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SOURCE : Révolution permanente
La vague de plans de licenciements a été massive et sans interruptions depuis mars. La suite s’annonce plus sombre encore pour les travailleurs et les travailleuses. Face à la colère sociale qui vient, quel plan de bataille ?
Une vague de licenciements désormais plus importante qu’après la crise de 2008
Selon le ministère du travail, plus exactement les chiffres de la Dares, il y a eu dans la période allant de mars 2020 à janvier 2021 d’ores et déjà 763 PSE (les bien mal nommés « plans de sauvegarde de l’emploi », en réalité des plans de suppressions d’emploi) initiés, soit 80 000 ruptures de contrats envisagées. Trois fois plus qu’en 2019 à la même période.
A cela il faut ajouter l’énorme plan de licenciement déguisé que représentent les contrats non-renouvelés d’intérimaires et CDD, en plus des 5 800 procédures de « licenciements collectifs pour motif économique » hors-PSE (dans les entreprises de moins de 50 salariés, ou pour un licenciement de moins de 10 salariés). Il faudrait aussi ajouter les véritables « plan sociaux » déguisés qui ont lieu dans certaines boites qui veulent s’économiser même la formalité d’un PSE, comme à Alten, sous-traitant dans l’aéronautique ayant supprimé plus de 200 emplois.
Après le traumatisme enregistré avec le mouvement des Gilets jaunes, le gouvernement craint l’explosion d’une colère qu’il ne maîtriserait pas. Les mesures de contention de la crise visent d’ailleurs davantage à « étaler » les effets des licenciements, dans le temps, à désynchroniser les potentielles réactions, plutôt qu’à résoudre la crise elle-même. Selon ses propres chiffres, les plans de licenciements suivent un rythme de croisière de 20 ou 30 PSE par semaine, soit plus de 2 000 ruptures de contrats par semaine.
De plus, malgré les discours rassurants sur la « reprise à venir », les fondements de la crise se sont consolidés. Ainsi, l’endettement des entreprises a énormément augmenté via les prêts garantis par l’État (PGE) que les entreprises ont souscrit, non pas pour investir mais pour assurer leur trésorerie. En effet, selon la Banque de France, entre février et juillet, la dette des entreprises non-financières a augmenté d’environ 175 milliards, et leur trésorerie de 170 milliards, soit à peu près la même chose. Nombreuses sont les entreprises « zombies », survivant pour le moment sous perfusion, mais préparant une vague de faillites dans un futur proche.
Quelles réactions face au carnage de l’emploi ?
La France connaît depuis 2016 un niveau de lutte de classes important, allant des grèves dans les grands bastions du privé comme les raffineurs en 2016, dans le cadre de la lutte plus globale contre la Loi Travail, concoctée par Macron sous Hollande, aux deux mois de grève dans les transports contre la réforme des retraites, à l’hiver 2019-2020, en passant par la révolte des Gilets jaunes en 2018-2019. Le gouvernement le sait, et il s’inquiète d’une explosion sociale qui traduirait la colère accumulée depuis le début de la crise. C’est la raison des mesures de contention ayant pour objectif de retarder les effets de la crise, comme le chômage partiel ou les PGE qui, parallèlement, visent à maintenir à tout prix les profits. C’est le cœur du « Plan de relance » du gouvernement, un plan qui ne relance rien, mais arrose plutôt les banques et grands patrons de milliards.
Face à cette stratégie de contention, d’étalement et de divisions, la réponse logique de notre classe devrait être de chercher à concentrer nos forces, toutes nos forces et nos colères, dans un plan de bataille cohérent. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la logique des directions syndicales a été toute autre. En mars 2020, les salariés et les syndicalistes de base qui ont réussi à faire fermer leurs usines non-essentielles se sont battus seuls, sans les confédérations. Ceci a été suivi, six mois plus tard, par une journée isolée de mobilisation, le 17 septembre, ayant l’aspect d’une manifestation de rentrée et peu combative. Enfin, quatre mois plus tard, les directions syndicales dites contestataires (car on ne parle même pas ici de celles qui n’appellent à strictement rien) posent la perspective d’une séquence, fin janvier, avec une journée de mobilisation de la Santé, le 21, de l’Education nationale, le 26, de l’Energie, le 28, puis une journée interprofessionnelle le 4 février, sans compter une journée des routiers, le 1er février.
Loin d’être une séquence en vue d’un plan de bataille plus large, cette stratégie apparaît surtout comme une division des dates et des secteurs.
Face à cette passivité, les salariés de TUI France, qui subissent un PSE de plus de 600 emplois, ont lancé un appel manifester nationalement contre les licenciements le 23 janvier, en cherchant à regrouper les secteurs subissant des licenciements.
La relative passivité de notre classe jusqu’à présent peut s’expliquer par une combinaison de facteurs : la peur du licenciement à la crise sanitaire, la casse du collectif de travail (chômage partiel individualisé, télétravail,etc..) ou la répression toujours plus forte des mouvements sociaux. Toutes ces causes peuvent peser sur l’état d’esprit et la combativité, comme l’analyse cet article du Monde, par exemple.
Mais l’essentiel n’est pas là. Ce qui prime, ce qui pèse lourd dans ce climat, c’est le manque de perspectives. C’est de voir, en plus de l’absence des directions syndicales, que dans les grandes boites et face aux PSE les plus médiatisés, la stratégie qui est adoptée n’est pas le rapport de force mais la négociation du poids des chaînes. Quand tous les projecteurs étaient braqués sur la fermeture brutale de Bridgestone et ses 863 salariés, les syndicats sont restés pendant deux mois « admirablement calmes », pour reprendre les termes employés par un élu CGT Bridgestone. Ils se centraient sur des discussions avec les élus locaux et régionaux. Quand tout l’aéronautique scrutait la réaction des syndicats d’Airbus face au PSE de 5 000 personnes, le syndicat majoritaire dans l’entreprise, FO-Airbus, appelait, en juillet, à un débrayage d’une heure et demi, puis plus rien, accompagnant les milliers de suppressions d’emplois et les attaques des acquis de ceux qui restent…
Le rôle de la stratégie : l’élément clef de la situation sociale
Souvent, ces stratégies de négociation du moindre mal, avec, parfois, des indemnités de départs un peu plus hautes, mais acceptant de fait les licenciements, sont justifiées par le « rapport de forces » qui serait défavorable. Les gens ne voudraient pas lutter et les équipes syndicales seraient donc forcées de se résoudre à une logique d’accompagnement de la casse sociale. Pourtant, loin de s’adapter à cette soi-disant démoralisation généralisée, certains conflits ont choisi de se battre contre toute suppression d’emploi, de façon intransigeante. Nous avons comparé ici la ligne de la CGT Daher, dans l’aéronautique, qui a axé son orientation sur la négociation, a annulé le seul appel à grève fait en quatre mois, puis a fini par signer les 643 licenciements, à la stratégie de la CGT Toray CFE, qui a lancé une grève reconductible longue contre toute suppression d’emploi et a été très suivie par les salariés. De la même manière, les salariés de SKF Avallon montrent un exemple de dignité, en refusant même de discuter avec sa direction du PSE et en occupant de fait l’usine contre les 141 suppressions de postes et les mensonges de la direction de l’entreprise.
Enfin, les raffineurs de Grandpuits en grève contre Total et ses 700 suppressions d’emplois sont aussi un exemple de détermination. En reconductible depuis le 4 janvier, avec un taux de grévistes dépassant les 95 %, ceux-ci se battent durement non seulement contre le PSE, mais plus globalement pour l’emploi des sous-traitants et un avenir digne pour les habitants de la région et de la jeunesse. Le rapport de force, qui s’intensifie encore après deux semaines de grève, conteste aussi l’aspect soi-disant écologique du PSE. Face à Total qui explique vouloir mettre fin au raffinage pour des raisons écologiques (en réalité, pour délocaliser les activités de raffinage), la CGT Grandpuits a dénoncé ce greenwashing et a pris l’initiative de se lier aux organisations écologistes, pour prendre en compte, dans la lutte, « les impératifs climatiques aussi bien que sociaux, balayant l’opposition stérile dans laquelle le pouvoir cherche à nous enfermer ».
La combativité qui s’exprime n’est pas seulement le fruit d’un rapport de forces spontané, dont les syndicats auraient « pris acte » dans un second temps. Elle est en grande partie aussi le résultat d’une préparation consciente, d’un plan de bataille réfléchi et d’une équipe de militants qui cherche à donner des perspectives concrètes à la colère des salariés. Tout le contre-discours construit, en amont, contre Total, toute la préparation et la volonté de mettre les syndicats au service des assemblées générales ont joué un rôle dans la confiance que les grévistes ont dans leurs propres forces.
Ce qui est vrai à l’échelle de ces conflits l’est d’autant au niveau national, pour les travailleurs pris dans leur ensemble. La stratégie des directions confédérales se contente « d’enregistrer » le rapport de forces après coup. Comme l’expliquent Sophie Béroud, Karel Yon et Baptiste Giraud dans Sociologie politique du syndicalisme, « confrontés à l’affaiblissement militant de leur organisation, la préférence donnée à l’organisation de journées d’action espacées, sous la forme de manifestations plutôt que de grèves, est ainsi pensée comme le moyen d’élargir la mobilisation – et donc d’en renforcer la légitimité —, en privilégiant des formes de mobilisation moins coûteuses ou risquées pour les salariés. Cependant, la volonté des dirigeants de la CGT d’éviter les stratégies de radicalisation de la mobilisation et de blocage l’économie vise également à contenir la mobilisation dans des formes d’action jugées moins politiques et plus compatibles avec leur aspiration à retrouver une position centrale dans le jeu de la négociation collective ».
Or notre classe n’est forte que lorsqu’elle se bat en tant que classe, autrement dit que quand elle se soude dans la lutte, dépassant les frontières de l’entreprise, de la branche et au-delà, et non pas par une succession, une juxtaposition de conflits ou de dates de mobilisations.
Refuser d’accompagner le massacre, préparer la riposte possible et nécessaire
Face au tsunami de licenciements, les stratégies de la défaite combinant passivité et division ne font qu’accompagner le massacre. La situation impose la tâche urgente d’imposer une stratégie qui ne se limite pas à « limiter la casse » dans une situation qui, pour le moment, a tétanisé la classe ouvrière. Il en va de la vie ou de la mort des travailleurs en tant que classe mais aussi, dans une situation de pandémie mondiale, de leur survie physique. Le chômage de masse risquerait d’exercer une énorme pression sur les travailleurs en situation d’emploi pour les contraindre à accepter des conditions de travail dégradées. Pour les secteurs les plus précaires, la crise frappe plus dur qu’ailleurs et nombreux sont ceux qui risquent d’ores et déjà de tomber dans la misère. C’est pour cela qu’il faut construire collectivement un plan de lutte avec l’ensemble de secteurs qui se mobilisent aujourd’hui contre la casse sociale.
C’est avec cette volonté que les révolutionnaires, à Grandpuits ou ailleurs, doivent se battre non seulement pour regrouper tous les secteurs qui commencent à relever la tête, mais aussi pour commencer à incarner une autre stratégie du mouvement ouvrier, qui vise la victoire et articule la lutte défensive pour l’emploi à la contestation du pouvoir du patronat lui-même.