Les bons mots: communisme et socialisme

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SOURCE : Blog de Denis Collin

Tous les mots de la politique sont archi-usés et finissent par perdre toute signification. Qui ose encore se dire communiste ? On s’expose à être traité de tous les noms, stalinien, totalitaire, Pol Pot, etc. Socialiste ne vaut guère mieux, tant le nom a été associé à toutes sortes d’infamies. Il y eut même un « national-socialisme ». Une démocratie populaire est un pléonasme, mais après l’expérience du « socialisme réel », le pléonasme est vraiment devenu suspect. Pourtant, il est nécessaire de se définir clairement et de redonner aux mots leur sens, tant ils sont chargés d’une histoire et porteur de sens. Ils ne sont pas de simples étiquettes dont on pourrait changer à volonté.

Je propose ici de préciser ce que j’entends par communisme et par socialisme et pourquoi l’un et l’autre définissent selon moi un programme politique sérieux, réaliste et parfaitement adapté à notre époque. Pourquoi ces deux mots-là, direz-vous ? Parce que je me situe dans la tradition historique du mouvement ouvrier et que, sans être un dogmatique, je continue à me définir comme « à l’école de Marx ».

Le communisme est une très vieille affaire, à la fois dans le contenu et dans la formulation. On a pu parler d’un communisme primitif pour caractériser les sociétés les plus anciennes qui ignoraient la propriété privée et l’État. Les premières communautés chrétiennes étaient indéniablement communistes, comme le furent les kibboutz israéliens – ils sont maintenant assez loin de l’esprit militant qui était le leur à l’origine. Il existe aussi du communisme dans toutes les sociétés : dès lors qu’il existe un système d’entraide, dans lequel chacun donne selon ses capacités et reçoit selon ses besoins, on peut parler d’embryon de communisme. Au sens donné par Marx à ce mot « communisme »1, la sécurité sociale est typiquement une institution communiste. Il y a du communisme dans tous les services publics gratuits – qui vont des jardins publics aux musées, aux bibliothèques, aux fêtes communales, et aux dispositifs d’assistance sociale. Les systèmes coopératifs et les mutuelles sont aussi d’esprit communiste. Le communisme n’est rien d’autre que la défense d’un bien commun. La thèse de Marx peut être reformulée ainsi : l’extension de ces modes d’organisation communistes est en germe dans le développement même du mode de production capitaliste qui pousse toujours à plus de coopération sur une base toujours élargie. On doit sans doute admettre qu’une société « intégralement » communiste n’est ni possible, ni souhaitable. Les individus ont aussi des biens propres, ils ont besoin d’une lieu à eux, d’une sphère privée et protégée de l’intrusion de la communauté et, par conséquent, la propriété privée, sur une échelle plus ou moins grande ne devrait pas être abolie, même dans une société beaucoup plus communiste que la nôtre.

Le communisme est un « philosophie sociale » mais sans doute pas une doctrine politique puisque n’est pas posée la question du pouvoir, de l’État et du gouvernement. Ma position est que l’idée marxienne d’un communisme progressant avec le dépérissement de l’État et la dilution du politique est une pure utopie qui, à la longue, se révèle extrêmement dangereuse. Du reste, cette thèse utopique ne découle absolument des autres analyses de Marx. On peut donc la retirer du corpus sans grand dommage. Si on maintient l’idéal émancipateur contenu dans la pensée de Marx et la tradition du mouvement ouvrier, il est donc nécessaire d’élaborer une doctrine politique. C’est précisément ce que l’on a fini par appeler « socialisme » dans l’histoire de l’Internationale. Le socialisme comprend deux volets. D’un côté, il propose une certaine conception de l’organisation de la société et, de l’autre, une certaine conception du pouvoir politique. Le préalable du socialisme est l’organisation républicaine du pouvoir et du gouvernement, en entendant par là ce qui a été théorisé dans la tradition républicaniste, ancienne autant que moderne. J’ai eu l’occasion de développer une version radicale du républicanisme dans mon livre Revivre la République !2

Je fais mien le mot de Jean Jaurès pour qui le socialisme est la république jusqu’au bout. Si la république est la « liberté comme non-domination », la république suppose que la liberté ne se limite pas à voter tous les cinq ans pour les gens appelés à décider à notre place. Elle suppose des moyens de contrôle du pouvoir et du gouvernement, un « droit de contestabilité garanti », mais aussi toutes sortes d’institutions de protection contre toutes les formes de domination, notamment dans les rapports de travail. Ce républicanisme social fait partie de la doctrine de courants qui ne sont pas socialistes mais pensent qu’est nécessaire une politique sociale et une large redistribution des richesses, ainsi le courant solidariste dont Léon Bourgeois est le principal représentant. Il n’y a pas des frontières biens nettes, il y a même une certaine continuité entre les républicains radicaux et les socialistes d’inspiration marxiste. Émile Durkheim et Marcel Mauss se disaient socialistes, comme Jaurès qui n’est pas marxiste mais accepte une bonne partie des théories de Marx.

Le propre du socialisme, comme courant parmi les républicanistes, est qu’il pense nécessaire non seulement de limiter la toute puissance du capital, mais encore de transformer les rapports de propriété par l’appropriation collective des moyens de production et d’échange et ce en mettant en place des réformes qui 1° font passer entre les mains de l’État un certain nombre d’entreprises stratégiques ainsi que les banques ; 2° développent le système des coopératives et en premier lieu des coopératives ouvrières de production ; et 3° organise un vaste réseau de services publics permettant d’assurer à tous, sur un pied d’égalité l’accès aux moyens d’une vie décente. En ce sens, feu le programme commun de « l’Union de la Gauche » des années 70 était bien un programme de transition vers le socialisme. Le « socialisme libéral »3 de Carlo Rosselli, militant antifasciste italien et fondateur du groupe Giustizia e libertà (« Justice et Liberté »), constitue aussi une variante possible du socialisme, intégrant le respect de l’autonomie ouvrière et l’action des syndicats.

Nous avons aujourd’hui besoin d’un nouveau mouvement socialiste parce que nous avons besoin que la nation puisse collectivement se ressaisir de son destin pour faire face aux menaces de tous ordres qui pèsent sur nous. Comment parler de « transition écologique » sans planification et comment planifier sans disposer d’outils stratégiques en termes industriels ? Comment résister dans la tourmente de la mondialisation en crise sans une communauté politique soudée autour d’un bien commun ? Le socialisme est bien à venir, pour reprendre le titre des deux ouvrages publiés jadis par Tony Andréani4. Un nouveau socialisme serait aussi un nouvel internationalisme, fondé non sur la dissolution des nations, mais sur leur coopération pacifique : à la place de cet infernal édifice qu’est l’UE, il faudrait promouvoir une association des républiques libres d’Europe.

Le 7 janvier 2021

 

1Voir la Critique du programme de Gotha

2Denis COLLIN, Revive la République, Armand Colin, 2005

3On se gardera bien de confondre ce mouvement avec la camelote vendue aujourd’hui sous ce nom qui n’est d’autre que la camouflage de la conversion des « socialistes » au pur et simple libéralisme économique.

4Voir T. Andréani, Le socialisme est (à) venir. 1. L’inventaire. 2. Les possibles, éditions Syllepse, 2002-2004


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