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SOURCE : Le Poing
Nous avons tous et toutes vu les évènements récents aux Etats-Unis : l’assassinat policier de George Floyd, comme tant d’autres avant lui, tué froidement par un policier raciste. Ce qui est moins courant, c’est l’ampleur de la réaction : des nuits d’émeutes, un commissariat en flammes, des manifestations massives dans tout le pays qui voient des affrontements avec la police la nuit tombée. Il semblerait que ce soit les manifestations contre le racisme et la violence policière les plus importantes depuis 1968 et les manifestations suite à la mort de Martin Luther King (ref mort MLK). L’ampleur de ces manifestations s’explique par une situation de crise sociale faisant suite à l’épidémie de COVID-19. Les minorités ont été frappées le plus fortement par l’épidémie : taux de mortalité record, augmentation en flèche du taux de chômage, brutalités policières… Ces différences s’expliquent par le fait que les minorités du fait des discriminations racistes occupent les emplois les plus précaires, les logements les plus surpeuplés et ont un moins bon accès à la santé, qui rappelons-le, est privatisé aux Etats-Unis.
Ceci dit les causes de la révolte ne sont pas l’objet de cet article. Ce qui nous intéresse, c’est la violence d’état et les stratégies de maintien de l’ordre mis en place par l’état américain. Rappelons que le maintien de l’ordre en Amérique du Nord se caractérise par une forte brutalité et un processus de militarisation avancée : les différentes agences de police se fournissent en blindés et fusils d’assaut auprès des services de destockage de l’US Army.
De plus, le déploiement de l’armée (National Guard) est souvent une des étapes obligées du maintien de l’ordre américain face à des émeutes qui dépassent les forces de police locales : Détroit en 1967, Los Angeles en 1992, Ferguson en 2016. A la brutalité policière et au déploiement de l’armée, s’ajoutent parfois les milices d’extrême droite. Ainsi en 2016 à Ferguson, les Oath Keepers, miliciens d’extrême droite, patrouillent les rues armés de fusil d’assaut sans que les pouvoir publics n’y trouvent quoi que ce soit à redire…
Tous ces éléments se retrouvent dans la répression des manifestations faisant suite à l’assassinat de Georges Floyd par le policier Derek Chauvin. En plus de cela, Donald Trump semble jouer la stratégie de la tension.
Provoquer le « Boogaloo » ?
Dans un contexte de conflit exacerbé, le président états-unien semble vouloir attiser le feu. Ainsi, Donald Trump a appelé plusieurs fois les gouverneurs à faire preuve de sévérité extrême, et le 2 juin 2020 menace de faire intervenir l’armée. Il poursuit le ridicule en appelant à la dissolution des groupes antifascistes et demande l’inscription des groupes « antifa » sur la liste des organisations terroristes, les accusant de s’être lancés dans un processus insurrectionel et « terroriste ». On se demande bien en quoi des manifestations virant à l’affrontement avec la police et menant à quelques pillages sont terroristes, mais là n’est pas la question. A quoi joue Donald Trump ? Il semblerait que ces déclarations incendiaires, de même que les appels qu’il émet aient comme perspective une « stratégie de la tension » c’est-à-dire d’attiser le niveau de conflictualité sociale pour justifier des mesures de répression extrêmes et renforcer le pouvoir[1].
Cette stratégie est d’autant plus inquiétante qu’elle fait écho aux croyances de l’extrême droite pro-Trump, souvent organisée sous forme de milices et actives depuis le confinement. Ces milices armées ont notamment rouvert des magasins par la force au Texas lors du confinement et pris d’assaut le parlement du Michigan le 30 avril 2020.
Tous ces courants de l’extrême droite croient en l’existence du « Boogaloo », c’est-à-dire d’un chaos destructeur lançant une guerre raciale amenant la chute de l’état fédéral. La seule solution dès lors serait l’organisation à la base par les suprématistes blancs de communautés de combats et de milices pro-blancs. Ainsi, un certain nombre de milices auraient été vus participants aux manifestations dans une perspective d’attiser les tensions. Il est néanmoins difficile de savoir quelle est l’ampleur de cette participation, et si elle est réellement massive.
Les déclarations incendiaires de Trump auraient ainsi comme objectif de mobiliser sa base électorale qui serait alors soudée par la peur d’une insurrection noire appuyée par les dangereux gauchistes que sont les antifas. N’oublions pas l’importance du racisme contre les noirs aux USA ni la force historique de l’anticommunisme.
Il est néanmoins peu probable que l’action de ces milices parvienne à précipiter la chute de l’état fédéral, ni qu’une guerre raciale se déclare, d’autant plus que les manifestations ne regroupent pas uniquement des membres de la communauté afro-américaine, mais des personnes issues de l’ensemble des classes populaires avec des revendications qui ont tendance à s’élargir. Quoi qu’il en soit, on peut faire l’hypothèse que cette stratégie de la tension, dans une perspective contre insurrectionnelle a comme objectif de faire monter l’intensité des affrontements jusqu’à pouvoir légitimer une répression extrêmement brutale.
Pour autant, rien n’est joué : les revendications du mouvement ne cessent de s’élargir dans un contexte social explosif, et le mouvement jouit d’un très large soutien populaire. Il n’est donc pas impossible que ce soit la présidence de Donald Trump qui explose en vol, laissant la voie ouverte au mouvement, voire pour les espoirs les plus fous ceux d’une révolution aux Etats-Unis.
[1] Une telle stratégie avait déjà été mise en œuvre en Italie dans les années 1970 au cours des années de plomb par l’état profond afin d’éviter la venue au pouvoir des communistes dans un gouvernement de coalition.