Deuxième volet de notre série consacrée au décryptage du projet Macron-Delevoye de réforme des retraites. Le premier article, qui commençait par proposer une perspective d’ensemble sur cette réforme, est disponible ici.
Un des axes du gouvernement pour essayer de « vendre » sa réforme consiste à la présenter comme n’étant défavorable qu’aux prétendu.e.s privilégié.e.s de la Fonction Publique et des régimes spéciaux et comme étant favorable aux salarié.e.s les plus pauvres. Mais c’est de la poudre aux yeux. Désintox.
La réforme des retraites éclairée par la réforme de l’assurance chômage
La réforme de l’assurance-chômage décidée par Macron-Philippe détériorera brutalement la situation des salarié.e.s privé.e.s d’emploi.
Avant la réforme, il « suffisait » d’avoir travaillé 4 mois (610 h) sur les 28 derniers mois pour avoir droit à une allocation-chômage. La durée de perception de l’allocation dépendait du nombre de mois travaillés avec une limite à 730 jours pour les moins de 53 ans. Il existait la possibilité de « recharger » ses droits en travaillant au moins un mois pendant la période d’indemnisation. Depuis le 1er novembre 2019, il faut travailler 6 mois pendant les 24 derniers mois. En outre, il faut travailler pendant 6 mois pour recharger ses droits.
De plus, à partir d’avril 2020, le mode de calcul du montant de l’allocation-chômage va être modifié et faire nettement baisser le niveau des allocations de 22% en moyenne, soit de 905 euros (montant moyen des allocations-chômage versées aujourd’hui) à 708 euros. Ce sera même pire pour les travailleur.se.s privé.e.s d’emploi n’ayant pu travailler qu’un jour sur deux : leur allocation moyenne passera de 868 à 431 euros.
« L’étude d’impact » faite par l’Unedic à la demande du gouvernement montre que 1,3 millions de chômeur.se.s, soit un chômeur.se sur deux, vont être touché.e.s par la réforme. Cela touchera en priorité les plus précaires et donc les plus jeunes et les moins diplômé.e.s. Soit les travailleur.se.s concerné.e.s seront toujours chômeur.se.s, mais ne seront plus indemnisé.e.s, soit ils/elles seront encore indemnisé.e.s mais à un montant plus faible. Le gouvernement espère ainsi économiser 4,5 milliards sur le dos des chômeurs. La réforme est si brutale et injuste que même la CFDT s’y est déclarée opposée… sans rien faire pour mobiliser contre !
Cette réforme de l’assurance-chômage montre que le gouvernement ne se soucie nullement d’améliorer la situation des plus « fragiles » comme il aime à dire, mais au contraire prend des mesures qui détériorent gravement leur situation, les plongeant un peu plus dans la misère. Alors, comment pourrait-on croire un instant qu’il voudrait faire la réforme des retraites pour améliorer la situation des travailleur.se.s les plus pauvres ?
Le calcul de la retraite sur toute la carrière pénaliserait les salarié.e.s ayant subi des périodes de chômage fréquentes ou/et longues
Aujourd’hui, dans le privé, le salaire de référence pour le calcul de la retraite est celui des 25 meilleures années (sur 43 années). Cela permet normalement de sortir du calcul toutes les périodes de chômage où les revenus étaient faibles.
Dans le système par points, toutes les périodes compteront… pour le meilleur et pour le pire ! Les périodes de chômage non indemnisées ne donneront droit à aucun point. Delevoye ne le crie pas sur tous les toits, bien sûr ; il tente même de faire croire le contraire. Mais il est bien écrit dans son rapport que seules les périodes de chômage indemnisées donneront droit à des points dits « de solidarité »1. Étant donné la logique contributive d’un système par points (faire que la retraite soit proportionnelle aux points acquis et les points acquis au montant des salaires perçus), il y a fort à penser que plus l’indemnisation chômage aura été faible, moins elle donnera de points de « solidarité » ; et qu’à l’inverse, on risque d’être bien plus « solidaires » avec les salarié.e.s dont les périodes de chômage auront été très fortement indemnisées.
Quant aux intermittent.e.s du spectacle et aux assistantes maternelles, bref aux carrières qui impliquent d’être au « chômage » toute sa vie, Delevoye reste particulièrement cryptique. Mais la seule chose qu’on ignore, c’est le degré dans l’horreur : les baisses des pensions et l’allongement de la durée de cotisation vont concerner ces métiers comme les autres, et même encore plus durement, comme les autres situations de précarité. Il n’y a donc pas besoin d’attendre de connaître le détail exact des mesures pour savoir qu’une fois de plus Macron se montrera imaginatif pour ponctionner les plus précaires (baisse des allocations chômage, des APL, etc.) et redonner l’argent aux patrons (CICE, baisse de l’impôt sur les sociétés, etc ), car il ne s’agit pas de discuter la cruauté du supplice, mais de refuser de le subir.
Des points de solidarité financés… par l’impôt et donc toujours soumis aux menaces de coupes budgétaires !
Mais ce n’est pas tout. Les points de solidarité ne seront pas financés par les cotisations sociales, donc par le patronat, mais par l’impôt2. Nouveau cadeau au patronat ! En outre, cela impliquera que le montant des points de solidarité pouvant être obtenus ne sera pas garanti : il sera au contraire soumis aux aléas de coupes budgétaires. Et chacun a constaté que, lorsque les gouvernements au service du MEDEF coupent dans les dépenses, ils ne suppriment pas des cadeaux au patronat ou aux riches, mais ils coupent dans les APL, les aides sociales, ou ils augmentent les impôts les plus injustes comme la TVA.
Porter le minimum retraite à 85% du SMIC net : grande avancée ou grand enfumage ?
Delevoye essaye de vendre sa réforme en prétendant qu’elle constituerait une grande avancée pour les salarié.e.s les plus pauvres. Un axe phare de sa communication consiste à mettre en avant un minimum de pension fixé à 85% du SMIC net3.
Mais pourquoi le gouvernement ne fait-il pas tout de suite appliquer la loi ?
Cependant, comme le reconnaît Delevoye lui-même, la loi Fillon de 2003 ayant porté la durée de cotisation à 40 ans pour les fonctionnaires, avait été vendue notamment en disant aux salarié.e.s les plus pauvres du privé que le montant du minimum contributif (niveau de pension minimum) pour une carrière complète serait porté à 85% du SMIC net dès 2008 : « Le nouveau système tiendra ainsi la promesse qui a été faite lors de la loi de 2003 et qui n’a pas été suivie d’effets » (Rapport Delevoye, p. 53).
Si donc le gouvernement se soucie vraiment de la situation des salarié.e.s les plus pauvres et entend l’améliorer en portant la pension de retraite minimum à 85% du SMIC net, il n’a pas besoin de faire une réforme des retraites : il suffit de faire appliquer la loi. Et c’est tout de même étrange que le gouvernement, si prompt à faire appliquer la loi et toute la loi, avec la plus grande rigueur et sévérité, notamment quand il s’agit de poursuivre les salarié.e.s ayant participé à des mobilisations, se montre tout à coup si laxiste dans son application…
En outre, le changement ne serait pas considérable, puisque, à ce jour, la pension de retraite minimum atteint 82% du SMIC net pour une carrière complète. Mais, bon, ce serait toujours ça de pris pour les travailleur.se.s les plus pauvres. Mais non, Delevoye entend encore reporter l’application de cette mesure qui tarde déjà depuis 2008 à l’après 2025 : c’est vrai que, quand on a déjà 11 ans de retard, pourquoi ne pas en prendre encore 6 de plus, surtout qu’il s’agit seulement de faire attendre les pauvres ! Quand c’est pour le MEDEF, c’est fait illico-presto.
Macron-Delevoye dissimulent le fait que le minimum retraite serait, comme aujourd’hui, proratisé
Quand on lit les journaux ou écoute les partisans de la réforme, on pourrait croire que le minimum de retraites serait garanti de façon universelle, c’est-à-dire à tout le monde et sans condition. Ainsi, l’article concernant le minimum retraite mis en ligne sur le site gouvernemental de « présentation » de la réforme des retraites, souligne la proratisation de l’actuel montant minimum des pensions, mais reste silencieux sur la proratisation du minimum retraite dans la réforme Macron-Delevoye4.
Pourtant, si on lit attentivement le rapport Delevoye, la proratisation est clairement annoncée. Ainsi, le titre de la p. 53 l’écrit en toutes lettres : « Un minimum de retraite fixé à 85% du SMIC net pour une carrière complète » (Rapport Delevoye, p. 53, nous soulignons). Ce sera donc moins de 85% du SMIC net pour une carrière incomplète.
Que serait une « carrière complète » dans le système à points Delevoye-Macron ?
Le rapport reste assez flou sur la notion de « carrière complète », mais donne deux indications, l’une directe et l’autre indirecte.
Tout d’abord, il faudra avoir cotisé chaque année sur la base d’au moins « 600 SMIC horaire »5, soit 4 mois de travail à temps plein payé au SMIC. Cette condition pourrait sembler facile à atteindre. Mais ce n’est pas du tout le cas. Par exemple, le taux d’emploi des 50-64 ans est de seulement 61,5% (chiffres de l’INSEE pour 2017). Le chômage de longue durée, c’est-à-dire durant depuis plus d’un an, touche 1,2 millions de travailleur.se.s (Observatoire des inégalités, chiffres de 2016). Bref, beaucoup de travailleur.se.s auront des carrières incomplètes et toucheront donc moins que les 85% du SMIC annoncés. En outre, l’actuelle réforme de l’assurance-chômage (qui pourrait être encore durcie à l’avenir) réduira le montant et la durée d’indemnisation. Double peine pour les salarié.e.s privé.e.s d’emploi.
Mais ce n’est pas tout ! L’étude d’un cas parmi les simulations proposées par le rapport Delevoye (nous reviendrons dans un prochain article sur les mystérieux calculs du rapport…) montre qu’il y aurait manifestement une autre condition pour bénéficier de ce minimum retraite. En effet, prenons le cas Leïla : née en 1980, ayant commencé à travailler à 22 ans, et ayant touché le SMIC toute sa vie, elle aurait, si l’on en croit les calculs de Delevoye (qui ne montre jamais comment il calcule, mais se borne à donner un résultat…), une pension de retraite de 881 euros en prenant sa retraite à 62 ans, de 1065 euros en prenant sa retraite à 64 ans (âge pivot en 2025 donnant droit à une retraite à taux plein) et de 1459 euros en prenant sa retraite à 66 ans. Le rapport explique cette hausse brutale en disant que Leïla « bénéficie en effet du minimum retraite » (p. 123), alors que cela n’est pas indiqué en face des deux autres chiffres. Autrement dit, il faudrait donc travailler jusqu’à 66 ans, soit 2 ans au-delà de l’âge pivot initial annoncé pour avoir droit à ce minimum retraite… Bref, Delevoye veut bien payer un minimum retraite aux travailleur.se.s pauvres, mais seulement quand ils et elles se trouvent tout près de la tombe !
Le but de l’opération de communication de Macron-Delevoye : diviser les travailleur.se.s pour les vaincre !
Le but de cette vaste opération de propagande est, bien entendu, d’essayer de diviser les travailleur.se.s, en essayant d’opposer les plus précaires et les plus pauvres aux travailleur.se.s de la Fonction Publique et des régimes spéciaux, indûment présenté.e.s comme des privilégié.e.s. En effet, le gouvernement sait qu’il aurait beaucoup de mal à résister à une grève illimitée, lancée dans les bastions les plus combatifs du mouvement ouvrier, si elle recevait le soutien d’autres franges du prolétariat, en partie par la grève, en partie par la manifestation, en partie par le soutien dans l’opinion. C’est pourquoi il est essentiel pour le combat qui vient de démonter ces « fake news » visant à vendre la réforme.
Pour unir notre classe, porter aussi les revendications des plus exploité.e.s
Mais ce n’est pas tout. Cela doit aussi avoir des implications en termes de revendications. Il faut, bien sûr, exiger le retrait pur et simple de la réforme des retraites, le maintien du Code des pensions et des régimes spéciaux comme ceux de la SNCF, de la RATP, d’EDF-GDF, etc. dans la perspective d’un régime unifié, aligné sur les meilleures conditions (cf. article précédent).
Mais il faut aussi exiger l’abrogation immédiate de la réforme de l’assurance-chômage. En même temps, il faut revendiquer une série d’améliorations pour les travailleur.se.s par rapport à la situation actuelle, notamment qu’aucune retraite ne soit inférieure au SMIC, même pour les carrières incomplètes, et qu’on aille vers un taux de remplacement à 100% (c’est-à-dire une retraite au niveau du salaire d’activité).
On ne rend pas un lion herbivore : pour obtenir des améliorations, il faudra virer Macron !
Cependant, il ne faut surtout pas le faire sous l’angle consistant à exiger une prétendue « autre réforme », comme certaines directions syndicales veulent l’imposer à toute force. En effet, cela reviendrait à créer l’illusion que Macron pourrait faire une réforme favorable aux travailleur.se.s, ce qui est absurde vu son programme et sa politique entièrement au service du MEDEF. Même sous la pression de grandes grèves, Macron ne fera pas cela : on ne rend pas un lion herbivore ; on peut seulement l’empêcher de nous bouffer. Donc, si on veut être tranquille et pouvoir vivre mieux, il faut dégager Macron – comme l’ont si justement porté les Gilets Jaunes – et se battre pour un gouvernement qui défende réellement les intérêts des plus exploité.e.s et opprimé.e.s. Cela ne peut être qu’un gouvernement des exploité.e.s et opprimé.e.s elles-mêmes et eux-mêmes (travailleur.se.s avec ou sans emploi, précaires, femmes, racisé.e.s…), s’appuyant partout sur l’auto-organisation (AG de boîte, d’établissement, Assemblée de commune, coordination nationale de toutes les Assemblées par secteur et de façon interprofessionnelle, etc.).
- « Les périodes de chômage indemnisées donneront lieu à l’acquisition de points sur la base de l’allocation versée au titre de ces périodes » (Rapport Delevoye, p. 20, nous soulignons). [return]
- « Au titre de la solidarité nationale, l’acquisition de ces droits sera financée par l’impôt au travers d’un Fonds de solidarité vieillesse universel » (Rapport Delevoye, p. 20, nous soulignons). [return]
- « À enveloppe constante, cette solidarité sera pourtant davantage tournée vers les plus désavantagés par le système actuel, notamment via la garantie d’un minimum de retraite fixé à 85% du SMIC net à la liquidation pour les assurés ayant réalisé une carrière avec des revenus modestes, cette garantie étant indexée sur le SMIC au fil des générations » (Rapport Delevoye, p. 116). Ou encore : « Les simulations réalisées confirment les attendus du système universel : les futurs retraités ayant les revenus les plus modestes bénéficieront d’une hausse importante de leur retraite, notamment parmi les premiers déciles. Le système universel diminuera l’écart entre les niveaux de retraite. Il améliorera fortement la retraite de 40% des assurés ayant des retraites les plus faibles. » (p. 119). Nous reviendrons sur les « simulations » qui pour le coup portent assez bien leur nom s’il s’agit bien en simulant de tromper les travailleur.se.s sur les véritables effets qu’aurait cette réforme ! [return]
- « Minimum Retraite – Montant minimum de retraite accessible pour une carrière complète ou à l’atteinte de l’âge de 67 ans. Ce montant minimum varie en fonction de la durée d’assurance et du nombre de trimestres cotisés. Le minimum de retraite varie de 973 euros pour les salariés du privé (soit 82 % du Smic net) et 900 euros (75 % du Smic net) pour les agriculteurs*. Dans le système universel, le minimum de retraite sera augmenté à 1 000 euros par mois (85 % du Smic net) et sera le même pour tous. Aujourd’hui, le minimum de retraite évolue comme l’inflation. Le minimum de retraite sera revalorisé beaucoup plus fortement qu’aujourd’hui : il sera indexé comme le SMIC, de sorte qu’il sera toujours égal à 85% du SMIC » (article tiré du site gouvernemental : https://www.reforme-retraite.gouv.fr) [return]
- « Le bénéfice du minimum retraite devra toujours correspondre à la réalisation d’une carrière complète. Pour remplir cette condition, il est proposé, comme aujourd’hui, que le fait d’avoir acquis des droits sur une assiette correspondant à 600 SMIC horaire permette de valider une année civile. Toutefois, si les activités réalisées ne permettent pas d’atteindre ce niveau, une partie de la durée, fixée en mois, sera tout de même validée à due proportion, ce qui constitue une règle de calcul plus juste et plus avantageuse que la validation de trimestres prévue actuellement. » (p. 53) [return]