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SOURCE : Reporterre
En l’espace de quelques jours, deux associations, Nous voulons des coquelicots et Générations futures, ont lancé l’alerte sur la qualité de l’eau du robinet, polluée par les pesticides et leurs dérivés. Les associations appellent les autorités sanitaires à chercher ces substances toxiques, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Et rappellent que l’eau en bouteille n’est pas la solution.
C’est une belle bombe (chimique) qu’a lâché hier l’association Nous voulons des coquelicots. L’eau du robinet pourrait être polluée par les pesticides à des taux bien plus importants qu’on ne l’avait imaginé.
En cause ? Les métabolites, c’est-à-dire des molécules dérivées des pesticides, qui se forment lorsque ces derniers se retrouvent dans l’environnement. La plupart des analyses de qualité de l’eau ne les cherchent pas, ou très peu. Mais si on les cherchait ? Il faudrait alors additionner les quantités de pesticides et de métabolites trouvées. « Je crains qu’on explose les normes de qualité de l’eau dans des milliers de points en France », a estimé Fabrice Nicolino, président de l’association. « Par exemple, à Massérac [Loire-Atlantique], un collectif s’est mobilisé pour des dépassements de normes de qualité qui étaient dues à un seul métabolite. » Le journaliste a longuement enquêté sur ces molécules peu étudiées et inconnues du grand public, avant d’en faire le nouveau cheval de bataille des Coquelicots.
« Dans le meilleur des cas, les ARS [agences régionales de santé, notamment chargées de la surveillance de la qualité de l’eau potable] cherchent 10 à 15 métabolites, a-t-il poursuivi. Mais on estime que chaque pesticide produit entre 5 et 7 métabolites. Si on multiplie cela par les 500 ou 600 matières actives de pesticides présentes en France, on arrive à des milliers de métabolites, dont on ne sait presque rien, mis à part que certains sont aussi toxiques, voire plus, que les pesticides dont ils sont issus ! » Il estime ainsi que de nombreux captages d’eau risqueraient d’être fermés si les métabolites étaient pris en compte dans les analyses de qualité de l’eau.
Un énorme trou dans la raquette de la surveillance de l’eau potable, donc, qui n’est pas le seul. Le 17 juin dernier, l’association Générations futures publiait un rapports’intéressant lui aussi à la présence des pesticides dans l’eau du robinet. Elle a décortiqué les analyses de qualité de l’eau effectuées en France en 2019, et en a extrait les données concernant spécifiquement les pesticides. Conclusion : plus d’un tiers des analyses recherchant des pesticides en trouvent. Et parmi les pesticides identifiés, dans près de 57 % des cas, il s’agit de molécules suspectées d’être des perturbateurs endocriniens. Or, ces molécules peuvent agir à très faible dose, et avoir un effet même quand elles ne dépassent pas en quantité la limite légale, craint l’association : « Étant donné le potentiel d’action à faible dose sur le long terme des perturbateurs endocriniens, Générations futures considère ces données comme inquiétantes car elles attestent d’une exposition continue à de faibles doses de ces perturbateurs endocriniens par l’eau de consommation. »
Par ailleurs, l’étude des données publiques a permis à l’association de soulever un autre lièvre : en classant les données par département, elle s’est rendu compte que les listes de pesticides recherchées variaient énormément. « Par exemple, dans l’Aisne, en moyenne dix pesticides étaient recherchés par prélèvement, contre jusqu’à 590 dans le Var », note Nicolas Malval, l’ingénieur en biologie de l’association. « Compte tenu du nombre élevé de pesticides autorisés (ou ayant été autorisés par le passé) et du coût des analyses, il est nécessaire de cibler les recherches de pesticides dans les eaux destinées à la consommation humaine en fonction de la probabilité de retrouver ces substances dans les eaux et des risques pour la santé humaine », détaille le ministère de la Santé, qui explique que les agences régionales de santé (ARS) font leur choix en fonction de l’agriculture locale ou des ventes de pesticides enregistrées.
Mais on trouve « neuf résidus quantifiés dans les analyses du département de l’Aisne et 252 pour celui de l’Oise », note le rapport de Générations futures, alors qu’ils sont voisins et ont des types d’agriculture très proches. Cela montre « que le choix de molécules à analyser est très différent d’un département à l’autre et donne sans doute des résultats faussement rassurants pour certains départements », estime-t-il. Car, comme pour les métabolites, quand on ne cherche pas… on ne trouve pas. Et l’on peut afficher une qualité de l’eau du robinet conforme à la réglementation.
« Deux millions de consommateurs boivent une eau non conforme en pesticides »
« Du point de vue de la réglementation, les résultats sont rassurants, une grande partie de la population consomme une eau de très bonne qualité », constate donc Olivier Andrault, chargé de mission à l’UFC-Que choisir et auteur d’un important rapport en 2017 sur la qualité de l’eau du robinet en France. Ainsi, l’association signalait que 96 % des consommateurs avaient accès à une eau du robinet conforme du point de vue des pesticides.
Il avait cependant identifié que « de l’ordre de deux millions de consommateurs boivent une eau non conforme en pesticides », et que « les pesticides, détectés dans 5 % des réseaux de distribution (2.271 communes concernées) constituent — et de loin — la première cause de non-conformité de l’eau ». Autres observations intéressantes alors relevées dans ce rapport, on y apprenait que « les principales zones où l’eau du robinet est contaminée en pesticides correspondent aux zones de cultures intensives » et que « les analyses non conformes sont retrouvées essentiellement dans des villes de moins de 30.000 habitants et plus particulièrement dans des petites communes situées en zone rurale ». C’est-à-dire dans des communes n’ayant pas les moyens d’assurer une coûteuse dépollution.
Au vu des rapports des deux associations présentés ci-dessus, « on ne peut pas se contenter de la réglementation telle qu’elle est », observe aujourd’hui Olivier Andrault. « Elle est fondée sur une toxicologie à l’ancienne, qui ne prend pas en compte les perturbateurs endocriniens ».
Même défaillante, la réglementation apparaît pourtant encore trop restrictive pour les autorités, souligne de son côté Fabrice Nicolino, qui dénonce une cécité voulue des pouvoirs publics : « Ils ont compris que la situation était intenable. Les ARS, l’Anses[Agence nationale de sécurité sanitaire] doivent pouvoir continuer de garantir que l’eau potable est de qualité, et pour cela ils sont obligés de ruser. » Il dénonce ainsi un mécanisme mis en place par les autorités de santé permettant de déclarer qu’une eau du robinet peut être bue sans risque, même quand la quantité de pesticides dépasse la norme légale. Il s’agit d’une autre limite, sans valeur légale, définie par les autorités sanitaires : la « Vmax » ou « valeur sanitaire maximale ». Seul le dépassement de cette limite amène à déclarer des restrictions de la consommation d’eau.
Or, cette Vmax est, bien entendu, supérieure à la limite légale. L’effet pratique est très visible : selon le dernier rapport du ministère de la Santé sur les pesticides dans l’eau du robinet, 6,15 millions de personnes ont été exposées à une eau non conforme du point de vue des pesticides. Mais grâce à la Vmax, seulement 9.000 personnes se sont vues imposer des restrictions d’usage de l’eau… Et principalement parce que les Vmax des pesticides concernés n’étaient pas encore définies ! « La consommation pendant la vie entière d’une eau contenant un pesticide à une concentration inférieure ou égale à la Vmax n’entraîne, sur la base des critères toxicologiques retenus et en l’état actuel des connaissances, aucun effet néfaste pour la santé », nous rassure de son côté le ministère de la Santé.
« La réglementation existe déjà, mais il y a un manque de volonté politique pour l’appliquer »
Rendu à ce point, le buveur d’eau du robinet en chacun de nous a envie de s’alarmer : faut-il arrêter de l’utiliser pour l’alimentation ? Préférer l’eau en bouteilles ? L’UFC-Que choisir et Générations futures sont formels là-dessus : non, ne serait-ce qu’à cause du coût environnemental catastrophique de l’eau en bouteille. En revanche, ils en appellent à une évolution de la gestion de l’eau potable en France.
L’UFC-Que choisir concentre ses propositions sur une réduction à la source des pesticides. « Les eaux brutes [prélevées dans le milieu naturel] sont massivement polluées sur la majorité du territoire, rappelle Olivier Andrault. Il faut radicalement changer l’agriculture vers le bio ou la haute qualité environnementale pour protéger les aires de captage. La réglementation existe déjà, mais il y a un manque de volonté politique pour l’appliquer. » Outre l’appel à des politiques de réduction des pesticides, Générations futures alerte également sur la nécessité d’établir une liste nationale et exhaustive des pesticides recherchés dans l’eau du robinet.
Un appel auquel semble répondre timidement la direction générale de la santé, qui informe Reporterre qu’elle « travaille actuellement à une proposition de méthodologie à l’attention des ARS pour harmoniser les modalités de sélection des pesticides et métabolites à intégrer dans le programme du contrôle sanitaire ».
Fabrice Nicolino, lui, renouvelle l’appel des Coquelicots pour l’interdiction des pesticides de synthèse. « Cette histoire de métabolites nous prouve que le système des pesticides est globalement incontrôlable », déclare-t-il.