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SOURCE : Arguments pour la lutte sociale
(Arpen Abramovitch Dav’tian, militant révolutionnaire arménien, (1895-1944)
En ce jour anniversaire, voici une présentation de deux articles tirés des Cahiers Léon Trotsky à propos du groupe Manouchian : le 21 février 1944 les 23 du groupe étaient fusillés au Mont Valérien. Selon le témoignage de mon vieux père résistant et déporté, ce fut un hiver enneigé, glacial dans une situation odieuse, qu’il devait passer à Mathausen. Comme s’il était impossible d’apercevoir le bout du tunnel. Un article de René Revol dans les Cahiers Léon Trotsky, daté de septembre 1985, intitulé : « Derrière l’affaire Manouchian : le dévoiement d’une génération », mérite d’être remis à l’honneur. Il faut y ajouter une mise au point de Pierre Broué, accompagnant l’article de René Revol, concernant le trotskyste Dav’tian sur la base des éléments découverts dans les archives de Harvard. Question qui n’est pas seulement un point d’histoire mais qui est une critique de la position des trotskystes, après l’assassinat de Trotsky, sur la résistance armée…
Les quelques notes rédigées par Pierre Broué, à la suite de l’article de René Revol, sont très intéressantes, tout en révélant que l’auteur marche lui-même sur des œufs, puisque lorsqu’il rédige ces notes il est encore membre du courant lambertiste. Le numéro de la Vérité, organe de l’OCI, non daté, mais reproduisant une intervention de Pierre Lambert du 24 janvier 1969, est consacré à l’intervention des trotskystes en France pendant la seconde guerre mondiale. Pour le courant lambertiste il donne la conception d’ensemble de cette branche du trotskysme. 130 pages pour le commun des mortels illisibles, consacrées pour l’essentiel aux oppositions, aux chamailleries durant la guerre entre les différents courants éclatés pour aboutir à la réunification rapide du PCI (Parti Communiste Internationaliste) après la Libération, écarte d’emblée les rapports du mouvement trotskyste avec la résistance : le développement à partir de 1943 de la résistance au STO et le mouvement des maquis est caractérisé en deux lignes comme une guerre de partisans ou mouvement d’origine petite bourgeoise. ( !!! ) Quant à envisager l’entrée de militants révolutionnaires dans les FTP-MOI, elle n’est même pas évoquée. On peut se demander même si elle n’est pas posée comme contradictoire avec l’appartenance à la IVème Internationale.
C’est une tâche lourde sur l’histoire du trotskysme : la relecture des derniers textes de Trotsky sur la guerre et le mouvement ouvrier étaient pourtant clairs : il était évident que pour l’ancien chef de l’Armée rouge, la militarisation de la société à l’approche de l’agression hitlérienne rendait nécessaire celle du prolétariat sous la responsabilité d’officiers issus du mouvement syndical et politique. Le prolétariat devait se préparer à mener sous son propre drapeau la lutte armée contre le nazisme…
Lorsque Manouchian et ses 23 camarades du groupe rejoignent les FTP-MOI, ils le font en internationalistes, ayant la volonté de se battre les armes à la main contre la bête immonde. Leur seule patrie possible dans l’espace et le temps c’est la France des Lumières, – relisons sur ce point les poèmes de Manouchian – donc le mouvement ouvrier. Si l’acte est incontestablement internationaliste de ce côté, on sait quel rôle abominable a été joué par les dirigeants staliniens français en réponse. Lorsque les 23 sont exécutés, le PCF se prépare à co-diriger le pays avec Charles De Gaulle. La FTP-MOI devient encombrante. Pierre Juquin reconnaitra, il est vrai tardivement, en 2012 :
Au total plusieurs milliers d’immigrés et d’étrangers ont, dans la Résistance, défendu et honoré la France, mais ils ont longtemps été méconnus ou occultés dans les années qui ont suivi la Libération, tant par la mémoire gaulliste, que, dans une certaine mesure, par la mémoire communiste officielle… Et il ajoute : Dans sa poésie de la résistance, Aragon a entendu Jeanne filer, Roland sonner le cor. Il a senti le souffle de l’an II, et même retrouver la légende d’un aviateur de 1914-1918… Mais la triste vérité le poursuit : il n’a pas chanté Manouchian, à l’égal de Péri ou Politzer ! Pourquoi ce criant oubli ? Du communisme national il ne démordra jamais. Mais qu’est-ce que la nation ? En a-t-il donné une vision assez large, assez juste, sans chauvinisme ? Aragon souffre, il s’interroge. Il aurait dû. Il invente cette expression superbe : Français de préférence. » (Pierre Juquin, Aragon un destin français, tome 2, page 509)
Grzywacz, Elek, Wasjbrot, Witchitz, Fingerweig, Boczov, Fontanot, Alfonso, Rajman, Manouchian sont des noms qui ne sont pas compatibles avec la résistance stalino-gaulliste…
« parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles » écrira Aragon dans le poème l’Affiche rouge.
Et dans Richard II quarante :
Il est un temps pour la souffrance
Quand Jeanne vint à Vaucouleurs
Ah coupez en morceaux la France
Le jour avait cette pâleur
Je reste roi de mes douleurs
Aragon qui a chanté Jeanne d’Arc, sous les traits de Charles De Gaulle, oubliera les martyrs du groupe Manouchian jusqu’à la mort de Staline. Ce n’est qu’en 1953 que Jacques Duclos, au nom de la direction du PCF, diligente une enquête sur le groupe Manouchian, et Ô Horreur ! le vieux guépéoutiste découvre que celui qui avait été son bras droit, en qui Missak avait toute confiance, n’était autre que le trotskyste Dav’tian, fusillé sous le nom de Manoukian.
Les éléments donnés par Pierre Broué après l’ouverture des archives de Harvard sont parfaitement clairs. La recherche historique a mis en lumière qu’il ne pouvait y avoir aucune relation avec ceux qui préparaient l’assassinat du fils de Léon Trotsky, Léon Sedov. Aujourd’hui on peut retirer les guillemets que l’historien avait placé devant la qualification de trotskyste concernant la position politique de Dav’tian.
Honneur au militant internationaliste, trotskyste qui avait fait le choix ultime de la lutte armée contre le nazisme et qui était devenu l’ami et le camarade de Missak Manouchian.
« …je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand (…) Bonheur ! à tous ! » (Lettre à sa femme Mélinée).
RD, 21-02-2021.
Documents :
L’ancien « trotskiste » du groupe Manouchian, par Pierre Broué.
Derrière l’affaire Manouchian : le dévoiement d’une génération, par René Revol