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Antiracisme et vote utile pour Mélenchon

Comme c’était à prévoir, le débat sur le vote utile de premier tour a lieu à moins d’un mois de celui-ci. La candidature et la campagne Poutou sont vues comme des votes jetés en l’air alors qu’une candidature «en position de passer la barre du premier tour»  en la personne de Mélenchon nous est présentée comme l’alternative.

Le but de ce texte n’est pas de discuter de ces points en général mais dans le contexte d’une dynamique différente qui est apparue depuis plusieurs mois et qui s’est accélérée : le ralliement de groupes et personnalités militant.es racisé.es à la candidature Mélenchon. Ces personnes racisées considèrent qu’il y a une urgence à ralentir la vague de racisme et d’islamophobie et qu’une ‘victoire’ électorale de JLM serait à même d’atteindre ce but.

 

Ces organisations sont diverses mais la plus notable – même si pas forcément la plus importante – est la position du QG décolonial (ex PIR) en faveur de la campagne de JLM. Notamment deux textes – sous forme d’édito – sont venus ces derniers mois expliquer la position de groupe traditionnellement hostile aux élections notamment pour soutenir des organisations de la gauche blanche. [1,2]

 

Ces arguments ont percolé dans plusieurs cercles militants autour des groupes politiques traditionnellement associés à la lutte antiraciste non blanche. [3] Les espoirs ne sont pas très bien décrits : appel à la victoire ou juste être présent au second tour. Mais une constante : au delà de la pureté militante et révolutionnaire un score élevé (sous la forme de pourcentage inattendu mais également sur sa présence au second tour et même la présidence) est vu comme le moyen – dans la situation présente – de mettre un coup d’arrêt à la vague de racisme et d’islamophobie. Cet arrêt étant présenté comme une urgence vitale.

 

Il y a plusieurs points à discuter: le premier est y a-t-il une urgence antiraciste ? Ensuite pourquoi la candidature spécifiquement JLM peut être vue comme antiraciste ? le troisième est-ce qu’un score élevé va ralentir la vague ? et enfin pourquoi le NPA (et de manière général les orgas révo) ne sont pas à la hauteur aux yeux de ces personnes ? Ces trois points font qu’une partie des militant.e.s racisé.e.s plutôt proches – ou en tout cas non hostile au – NPA font maintenant pression sur lui pour un vote utile à l’opposé de l’enthousiasme que pourrait créer une candidature comme celle de PP.

 

Centralité du racisme

 

Pour répondre à ces trois points il faut tout d’abord partir de l’état des lieux, concernant le racisme et l’islamophobie en France. Contrairement à l’intuition politique habituelle, l’élection plus que les autres précédentes focalise énormément sur la question de l’identité : après un quinquennat axé sur la «réhabilitation de Maurras et Pétain», de la chasse aux exilé.e.s à la ‘frontière’ britannique, des destructions d’habitats précaires, de gestion abusivement restrictive du droit d’asile, de plusieurs assassinats racistes par la police, par différentes action de groupe néo nazis etc et pour culminer avec la loi séparatiste qui inclut la méfiance permanente sur les musulmans et le contrôle par l’état de leur culte. Les années Macron 1er sont marquées par une accélération du processus engagé depuis 20 ans de ciblage de la population musulmane, de traque de la population immigrée et de harcèlement de population racisés par la police. A cela s’ajoutent les difficultés découlant d’un racisme systémique mainte fois montré: dans la prise en charge médicale, la recherche de logement de travail et même de visibilité simplement. La loi séparatisme est l’une des lois les plus restrictives et intrusives en termes de liberté religieuse.

 

Au tout début de la campagne, dès octobre à la candidate raciste habituelle, s’ajoute celle de Z sur des bases encore plus racistes et islamophobes. De la même manière que pour le RN, on serait bien en peine de connaître les mesures politiques, économiques ou autres qui ne concernent pas exclusivement la défense de la domination blanche sous des théories diverses comme le grand remplacement et le choc des civilisations. On serait bien en peine de connaître autre chose du programme de Z mais dès que sa candidature s’est fait connaître, les sondages lui donnaient autour de 15%. Il s’agit d’un réflexe raciste en France extrêmement développé. Le même genre de mécanisme a existé pour le FN et celui-ci est dans le game depuis plus longtemps. Les propositions économiques (sur le smic ou l’europe) ont tellement varié sur les 20 dernières années que le seul dénominateur commun, la seule constante si on veut, reste l’adhésion aux théories racistes.  Les personnes votent pour Z et LP car elles y trouvent du réconfort à la domination blanche à la solidarité de race avant l’éventuelle solidarité de classe qu’il pourrait y avoir. Si on y ajoute Macron et la droite classique, cet arc politique pèse 70/75% de l’électorat qui se déclare prêt à voter. Les deux candidatures d’extrême droite pèsent entre 20 et 30% alors qu’on vient de le dire l’adhésion à leur idées se fait quasi exclusivement sur la base du racisme et de l’islamophobie.

 

De fait, tous les partis politiques ont entamé cette mutation : la droite notamment qui reprend le même langage que l’extrême droite. Et bien entendu sous couvert de lutte universaliste: la ‘gauche’ traditionnelle PS/PC/EELV ont adopté l’islamophobie ambiante et la lutte contre le ‘wokisme’ et l’islamo gauchisme.

 

Il est évident que dans ce paysage la FI et JLM lui-même fait figure d’outsider.

 

Mélenchon et le racisme

 

L’évolution sur la question chez Mélenchon et plus généralement dans son mouvement est très nette. Lors de sa candidature en 2012 avec le Front de gauche, les points restaient très vagues [4]. Concernant l’islamophobie, JLM proposait une neutralité non stigmatisante pour qu’aucune religion « ne soit mise à l’index au prétexte de la laicité comme le fait régulièrement le FN a propos de la religion musulmane » mais deux paragraphes plus loin: «Toute ségrégation de genre ou communautaire de l’espace public sera interdite (comme par exemple le choix du sexe du médecin à l’hopital public) » [5]. Il n’y a quasiment rien sur le racisme et un court paragraphe sur les discriminations (qui inclut toutes les discriminations sexisme, validisme…) et «nous agirons fermement contre les discriminations sur les travailleurs étrangers.» Le programme sur l’immigration est aussi intéressant en 2012 : «il faut en finir» avec la chasse aux immigrés: fermeture des CRA, carte de 10 ans unique, droit du sol automatique. Enfin, il y a le renforcement de la police : la «sécurité [étant] une affaire de solidarité nationale». Il s’agit là essentiellement des revendications des proches du PCF : police de proximité, augmentations des effectifs tout en développant «une déontologie fondée sur le respect des personnes».

 

En 2017, l’avenir en commun produit un document de 130 pages pour la candidature de JLM[6]. La grosse différence est un tournant sur l’immigration pour lequel il faudrait lutter contre les causes. La remise en cause de la chasse au immigrés y est toujours mais elle s’accompagne d’un «un programme pour l’aide au retour des réfugiés qui le souhaitent» et enfin «réaffirmer et faire vivre le droit d’asile sur le territoire de la République, accueillir les réfugiés qui en relèvent, grâce à une administration adaptée à cette mission». Il n’est plus question de régularisation massive ni de carte de 10 ans (mais le droit du sol absolu reste).

 

Dans la partie ‘garantir la sécurité’: il s’agit encore de renforcer la police républicaine: ‘Donner la priorité au démantèlement des traffics’ interdire le flashball ‘pour favoriser la désescalade des affrontements’, et augmentation des effectifs policiers. Il n’y a plus de référence à la police de proximité. Concernant le racisme, le programme se propose: ‘[d’]abolir les ségrégations et lutter contre toutes les formes de racisme’ via un récépissé. Il y  a aussi son pendant: ‘Faire vivre la République, l’égalité, le métissage et le droit du sol contre le racisme et l’ethnicisme’. Sur 130 pages le mot racisme apparaît 3 fois.

Le programme de 2022 est plus précis par cahier thématique [7]: dans le cahier Sécurité, il est toujours mention à l’augmentation des effectifs de la police pour faire de la police de proximité: la mesure phare est  l’intégration de la police municipale à la police nationale et la suppression de la bac. Il y a encore le récepissé pour lutter contre les contrôles racistes (qui sont qualifiés de ‘au faciès’), des zones sans contrôles d’identité (‘comme avant [sic]’). Il est mention cette fois de la stabilisation des postes (et non plus l’augmentation). Sur l’immigration nous revenons cette fois aux propositions de 2012 quasiment telles que. Sur l’islamophobie – a part de vague référence dans le programme de 2012 – il n’y a rien dans les programmes de JLM.

 

Mais sur le point précis de l’islamophobie, l’inflexion est très nette. Notamment lors de la marche historique contre l’islamophobie en Novembre 2019, « Il faut savoir faire bloc quand l’essentiel est en jeu. Et l’essentiel est en jeu dans ce pays en ce moment à cause des apprentis sorciers qui veulent spéculer sur la haine des musulmans ou la stigmatisation permanente à leur égard»[8] Quelques années auparavant il contestait «le terme d’islamophobie. On a le droit de ne pas aimer l’islam comme on a le droit de ne pas aimer le catholicisme»[9] même s’il ne reconnaissait pas celui de détester les musulmans. Si l’inflexion est très nette et même pas exempte de bémol concernant par exemple le foulard, elle est surtout très à contre-courant de la dynamique ambiante.

 

Comme on le voit, le programme de JLM sur ces trois campagnes est relativement stable avec des promesses assez classiques de social démocratie radicale. Il y a évidemment beaucoup de dérives chauvinistes et patriotiques mais l’inflexion sur l’islamophobie est notable (la suppression de la BAC est elle aussi une inflexion à saluer).

Après, même si l’évolution est réelle elle est semble-t-il mal maîtrisée et en quelque sorte un peu ‘récente’. En outre, si les changements 2012/17/22 sont une indication, tout ce qui a été ‘gagné’ est susceptible de disparaître également. On peut aussi mentionner que ne pas appeler à la haine d’une partie importante de la population est quand même un minimum vital pour une organisation de gauche. Ici la barre de satisfaction est relativement basse.[10]

 

 

Le NPA et la lutte contre le racisme

 

A la question posée sur l’urgence de la candidature de JLM, les révolutionnaires doivent partir de ces remarques pour comprendre la dynamique du vote JLM et de son appel au vote de la part de groupes racisés.

Tout d’abord se mettre d’accord que l’urgence est réelle et ne frappe pas de la même manière sur les groupes racisés en France et notamment les musulmans. On doit insister pour dire que cette urgence se vit dans les corps et les esprits de manière plus directe chez les exilé.e.s dont on lacère les tentes, chez les jeunes racisé.e.s des quartiers populaires qui sont confronté.e.s à l’arbitraire policier, chez les travailleur.es sans-papiers qui sont sans protection devant des patrons sans scrupules, des  travailleur.es en première ligne pour les travaux les plus pénibles et qui sont parmi les moins bien pris en charge par l’institution hospitalière, etc.

 

La dynamique Macron sous pression de Z et de LP va pousser encore plus cette logique.  Bien entendu, que beaucoup de travailleur.e.s blanc.he.s vont subir les réformes à venir mais dans un système raciste la répression est de fait sur les personnes racisés qu’iels se défendent ou pas. La loi séparatisme est un magnifique exemple de menace permanente sur l’existence même de personnes musulmanes. Il est donc tout à fait compréhensible          que cette pression résonne plus fortement chez les groupes racisés militants qui ont l’impression, de loin, que la priorité sur ces questions n’existe pas au sein du parti. Ce qui n’est pas étonnant vu le faible nombre de concernés dans l’organisation. Même s’il est évident que le NPA n’est pas vu comme ayant des positions moins fortes sur le racisme mais du fait de la blanchité de cette organisation, cette urgence n’est pas considérée comme urgente dans le parti. Du coup, la campagne Poutou peut apparaître comme un caprice de personnes qui n’auraient pas ‘checké’ leur privilèges.

 

Il faut bien entendu répondre à ces arguments: tout d’abord le NPA n’a pas automatiquement un badge antiraciste et doit accepter la critique que c’est un organisation qui n’est pas très diverse. Le racisme traverse toute la société et notamment les organisations révolutionnaires. Il faut l’accepter et réfléchir collectivement à ce que cela signifie dans notre façon de fonctionner et nos positionnements. Notamment, il doit y avoir une prise de conscience de cette rgence lorsqu’on regarde la dynamique autoritaire raciste et islamophobe. La menace fasciste est également régulièrement sous-estimée.  Et plutôt que de s’arc bouter sur la candidature Poutou en opposition à celle de Mélenchon sur la question raciale en disant ‘nous on est les plus antiracistes’ c’est l’occasion de reconnaître cette pression extérieure au parti pour commencer à se poser la question de la blanchité du parti et comment y remédier.

 

Cela ne veut pas dire que les questions posées par les camarades racisés en tant que telle n’appellent pas à une réponse sur leur bien fondé. Partageant le constat de l’urgence ne signifie pas qu’on est d’accord avec la stratégie d’appel à voter Mélenchon.  Reconnaître l’urgence actuelle ne nous empêche pas de pointer que celui-ci dit que ‘voter pour lui c’est s’économiser des tonnes de manif’. Nous pensons que cette vieille rengaine sociale-démocrate du “voter pour moi je me débrouille pour le reste” a un effet démobilisateur important alors que toute l’histoire du 20ème siècle montre que seules les mobilisations peuvent changer le rapport de force.

 

C’est d’ailleurs le point faible des appels à voter JLM c’est qu’ils se résument à appeler à voter : aucun de ces appels à voter ne met en lien un appel à la mobilisation contre Z, LP ou contre le racisme et l’islamophobie. Pourtant l’une des principales mobilisation antiraciste du printemps est la manif du 19 mars et la FI appelle à une manif pour la 6ieme république le jour d’après.

Un autre point de désaccord est que la présence au second tour par son exemplarité mettrait un frein à l’expansion de la dynamique islamophobe et raciste [11]. Il n’y a aucun exemple historique ni même pratique qui viendrait étayer cette thèse, il s’agit juste ici d’une intuition. En cas de passage au second tour de JLM il est même fort probable que la LFI utilise plutôt la carte tous anti Macron et laisse très loin derrière les questions de racisme et laisse tout le monde désarmé en cas de défaite. Et prépare ses positionnements et alliances avec les autres groupes de la social-démocratie plutôt que de préparer les combats à venir sur les retraites par exemple.

 

Il s’agit là du principal point de désaccord : la FI ne prépare ni la lutte ni la défaite. Si 2017 sert d’exemple, le succès électoral notable de JLM l’a transformé en tribun hégémonique (même s’il y a eu des évolutions) qui n’a participé aux mobilisations que de loin (et encore sous la pression). La FI ayant décidé de ne préparer que l’opposition parlementaire (avec les succès qu’on connaît dans le système politique actuel).

 

Le NPA propose au contraire en plus d’une alternative politique au parlementarisme de participer et d’organiser les luttes sans attendre les victoires électorales et surtout sans rien en attendre. C’est l’intérêt de son existence et donc de sa présence aux élections. La pression pour le vote JLM par les groupes racisés est la bienvenue car elle participe aux débats sur l’organisation contre le racisme. Nous devons proposer à ces groupes plutôt qu’une défense de nos ‘privilèges’ de participer à des débats/actions lors de la campagne sur le thème de l’antiracisme, aux manifs antiracistes et antifascistes et à la construction d’un tel mouvement pré et post élection. Tout en espérant que l’énergie fournie pour le vote JLM ne prépare pas à la déception lorsque celui-ci inévitablement reviendra aux fondamentaux du réformisme et de la lutte parlementaire.

 

 

 

[1] https://qgdecolonial.fr/2021/10/25/edito-31-melenchon-ou-le-pari-risque-mais-imperieux-de-alliance-des-beaufs-et-des-barbares/

[2] https://qgdecolonial.fr/2022/02/28/pourquoi-melenchon/

[3] Taha Bouhafs, Sihame Assbague entre autres

[4] https://promesses.fr/programme-jean-luc-melenchon-election-presidentielle-2012/

[5] Le point sur l’hopithal est un dogwhisle évident sur l’islam et d’ailleurs une proposition similaire figure dans la loi séparatisme (cet article a été soutenu par le PCF d’ailleurs)

[6] https://manifesto-project.wzb.eu/down/originals/2017-2/31240_2017.pdf

[7] https://melenchon2022.fr/livrets-thematiques/

[8] https://www.leparisien.fr/politique/la-tres-nette-evolution-de-melenchon-sur-la-question-de-l-islamophobie-10-11-2019-8190327.php

[9] https://twitter.com/JLMelenchon/status/668138652552331264?s=20&t=kML9C8vrna3KmVpK8Ps2ZA

[10] Rajoutons que sur l’antisémitisme JLM est extrêmement contesté par des militants et même si ce n’est pas le sujet ici, on peut pas écarter d’un mouvement de main ces remarques.

[11] D’ailleurs ce serait paraît-il le pari de Macron pour avoir une campagne moins nauséabonde puisqu’il a l’air sûr de gagner.

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