste. La nature didactique d’un récit militant, communiste etnational, au service de l’humain – « l’humain d’abord » est le slogan actuel du PCF –, est d’emblée posée, non sans susciter, au fil des pages, interrogations, étonnements, froncements de sourcils. Les sept scansions proposées pour ces cent ans d’histoire, correspondent classiquement, dans la tradition de l’histoire politique, à des périodes bien distinctes du PCF, des débuts d’une avant-garde bolchevisante et volontariste (régénérer le socialisme, 1917 en surplomb)4 à la période actuelle, placée sous le signe unanimiste du « nous sommes les 99% ». Néanmoins, la séquence de l’Occupation, vierge d’affiches communistes, et pour cause – si ce n’est cette rareté (affichette [28 x 36 cm] plus qu’affiche d’ailleurs) des Jeunesses communistes (JC) contre le Service du travail obligatoire (STO) en Allemagne, dessinée à la main, page 50 – ne semble être présente que pour rappeler la répression anticommuniste des nazis (et Vichy ?), via deux proclamations des autorités allemandes. Les thèmes « Colonies », « Femmes », « International » et « URSS » complètent le premier panorama issu de la scansion politique classique. Que ce soit chronologiquement ou thématiquement, les affiches retenues ici, qui proviennent toutes des quatre mille déposées aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis (Bobigny), dessinent les luttes ouvrières et la défense des opprimés, la solidarité internationale (pour les Rosenberg exécutés sur la chaise électrique en juin 1953, le communiste grec Beloyannis exécuté en mars 1952, Mandela ou Angela Davis), la lutte antifasciste, le soutien à l’URSS, etc. L’époque contemporaine (la privatisation de la Poste, la COP 21, Macron en monarque) clôt le cycle.

Présentée hors contexte, en cimaise en quelque sorte, chaque affiche est référencée – titre, date, format, lieu de conservation – bien que l’auteur demeure souvent inconnu, hormis les plus repérables, par leur style ou plus prosaïquement, par leur signature. Pour les années vingt et le début des années trente, Jules Grandjouan (1875-1968) signe quatre des six affiches proposées.Étonne le choix de seulement six documents, pour cette période fondatrice sur le plan politique, tout autant que graphique – synthèse de l’influence soviétique, bien qu’idéalisée, et d’un héritage syndicaliste révolutionnaire. La prépondérance de Gandjouan, par contre, est logique, lui qui « pendant toute la décennie 1920, domine l’expression graphique du PC-SFIC »5, bien que ses compositions les plus symboliquement et explicitement communistes n’ont pas été retenues ici … N’est-il pas celui par qui le marteau et la faucille s’introduisent puis s’enracinent dans l’iconographie du Parti ? Dommage aussi que le caractère agonistique et dialogique des affiches, notamment dans leur lutte contre l’iconographie caricaturiste de droite d’un Sennep ou des crayons du Centre de propagande des républicains nationaux d’Henri de Kerillis dans les années 1930, laisse à penser que les affiches communistes existent par et pour elles-mêmes, autant que pour la seule histoire de leur parti.

Présentes, bien sûr, certaines des affiches les plus connues et les plus reproduites dans les manuels scolaires – celles de Fougeron, Interdiction de l’arme atomique, en faveur de l’Appel de Stockholm, en 1950 et Á bas le fascisme, en 1951 (p. 62, 70), de S. Salvi, Charcutage électoralen 1986, contre J. Chirac et C. Pasqua (p. 100), Union pour écraser la menace fasciste OAS, en 1961 (p. 122) – mais également d’autres, bienvenues, comme celle de René Brantonne, en 1945, superbe composition pour l’anniversaire de l’Armée rouge (p. 161), éditée par L’Avant-Garde, le journal des JC. Avant de devenir, entre autres, le célèbre illustrateur de la collection « Anticipation » des éditions du Fleuve noir, Brantonne travaille à la Libération pour la presse communiste ; il réalise, pour le même journal, une affiche pour la libération de Paris, des portraits format carte postale pour le compte d’une association de familles de fusillés de la Résistance, une bande dessinée sur Le colonel Fabien, héros communiste des Francs-tireurs et partisans (FTP), en 1945, ou une affiche rappelant le village martyr d’Oradour-sur-Glane.

Les années les plus « chaudes » de la Guerre froide (1947-1953-54), où le PCF mobilise tous ses moyens sur la propagande dans la rue, ne sont pas traitées en tant que telle car diluées dans le chapitre « 1944-1958 » soit le moment politique au cadre constitutionnel, et non le temps des crises dans lesquelles elles se sont inscrites, avant de s’enraciner dans les représentations des mémoires. Les lignes d’introduction résumant ces années-là, comme l’iconographie choisie, ont valeur indicielle. Elles signent un évitement de l’extrémisme propagandiste. La balistiqueiconographique de haute intensité6 de l’anti-américanisme se retrouve euphémisée en une simple « hostilité explicite » (p. 55). D’où le choix de ne présenter que Fougeron cité plus haut (p. 62) ou Rival Les Américains en Amérique (p. 63), une des moins violentes parmi toutes les productions de cette thématique comme de cette période. L’animalisation de l’ « ennemi américain », en araignées porteuses de peste ou en gigantesque pieuvre enserrant la France pour l’ étouffer, comme les massacres de la guerre de Corée (femme et son enfant baignant dans leur sang) ont disparu. Excessifs, trop excessifs ? Quant aux campagnes massives contre l’armée européenne – qui « ressusciterait la Wehrmacht » – et les traités de Bonn et de Paris (mai 1952) créant la CED (Communauté européenne de défense), produisant une imagerie violemment anti-allemande, enracinée dans les souvenirs très récents et douloureux de l’Occupation nazie, elles sont minorées. Sur ce moment propagandiste, une seule affiche, non signée, de 1954, moquant plutôt gentiment la réconciliation franco-allemande (p. 64-65), puisqu’il ne saurait être question de « germanophobie » (p. 55)7. Le lecteur ignorera donc, par exemple, cette composition de Jean-Pierre Chabrol (1925-2001), illustrateur et caricaturiste talentueux pendant toutes ces années-là.

Jean-Pierre Chabrol, « Démilitarisation de l’Allemagne », avril 1951, affiche lancée par souscription (L’Humanité, 14/4/1951)

Restent aussi dans l’ombre, les compositions les plus avant-gardistes et les plus impertinentes (aussi politiquement) des collectifs comme Grapus8, retenus pour leur affiche contre l’apartheid (p.154), ou des Malassis9.

Pour conclure, un livre décevant. L’impression persistante que l’iconographie n’est là que pourillustrer une histoire du PCF. Conception désuète, datée. Si graphie communiste il y eut – et il y eut, abondamment – pour occuper les murs de France, y apposer son empreinte, fronder les images adverses et marquer son territoire, bref, composer un paysage graphique10, elle n’est rendue ici qu’imparfaitement11. L’ouvrage lisse les aspérités dérangeantes des propagandes graphiques les plus extrêmes. La proximité revendiquée avec l’archive, qui n’exonère nullement d’un choix historiographique pertinent, se dilue dans la mise en avant d’un patrimoine visuel légendé par juxtaposition à l’histoire politique. Celui de Corentin Lahu et de Guillaume Roubaud-Quashi porte en filigrane la conception avancée dernièrement par Roger Martelli d’un Parti communiste « ancré dans la visée révolutionnaire tout en incarnant une sorte de réformisme radical, dans la lignée de Jaurès. »12 La courte postface de l’historienne de l’art Elodie Lebeau ne dit pas autre chose : manifestant par l’affiche la « généalogie des luttes », la France qu’incarne le PCF est « humaine et humaniste » (p.182). Le régime visuel ici valorisé porte en lui la marque d’une orientation politique apaisée, que l’on prétend étendre à une histoire centenaire pleine de ruptures, de fureurs, d’utopies radicales. Et en laissant un peu de côté les liens tout à la fois féconds, sympathisants et conflictuels avec les artistes et les graphistes13. L’histoire du trait PCF14, de ses fureurs comme de ses imaginations graphiques, reste à faire.

2Une édition spéciale à tirage limité offre en sus deux DVD proposant une sélection de films issus de la collection de Ciné-Archives. Outre les petits films de propagande des années 1920 aux années 1980, elle présente notamment un choix (non motivé) de discours des dirigeants du parti communiste autour du référendum européen : Francis Wurtz, Marie Georges Buffet, Robert Hue.

3Corentin Lahu, sous la direction de Jean Vigreux (Université de Bourgogne), entreprend une thèse sur Lutter contre la répression et organiser la solidarité ouvrière : du Secours rouge international au Secours populaire (1923-1945). Un premier aperçu de ses recherches sur https://gabrielperi.fr/centenaire/sri-au-spf-la-solidarite-comme-arme/

4Romain Ducoulombier, Camarades ! La naissance du parti communiste en France, Paris, Perrin, 2010.

5Romain Ducoulombier, Vive les Soviets. Un siècle d’affiches communistes, Paris, Éditions Les Échappés, 2012, p. 12.

6Repérable dans les dessins de presse de L’Humanité, de L’Humanité Dimanche, de France nouvelle, d’Action ou de La Vie ouvrière.

7Une pique pour Romain Ducoulombier, qui dans Camarades ! La naissance du parti communiste en France, intitule un de ses chapitres « La germanophobie communiste » (p. 76-79) ?

8Béatrice Fraenkel et Catherine de Smet (dir.), Études sur le collectif Grapus (1969-1990), archives et entretiens, Paris B42, 2016. Grapus, « Je me souviens d’une exposition à Thiers… », Album de l’exposition à l’Usine du May – Thiers, 2017.

9Vincent Chambarlhac, Amélie Lavin, Bertrand Tillier (dir.), Les Malassis. Une coopérative de peintres toxiques (1968-1981), Paris, L’Échappée, 2014. Titre ignoré en bibliographie, comme les précédents.

10Jacques Rancière, Le temps du paysage, aux origines de la révolution esthétique, Paris, La Fabrique, 2020.

11Étonnement, l’exposition virtuelle du site de la Fondation Gabriel Péri présente des affiches plus intéressantes, comme celle du Secours rouge des années trente, à propos de l’Algérie, rédigée entièrement en arabe.

12Roger Martelli, Le Monde, 30 décembre 2020.

13Libres comme l’art, cent ans d’histoire entre les artistes et le PCF, de Yolande Rasle et Renaud Faroux, préfacé pour sa part par Pierre Laurent, est publié de son côté aux éditions de l’Atelier (septembre 2020).

14Comme il existe un Trait 68. Voir le travail de Vincent Chambarlhac, Julien Hage, Bertrand Tillier, Le Trait 68, Paris, Citadelles & Mazenod, 2018.


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