Le mouvement des Gilets Jaunes

Quelques analyses et axes d’intervention sur le mouvement des Gilets Jaunes

1. Une situation nouvelle

Le mouvement des GJ, qui pouvait apparaître comme un phénomène passager, est finalement en train de modifier la situation politique en profondeur. S’il est difficile de mesurer précisément toutes les implications, un certain nombre de traits se dégagent.

Le retour d’un secteur du prolétariat sur la scène politique

Le premier élément, c’est qu’un secteur du prolétariat qui dans sa majorité avait eu tendance à subir depuis une bonne trentaine d’années, a redressé la tête, a engagé une lutte non simplement économique mais politique et a pris la rue avec toute sa spontanéité, son énergie, sa rage. C’est un élément crucial de notre point de vue, car notre militantisme ne prend sens que s’il s’appuie sur l’auto-activité politique du prolétariat, dont il vise à développer jusqu’au bout les implications. Il est possible – même si cela n’a pas été le cas jusqu’à maintenant – que ce retour entraîne à sa suite le retour d’autres secteurs de notre classe sur ce terrain. Aussi ce mouvement ouvre-t-il une nouvelle séquence dans la lutte de classes dans laquelle le prolétariat comme tel pourrait – à certaines conditions – redevenir un acteur politique conscient, pesant avec son poids spécifique.

Le mouvement des gilets jaunes vient confirmer qu’on entre dans une nouvelle période, déjà annoncée par la loi travail et par les mobilisations cheminote et étudiante. On sort du creux des mobilisations qui a eu lieu entre 2010 et 2016, et qui lui-même refermait le grand cycle des mobilisations entre 1995 et 2010. La perspective même de la révolution et du communisme, redeviennent audibles pour toute une partie du prolétariat à laquelle il nous était jusque-là très difficile de nous adresser.

Dans ce mouvement, et en particulier dans ses éléments les plus structurés (AG, AG des AG), on retrouve beaucoup d’ancien.ne.s militant.e.s des mouvements des années 2000, ou encore des déçu.e.s de la France Insoumise. Cette caractéristique vient balancer l’aspect strictement spontané du mouvement – il est certes né spontanément, mais grâce aussi et malgré tout à une certaine expérience accumulée par certain.e.s.

Le poids du populisme et la dynamique de classe

Quoique dominant en termes sociologiques dans la mobilisation, le prolétariat n’y est pas politiquement hégémonique, car il ne possède pas encore de politique propre, ce qui supposerait une direction de classe et au fond révolutionnaire. C’est le leg de la crise de la direction du mouvement ouvrier, devenue crise du mouvement ouvrier lui-même et de la conscience de classe. C’est pourquoi la petite-bourgeoisie, quoique numériquement très minoritaire, possède dans la mobilisation une influence qui dépasse de loin son nombre. Le populisme de droite comme de gauche — c’est-à-dire des forces politiques qui font du « peuple », quoique pensé très différemment, le sujet politique fondamental, dissimulant les contradictions de classes opposées — possèdent pour la même raison une influence considérable sur la mobilisation, quand bien même les masses vont bien plus loin contre Macron et sa politique que les représentants officiels du populisme, même « de gauche », qui n’entendent pas trancher les questions sur l’arène de la lutte de classe directe, mais par le moyen d’élections dans le cadre du régime.

Cependant le poids sociologiquement dominant du prolétariat tend à imprimer une dynamique favorable à l’intervention et à l’insertion des forces révolutionnaires capables de percevoir et de développer les éléments révolutionnaires de cette spontanéité prolétarienne. Mais cette tendance ne peut pas aboutir immédiatement, même parmi les secteurs les plus avancés, car il faut passer par une série d’expériences et de luttes politiques pour arriver à reconstruire une conscience de classe.

Une expression du développement du capitalisme français

La mobilisation a surtout entraîné le prolétariat des zones rurales et rurbaines, travaillant principalement dans des petites et moyennes entreprises, ayant de plus en plus de mal à boucler les fins de mois, ainsi que la petite-bourgeoisie des mêmes zones (auto-entrepreneur, artisans, etc.). Cela a tendu à surprendre au départ, mais c’est en réalité une expression du développement inégal du capitalisme français. Il concentre les centres de décisions, les activités financières, les services dans des centres urbains internationalisés, où habitent la plupart des membres des classes dirigeantes (personnel politique, haut-fonctionnaires, cadres supérieurs du privé, profession intellectuelles moyennes et supérieures…). Il crée des poches de pauvreté dans les périphéries des grandes villes d’une part (cf. la « révolte des banlieues » en 2005) et dans les petites villes et les zones rurales, où se trouve l’essentiel de la structure industrielle du pays, en bonne partie ravagée par les vagues de fermetures d’usine accélérée par la crise de 2008. Ce prolétariat des petites villes et des zones rurales, des petites et moyennes entreprises est aussi globalement peu organisé sur le plan syndical et politique et d’une façon générale la présence militante est faible, ce secteur étant notamment délaissé par les appareils syndicaux et politiques.

La prise des ronds points (ou la recomposition de rapports collectifs)

L’occupation, le blocage de ronds points ou de routes ont été la première action mobilisatrice et la plus emblématique des gilets jaunes. Ces actions sporadiques ont déjà été utilisées au cours du mouvement contre la réforme des retraites de 2010. L’absence de grève reconductible, le reflux de la mobilisation, avaient entraîné des franges militantes politiques et syndicales, au travers d’interpro, à s’orienter vers ce type d’action par impossibilité de trouver de meilleur perspective dans leurs milieux. Ces actions avaient pour avantages de demander des forces limitées tout en étant visibles et perturbatrices mais en tant que pis-aller, faute d’avoir pu lancer une dynamique à l’échelle nationale de blocage économique. Elles étaient symptomatiques de la décomposition de la mobilisation.

Dans le cadre du mouvement des gilets jaunes, ces types d’actions n’ont en revanche pas la même sens de décomposition mais plutôt de dynamique inverse. Quoique souffrant du même défaut objectif de forces et de faiblesses (visibles, perturbatrices, mais à l’impact économique mineure) ces actions pris pour point de départ des gilets jaunes constituent à l’inverse un processus de recomposition d’une classe sociale inorganisée et atomisée qui a su trouver au « pays du ronds point » la place idéale pour se rencontrer, discuter, s’organiser, agir et faire ses premières expériences.

Un pilier du régime ébranlé, mais sans réussir à ce stade à en entraîner d’autres

La puissance et la détermination de la mobilisation exprime sur le terrain politique le ras-le-bol profond, longuement contenus de ces salarié-e-s, privé-e-s d’emploi, retraité-e-s pauvres, petit-bourgeois en difficulté. Ce qui lui donne sa force, c’est que ce secteur qui par sa passivité avait été un point d’appui pour les précédents gouvernements, se retourne contre le pouvoir, le privant d’un pilier important pour lui. Mais ces prolétaires peu organisés et sans liens solides avec les plus grandes concentrations ouvrières, les salarié-e-s urbain-e-s, les petits fonctionnaires n’ont pas pu, malgré leurs tentatives, faire franchir un cap à la mobilisation en passant des mobilisations de rue à la grève de masse.

2. Une lutte politique marquée par des éléments contradictoires

Ce passage à l’auto-activité politique est en lui-même extrêmement positif, quand bien même il s’accompagne inévitablement de façon initiale d’une part de confusion et d’indétermination, ouvrant des possibilités d’évolution à l’extrême gauche mais aussi à l’extrême droite. Mais cela implique d’analyser les contradictions dont cette lutte est porteuse, contradictions pouvant expliquer les appréciations parfois opposées formulées à son propos, notamment sur la manière dont la mobilisation influence les développements de la conscience de classe à court et à moyen terme.

Il est important de souligner que le secteur véritablement actif dans la lutte reste assez réduit, aux alentours de quelques centaines de milliers de personnes (entre 100 000 et 500 000 environ), tandis que les autres soutiennent la mobilisation de plus loin sans faire les expériences politiques impliquées par la participation active à la lutte.

Eléments de crise d’hégémonie des relais politiques de la bourgeoisie et renforcement de l’Etat autoritaire

Beaucoup d’éléments sont là pour conclure à une crise d’hégémonie, non pas de la bourgeoisie en tant que classe mais de la bourgeoisie dans ses relais politiques et institutionnels : les relais de l’État (préfet·e·s, député·e·s, sénateurs/trices, et police) ont perdu une partie de la confiance de la population et des exploité·e·s. La focalisation de la colère contre Macron illustre un rejet total de la personne mais aussi un rejet partiel de la fonction. Cette crise profonde tient aussi à la responsabilité de Macron : pour approfondir et accélérer l’offensive exigée par le capital contre les acquis du prolétariat, il a dû accentuer les traits bonapartistes du régime. Cela s’est d’abord exprimé dans sa prétention à défendre une orientation politique qui ne serait « ni de gauche ni de droite » et aussi dans sa volonté d’intégrer encore davantage à l’Etat les syndicats en les transformant en purs et simples accompagnateurs dociles des reculs sociaux brutaux. En outre, l’affaiblissement des partis traditionnels de la bourgeoisie — résultat de leur longue politique de démantèlement des acquis sociaux depuis trente ans —, capables d’encadrer le territoire par un maillage serré, a affaibli la capacité de l’exécutif à canaliser le ras-le-bol de fractions du prolétariat. Avec peu de relais, avec peu d’expériences politiques et peu d’assises locales (les fameux « fiefs » de l’UMP ou du PS), il est difficile pour l’exécutif de disposer d’espaces de médiation efficaces. Cela le contraint à procéder à un saut qualitatif dans la répression judiciaire et policière.

Des symboles ambigus, à la fois nationaux et révolutionnaires

Une des caractéristiques frappantes des manifestations est la présence importante de drapeaux français et du chant de La Marseillaise, véritable cri de ralliement. Certains ont tout de suite interprété cet élément comme le signe indubitable de la main mise de l’extrême-droite. C’est oublier que ces symboles sont en réalité revendiqués – quoiqu’en des sens différents – par l’ensemble des forces politiques du pays, à l’exception des communistes révolutionnaires. Même Mélenchon a troqué en 2017 le drapeau rouge pour le drapeau tricolore. En ce sens, réduire ces drapeaux à un sens nationaliste, ce serait ne pas voir que pour signifier leur révolte contre le pouvoir quasi « monarchique » de Macron, sa morgue et son mépris, ces prolétaires coupés dans leur écrasante majorité des idées et du programme marxiste, ne pouvaient se saisir d’autres idées et symboles que ceux du « peuple révolutionnaire » insurgé contre les tyrans. Cela n’enlève pas à ces symboles les autres significations qu’ils peuvent avoir, ni n’empêche que le populisme d’extrême-droite se soit efforcé de s’appuyer dessus pour exercer son influence. Mais, sauf incidents isolés, les mots d’ordre du mouvement ne se sont pas tournés contre les comme les étrangers ou les lumpen-prolétaires, mais bien contre l’incarnation personnelle dans la figure de Macron d’un « système » de plus en plus rejeté.

Expérience de la violence d’Etat et du rôle de la police

La présidence Macron, apogée de l’offensive néolibérale, est aussi confrontée à l’étroitesse toujours plus grande de sa base sociale. Aussi n’a-t-il d’autre choix pour la poursuivre, avec le soutien de toute la bourgeoisie, que de renforcer les traits bonapartistes de l’Etat (légiférer par ordonnances, procédures accélérées d’examen des lois, répression judiciaire et policière, etc.), laissant apparaître à une échelle jamais connue depuis trente ans le fait que l’Etat s’appuie en dernière analyse sur le recours à la violence physique pour maintenir le pouvoir des classes dominantes.

La mobilisation a en son cœur les manifestations, qui ont parfois pris la forme de l’émeute. Des affrontements avec la police se sont produits partout dans le pays et sont loin d’être uniquement ni majoritairement le fait des groupes habituels d’extrême gauche ou d’extrême droite. Pour un certain nombre de gilets jaunes, la violence – considérée ici comme de l’auto-défense populaire – contre la répression policière a été spontanée sinon nécessaire. Même si sa fonction n’est pas claire pour les masses, la défiance vis-à-vis de la police a augmenté et s’est parfois muée en hostilité.

Aujourd’hui l’obligation de devoir demander l’autorisation de manifester au pouvoir est remise en cause par une grande partie des Gilets Jaunes et il y a une certaine légitimation de violence contre les forces de l’ordre et les lieux de l’Etat (Préfectures, bureau de Benjamin Griveaux…) ou de certaines structures privés (péages d’autoroute)

Renforcement du populisme d’extrême-droite de certains secteurs et évolution vers la gauche d’autres secteurs

L’attitude de soutien de loin adoptée par Marine Le Pen à la mobilisation, combinée à ses discours sur la France des « oubliés », des petits, des travailleurs, des terroirs contre celles des élites, des grands, des villes, des financiers, lui a permis de conforter et sans doute de renforcer son poids électoral global dans ces régions. Elle s’appuye sur la solidarité spontanée entre cette fraction du prolétariat et la petite-bourgeoisie pour défendre sa politique pro-patronale, justifiant par exemple son refus d’augmentation des salaires et notamment du SMIC par le souci de préserver les petites et moyennes entreprises.

Cependant, celles et ceux qui se sont davantage impliqués dans la mobilisation, en allant manifester eux-mêmes, en faisant l’expérience de violence policière, en rencontrant des militant.e.s, en ayant l’occasion d’échanger (dans des cadres plus ou moins démocratiques selon les cas) ont plutôt eu tendance à évoluer vers la gauche. Mais ils représentent une minorité par rapport aux premiers.

Le fait que des fachos aient été sortis de certaines manifs par plus de manifestant.e.s que les simples militant.e.s antifascistes, les liens qui commencent à se construire avec les luttes des migrant.e.s comme à Caen (où l’AG des Gilets Jaunes a été accueillie dans le squat des réfugié.e.s, et lors de l’action de blocage du port de Ouistreham où des GJ ont aidé des migrant.e.s à monter dans des camions pour l’Angleterre), le fait que des cahiers de doléances ouverts en mairie n’expriment que peu le refus de l’immigration sont des indicateurs favorables également.

De même, l’expérience de la violence policière, déjà expérimenté depuis des dizaines d’années dans les quartiers populaires et par les personnes racisé.e.s tend à permettre de penser des rapprochements entre des secteurs du prolétariat, très fortement exploités et opprimés, et en même temps très différents par leurs expériences et leur subjectivité politique.

Mais ces éléments progressistes se combinent avec une forte présence de l’extrême-droite dans le « service d’ordre » des GJ à Paris ou encore les attaques de fachos contre des cortèges de gauche ou d’extrême-gauche – et notamment celui du NPA à Paris le 26 janvier – ou encore le 9 février à Lyon et Toulouse. De même, s’il ne faut pas sous-estimer le fait que des dénonciations de migrant.e.s à la police qui ont eu lieu à Flixecourt ou que des propos contre le « Pacte de Marrakech » sont entendus sur les ronds-points, il ne faut pas non plus surestimer leur poids.

Des éléments de dynamique politique progressistes, mais encore confus

Cette auto-activité a permis d’ouvrir des dynamiques politiques progressistes, mais à approfondir :

1) Prendre en main son propre destin et ne pas faire confiance aux politicien•ne•s professionnel•le•s et aux médias. C’est pour répondre à cette préoccupation que la revendication du RIC est née. Pour celles et ceux qui le défendent, cela permettrait d’imposer les décisions du peuple à ceux qui nous gouvernent et par là même régler la question des revendications — l’argument étant que alors la majorité pourra imposer toutes ses exigences portées par le mouvement. Aujourd’hui, les politiciens bourgeois prennent les décisions seuls dans presque tous les cas et font appel au peuple simplement quand ça les arrange. Partant de ce constat, beaucoup de Gilets Jaunes, se sont saisi.e.s de cette revendication. Néanmoins, si cette aspiration pour une véritable démocratie est un élément particulièrement progressiste du mouvement puisqu’il pose la question du pouvoir, la revendication du RIC n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes sur le fond comme sur sa fonction dans le mouvment. En effet, d’abord, des systèmes comparables au RIC existent dans d’autres pays (en Suisse par exemple), et on voit bien que ça n’empêche en aucun cas la bourgeoisie de gouverner tranquillement. C’est la raison pour laquelle des partis qui ne sont pas pour rompre avec le capitalisme ont pu défendre ce mot d’ordre. D’autre part, le RN et d’une façon générale l’extrême-droite l’ont également défendu dans le cadre de leur manoeuvre visant à se présenter comme les défenseurs du « peuple » contre les « élites corrompues », alors qu’ils sont les représentants des tendances les plus réactionnaires du capitalisme. En outre, cette revendication apparue à un moment où l’occupation des ronds-points commençait à devenir difficile, risquait d’aboutir à sortir les GJ de la rue, permettant au gouvernement de reprendre la main et de déplacer le problème sur le terrain institutionnel, éventuellement en proposant un RIC au rabais pour tuer le mouvement. Une autre difficulté qui s’est posée très concrètement avec les partisans du RIC, c’est qu’ils proposaient un raccourci pour régler les difficiles et nécessaires débats sur les revendications. Or, ces échanges constituaient une expérience précieuse de démocratie directe et favorisaient des discussions portant très concrètement sur nos conditions de vie, faisant de la lutte des classes le centre de gravité du mouvement. Pour toutes ces raisons, en particulier la lutte contre l’extrême-droite, il était important à la fois de ne pas couper aux débats et de les pousser jusqu’à leur terme (par exemple, lien à la constitution démocratique de 1793, tout le pouvoir au peuple, etc.), tout en combattant sur le fond et la forme l’extrême-droite et en développant la dimension politique progressiste de l’aspiration à une démocratie véritable selon la logique du programme de transition.

2) Des éléments de rupture avec l’ordre républicain, le pacifisme ou le légalisme syndical.

3) Une mise en avant de la question des femmes, même si pas encore de la question féministe, ce qu’on doit bien sûr encourager.

4) L’exigence politique centrale du départ de Macron. En un sens, c’est un mot d’ordre politique extrêmement juste : pour dégager la politique de Macron, il faut bien dégager Macron lui-même et non chercher illusoirement à faire pression sur lui, comme prétendent le faire les bureaucrates syndicaux avec l’efficacité qu’on sait. En même temps, cette opposition centrée sur Macron ne fait en général pas le lien entre la figure de Macron et les exigences du grand patronat.

3. Les acquis et les limites actuelles de la mobilisation

Le tout-puissant Macron forcé de reculer

Un point essentiel, c’est que les Gilets Jaunes, au contraire des bureaucrates syndicaux, ont réussi par leur lutte spontanée, dynamique, déterminée, à forcer Macron à reculer. Bien sûr, les concessions sont maigres (annulation des hausses de taxe principalement), tandis que les autres mesures sont de nouvelles voies d’approfondissement de la politique libérale. Mais Macron, après avoir – comme toujours – dit par la voix de son Premier Ministre qu’il ne reculerait pas, a dû revenir sur une mesure annoncée. C’est un point capital à marteler partout : oui, il est possible de faire reculer Macron, à condition de construire une mobilisation suffisamment déterminée et massive.

Des éléments d’auto-organisation et de centralisation de l’auto-organisation, essentiels, mais limités

Il n’y a pas seulement une différence entre le nombre de personnes soutenant la mobilisation et celle y participant. Il y a aussi une énorme différence entre le nombre de manifestant.e.s et le nombre de celles et ceux qui se réunissent en AG avant ou après les manifestations, autour d’une cabane, d’un rond-point, etc. D’ailleurs les formes mêmes de débat sont variables, depuis l’assemblée ultra-démocratique de Commercy à des rond-points où dominent plutôt quelque leaders sans véritable débat.

Mais les assemblées existent, rassemblant selon les villes des dizaines et même des centaines de personnes (avec des proportions souvent plus fortes par rapport à la population totale dans les zones rurales et les petites villes). Elles ont été jusqu’à un certain point médiatisées. En leur sein, les travailleur-se-s y font une expérience de la démocratie directe extrêmement importante.

En ce sens, l’appel à une Assemblée des Assemblées à Commercy a joué un rôle très progressiste. A moyen terme, cela constitue une expérience de centralisation des foyers de lutte, de délégué.e.s mandaté.e.s sous un contrôle de la base, de débat démocratique pour élaborer une plateforme et des méthodes de lutte pouvant faire franchir un cap au mouvement. A court terme, cela a permis la rencontre entre les délégué-e-s des zones rurales et petites villes avec celles et ceux des banlieues, entre des milieux plus et moins politisés. En ce sens, il a permis une première forme de fusion entre des expériences différentes de différents secteurs du prolétariat. Il en est sorti un appel, une sorte de manifeste très général, mais avec des axes politiques progressistes, revendiquant d’abord et avant tout la justice sociale et fiscale, rejetant le racisme et la xénophobie, tout comme le sexisme et l’homophobie, condamnant les violences policières et les petits groupes violents contre les manifestant.e.s, affirmant la lutte contre les lois liberticides – notamment la loi anti-casseurs – et l’appel à la grève du 5 février.

Les femmes Gilets Jaunes

L’émergence de groupes de femmes Gilets Jaunes, qu’ils soient en ligne ou à travers l’organisation de réunions, AGs, manifestations et cortèges en propre, quoique peu nombreux, sont un important pas en avant dans la reconstruction d’un féministe lutte de classe en France. Lancés assez tôt dans la mobilisation par des femmes aux trajectoires sociales et militantes diverses, leur importance tient plus aux débats qu’ils ont permis de susciter au sein du mouvement des Gilets Jaunes et du mouvement social en général qu’à leur degré d’auto-organisation ou leur importance quantitative. D’ailleurs leur existence a pris et prend encore plus d’importance sur les réseaux sociaux que dans la rue – et en disant cela, nous ne minimisons pas les effets que le travail accompli en ligne a pu avoir subjectivement et objectivement pour les Gilets Jaunes pas plus que nous ne minimisons les apparitions dans la rue, en AG etc. Partis du constat que les femmes sont une des portions les plus précaires des précaires, « plus prolo que le prolo, il y a la femme du prolo », ces groupes ont mis en lumière tant les conditions de vie et de travail dégradées et de plus en plus intenables, avec un accent particulier mis sur les mères célibataires, que les violences sexistes subies quotidiennement.

Ici, un point qu’il nous semble important de relever et que contrairement aux discours qui soulignent une « participation exceptionnelle des femmes au mouvement des Gilets Jaunes », nous pensons qu’il n’y avait pas plus ou pas moins de femmes que pendant la loi travail par exemple, mais que divers éléments ont poussé les commentateurs divers (journalistes et militant.e.s) à mettre particulièrement l’accent sur leur participation.

D’abord, la particularité de ce mouvement tient plus à la mobilisation de secteurs très précarisés du prolétariat, habituellement oubliés des appareils syndicaux et politiques, dont les femmes qui cumulent petits emplois, boulots au chèque emploi service, mi-temps forcés etc. Placées dans une situation militante où personne n’avait à décider pour elles si il était légitime qu’elles parlent ou pas, dans la mesure où il y a rapidement eu une disparition de revendication phare pour le mouvement, elles ont parlé tout simplement de leur vie. Leurs récits ont ainsi eu un effet déflagration/sidération pour beaucoup de ces commentateurs qui les ont alors interprétés sous le mode de « première fois qu’il y a autant de femmes dans la lutte ». Deuxièmement, la modalité de mobilisation première qui était le blocage a donné beaucoup d’importance aux femmes qui sont bien plus formées dans leur vie que les hommes à gérer la vie d’un groupe, sa cohésion, la bouffe. Après tout, ces cabanes étaient de véritables maisons pour celles et ceux qui les ont occupées. Lors de la chute du nombre de blocage et le transfert de la mobilisation vers les assemblées et les manifs du samedi, les divers médias les ont, malheureusement quoique de façon prévisible, beaucoup moins mises en avant…

Enfin, deux derniers éléments qui vont ensemble : le développement d’un mouvement féministe à l’échelle internationale, qu’on désigne souvent comme « 4ème vague », et la puissance des attaques néolibérales actuelles contre les services publics et les services touchant au travail reproductif qui touchent grandement les femmes pour des raisons historiques de division genrée du travail. De ce point de vue elles constituent un secteur à la fois particulièrement attaqué et particulièrement central dans les luttes contre le néolibéralisme et ce n’est certainement pas un hasard que la 4ème vague du féminisme se développe dans cette période. L’arrivée en France du mouvement metoo a notamment eu un impact assez fort dans le milieu journalistique.

Leur mobilisation, au-delà de l’accumulation d’expériences vécues, a ainsi permis de souligner la nécessité de lier luttes pour de meilleures conditions de vie à lutte pour les droits des femmes, dans un sens comme dans l’autre, au moment où la question de la grève féministe commence à se poser en France.

Des éléments de convergence entre Gilets Jaunes et quartiers populaires

Outre la présence continue de personnes vivant dans des quartiers populaires dans les manifestations des Gilets Jaunes et l’existence de groupes Gilets Jaunes dans des quartiers et villes populaires (notamment en région parisienne), des débuts de convergence ont eu lieu entre des groupes militants des quartiers populaires et des groupes Gilets Jaunes. De nombreuses initiatives ont été prises dans différentes villes allant dans ce sens. En région parisienne, le Comité Adama a été à l’initiative de plusieurs cortèges communs dans les manifs du samedi avec des cheminot.e.s en lutte, des syndicalistes, des groupes féministes, LGBTI et étudiants notamment et des discussions et rencontres entre Gilets Jaunes et militants du Comité Adama ont été organisé à plusieurs reprises au cours du mouvement. Autre fait important, plusieurs groupes Gilets Jaunes, de par leur implantation dans des quartiers et villes populaires, ont explicitement articulé leur lutte à celles des personnes victimes de racisme structurel, en faisant le lien avec des groupes militants existants (contre la gentrification, contre les violences policières, pour les droits des migrant.e.s etc.). On peut citer par exemple les groupes de Rungis, de Belleville (20ème Paris) et de Place des Fêtes (19eme), ces deux derniers ayant notamment mené la bataille à l’Assemblée des Assemblées de Commercy pour que l’appel prenne explicitement en charge les luttes des quartiers populaires et des personnes racisé.e.s.

Même s’il est aujourd’hui difficile d’en mesurer les effets à une large échelle, l’incroyable violence policière et judiciaire subie par les Gilets Jaunes, manif après manif, blocage après blocage, a contribué à une prise de conscience des personnes mobilisées sur le rôle de la Police et de la Justice dans notre société, permettant de faire le lien explicitement avec les violences quotidiennes subies par les personnes racisé.e.s. De plus, l’expérience commune de vivre dans des territoires abandonnés tant par l’État que par les appareils syndicaux et politiques, permet de discuter concrètement de convergences entre Gilets Jaunes et quartiers populaires en s’appuyant sur un vécu partagé. Comme l’a dit Assa Traoré, « dans les quartiers, ça fait 40 ans qu’on est Gilets Jaunes » : chômage, précarité, services publics absents ou au rabais, mépris social, conditions de vie très difficiles et violences policières…

Ces points de convergence sont stratégiquement très précieux. Il faut œuvrer à les renforcer et à les développer.

La passivité relative du prolétariat des grandes entreprises privées, de la Fonction publique et des salariés influencées par les syndicats

La faiblesse de la mobilisation des GJ tient au fait qu’elle n’a pas reçu à aller au delà de 500 000 manifestant.e.s (estimation moyenne pour la journée du 17 novembre). Cela signifie surtout qu’elle n’a pas réussi à entraîner de façon significative d’autres secteurs du prolétariat. Les ouvrier.e.s dans grandes entreprises, les fonctionnaires, les salarié.e.s influencé.es par les syndicats sont resté.e.s pour l’essentiel à l’écart du mouvement, même lorsqu’ils/elles le regardent avec bienveillance.

C’est la raison pour laquelle l’arme de la grève, contribuant à ralentir ou même paralyser l’économie, n’a pas encore été employée à une échelle significative. Pourtant, les limites des manifestations du samedi, ressenties par les leaders du mouvement des GJ eux-mêmes, ont conduit Eric Drouet à appeler à une grève générale illimitée à partir du 5 février. Que cela n’ait pas à ce stade débouché sur une grève générale ne change rien au fait que ces tendances sont à l’œuvre dans la situation.

Une partie des gilets jaunes a soutenu l’organisation de la grève générale autour du 5 février. Pour autant, elles et ils ne se sont par emparé de cet outil et ne s’imaginaient pas eux et elles-mêmes acteurs/trices de cette grève. En partie parce qu’ils n’en ont pas le réflexe, mais aussi à cause de leur isolement professionnel bien souvent (petites entreprises, précarité, …). Ce sont évidemment les directions syndicales qui sont responsables de cet échec de la grève (cf. plus bas), mais les gilets jaunes n’ont pas, à ce stade, la capacité de les déborder sur la grève.

4. La politique des directions du mouvement ouvrier

Le rôle néfaste des directions syndicales

Les limites de la mobilisation tient aussi au rôle des directions syndicales et des partis politiques « de gauche ». Les directions syndicales ont joué un rôle de protection du gouvernement. Elles ont poursuivi le « dialogue social » avec lui en pleine mobilisation, quand les leaders des GJ refusaient les rencontres avec le pouvoir ou exigeaient qu’elles soient retransmises en direct devant les yeux de toute la population. Elles ont présenté les GJ comme un mouvement piloté par l’extrême-droite, comme le gouvernement et les médias qui cherchaient ainsi à l’affaiblir en le diabolisant. Elles ont refusé d’appeler à manifester avec les GJ les samedi. Elles ont obéi à Macron et à tous ses alliés bourgeois quand ils ont exigé la condamnation de la violence des manifestant.e.s, sans dire un mot de la violence du capitalisme, de la politique anti-sociale et liberticide du pouvoir, ni des violences policières. Elles ont appelé à des mobilisations de diversion pour tenter de donner le change auprès de la base (1er décembre, 14 décembre). C’est aussi comme ça que le 5 février était conçu jusqu’à ce que Drouet s’en saisisse pour lui donner un autre sens, contribuant à une progression de la mobilisation.

Il est évident que sans le soutien de Martinez, Veyrier, et Berger, Macron aurait été beaucoup plus en difficulté. Bien plus, si les chefs syndicaux, s’appuyant sur la mobilisation des GJ, avait organisé une campagne active contre le gouvernement et pour la grève générale, avec des vidéos, des tracts, des interventions dans les médias, des heures syndicales, des AG par boîte, des meetings publics, il est probable qu’elle aurait réussi à mobiliser des secteurs significatifs, posant de façon concrète la question de la grève générale.

Malgré une attitude au départ semblable à celles des autres, Solidaires s’est en général distingué par un soutien plus marqué à la mobilisation des GJ à partir de début décembre, refusant notamment d’aller à la consultation organisée par Macron avant son intervention télévisée, mettant ses moyens à disposition de la mobilisation (salle, reproduction de tract) ou donnant sa prise de parole aux GJ comme à Nancy le 5 février.

Des convergences à la base entre GJ/syndicats et des tensions dans les syndicats

Inversement, malgré une certaine méfiance réciproque initiale, quoique variable selon les localités, des convergences ont eu lieu entre GJ et syndicats de base : diffusions sur les entreprises, blocages de dépôts, manifestations communes, réunions dans des locaux syndicaux, etc. La situation est cependant très variables d’une région à une autre, d’une ville à une autre, avec parfois de bonnes convergences, mais aussi parfois le maintien d’une séparation ou une convergence assez superficielle.

La position des dirigeants syndicaux a nourri, tout particulièrement dans la CGT, des oppositions. Malheureusement, à ce stade, l’opposition embryonnaire n’a rien fait pour la développer, l’organiser et en faire un facteur actif dans la situation.

La politique de Mélenchon

Mélenchon a soutenu la mobilisation des GJ, mais sans proposer la moindre politique pour la développer et notamment sans peser de tout son poids pour entraîner les syndicats. En effet, politicien bourgeois réformiste, il n’entend pas faire tomber Macron par la mobilisation de rue. Bien au contraire, il intervient avec pour objectif de capitaliser sur le plan électoral cette lutte dont certains thèmes font écho à ceux de sa campagne.

A ce stade, Mélenchon peut apparaître comme une alternative à Macron à échelle de masse. Pourtant, il n’en est pas une. L’expérience grecque a montré en pratique l’impasse du programme anti-libéral. On ne peut pas éviter de faire payer la crise aux travailleur-se-s si on n’est pas prêt à rompre avec le capitalisme, à exproprier les grandes entreprises, à réorganiser l’économie sur cette nouvelle base, à s’appuyer sur l’auto-organisation des prolétaires. En ce sens, même s’il n’est pas le principal ennemi dans la période, il faut s’en démarquer sans ambiguïté.

La politique de l’extrême-gauche

L’attitude à adopter face à cette mobilisation a produit des clivages importants au sein de l’extrême-gauche, là où sur des mobilisations traditionnelles les positions sont souvent assez proches. Cependant ces oppositions se sont en partie atténuées au fur et à mesure du développement du mouvement.

Face au caractère hétéroclite des structures et des individus appelant à la mobilisation du 17 novembre, dont des forces réactionnaires (à des degrés divers) et étant donné l’absence des directions syndicales, certains ont voulu voir ce mouvement comme typiquement poujadiste et réactionnaire. La question de l’équilibre des forces se posait très sérieusement. Mais, la revendication de base – le refus de la hausse des taxes sur les carburants décidée prétendument au nom de l’écologie et frappant en premier lieu les plus pauvres – étant juste, il fallait rejeter l’abstentionnisme politique et construire le mouvement en défendant une orientation de classe, révolutionnaire et anti-raciste. Au contraire, ne pas y participer revenait à laisser un boulevard à l’extrême-droite. Malheureusement, certaines forces ont mis des mois à comprendre la nécessité pour les révolutionnaires d’intervenir dans le mouvement et de construire ses cadres d’auto-organisation. Certains même – comme LO – ne sont jamais arrivés à cette conclusion, Nathalie Arthaud affirmant même en pleine campagne pour les élections européennes « Je ne serai jamais Gilet Jaune ». Comment oser dénigrer si sèchement une mobilisation prolétarienne aussi déterminée ayant subi une répression extrêmement brutale (milliers d’arrestation, dizaines de blessé.e.s graves, une morte, etc.) et ayant tenu tête aussi longtemps au pouvoir ? Comment s’imaginer devenir le parti des travailleurs/ses en méprisant leurs luttes autonomes ?

On peut mentionner parmi les éléments expliquant cette erreur massive de lecture les points suivants :

  • une vision idéalisée des mobilisations révolutionnaires consistant à croire que les prolétaires se mettraient en mouvement avec le programme révolutionnaire abouti, sans préjugés ni contradictions ; or, en réalité, tout mouvement vraiment massif, y compris ceux menés par les directions syndicales et les partis de gauche, mobilise des travailleurs/ses ayant les mêmes caractéristiques idéologiques ; la seule différence, c’est qu’ils y ont beaucoup moins voix au chapitre et que la parole officielle tend à être monopolisée par les « cadres » du mouvement ouvrier
  • la dépendance théorique et pratique de l’extrême-gauche par rapport aux appareils syndicaux, qui se sont frontalement opposés au mouvement au début et ont refusé de le rejoindre ensuite (à l’exception de Solidaires dans une certaine mesure et de sections locales de Solidaires et de la CGT) ;
  • les habitudes intellectuelles et pratiques prises par une expérience militante développée principalement dans des grands mouvements dirigés par les appareils syndicaux ou dans des luttes minoritaires orientés par l’extrême-gauche ;
  • l’absence d’habitude à avoir à lutter contre l’extrême-droite dans un mouvement de masse et de discussions sur la manière de le faire ;

Par la suite, les positions ont évolué, parfois avec des arguments oiseux, parfois sans le dire (l’autocritique étant une pratique absente de l’extrême-gauche). Malheureusement, cela ne s’est pas accompagné d’un tournant radical et général pour l’intervention dans le mouvement des GJ. En revanche, des interventions locales – d’ailleurs parfois initiées dès le début du mouvement – ont été développées y compris par des militant.e.s appartenant à des courants dont la direction avait une position anti-Gilets jaunes.

Un des effets du mouvement des gilets jaunes est d’accentuer la fissure entre une partie du mouvement ouvrier plus organisé, notamment dans les syndicats, à l’extrême-gauche, etc., et une autre partie du mouvement ouvrier, qui ne correspond pas aux mêmes fractions de la classe, qui est hors des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, qui a souvent, mais pas toujours, une moindre conscience de classe, même si cette situation a en partie évolué avec la mobilisation. Le rôle du NPA pendant la mobilisation aurait dû être de faire le lien entre ces deux parties de la classe. Il faut faire le bilan collectif que malgré son implication, le NPA n’a pas été en mesure de le faire, notamment par défaut d’implantation dans le mouvement ouvrier organisé.

La politique des autonomes

L’incapacité de l’extrême gauche organisée (NPA, LO particulièrement) à créer des liens solides avec les Gilets Jaunes ainsi que l’attitude des directions syndicales a permis aux autonomes d’influencer largement le mouvement, aidés en cela par plusieurs facteurs.

Le sentiment anti-parti et le peu d’intérêt pour les syndicats est un premier point commun entre Gilets Jaunes et autonomes. Par ailleurs, le mouvement est resté en dehors des entreprises, et pourtant il a réussi par le blocage (grandes surfaces, péages, rond-points…) à avoir un impact significatif sur l’économie (Bruno Lemaire à déclaré une baisse de 1 % de la croissance) et à arracher quelques concessions. Dans un contexte d’absence de grands acquis par la grève depuis des décennies, cela apparaît comme une validation de la thèse de l’autonomie sur la centralité des flux et de la logistique dans le capitalisme néolibéral occidental.

Enfin, une partie des Gilets Jaunes se sont radicalisé-es en subissant comme principale réponse du gouvernement une répression brutale dès le 24 novembre, se retrouvant souvent côte à côte avec des militant-es autonomes (qui de leur côté peuvent avoir l’impression que cette jonction partielle valide leur tactique d’affrontement). C’est positif dans la mesure où la conscience de la réalité des violences policières s’élargit à de nouveaux milieux, mais en contrepartie cette partie de l’avant-garde des Gilets Jaunes tend à se couper des autres, et à négliger la nécessité de massifier le mouvement.

5. Notre intervention

Quelques remarques générales

  • Sur l’interclassisme

Si le développement de la conscience de classe est un des objectifs principal du mouvement, le fort développement de la politisation du mouvement oblige à articuler cet objectif avec la question du projet politique et du processus pour le mettre en œuvre. Le caractère interclassiste du mouvement, pourvu qu’il soit dirigé par les travailleurs/euses n’est pas en lui même un problème. Pour les camarades ayant un projet communiste, la question d’une transition socialiste qui passerait par la collectivisation des banques et des grandes entreprises impliquent de faire basculer les artisans et les petits entrepreneurs dans le camp de la mobilisation. Leur expliquer qu”ils ont davantage intérêts à la collectivisation des banques pour financer leurs projets plutôt qu’à la liquidation de la sécurité sociale qui découleraient de la baisse des charges sociales est un des enjeux. Maintenant, certaines pancartes montrant le souci d’orienter l’utilisation des « charges sociales » vers les services publiques de santé plutôt que vers les dépenses somptuaires de l’Elysée sont plutôt encourageante sur certains états de consciences déjà existants. De même, certaines revendications liées aux charges sociales fustigent les allègement fiscaux faits aux grandes entreprises alors que les petites entreprises payent un pourcentage d’impôts bien supérieur par rapport à leur bénéfice. Le mot d’ordre de justice fiscale pourrait traduire un état de conscience dans le petit patronat GJ lié à une volonté de préserver les acquis sociaux des travailleurs mais de plutôt rééquilibrer l’imposition entre petites et grandes entreprises. Même si la justice fiscale est une impasse du point de vue de la résolution de la crise du capitalisme, elle n’est pas incompatible avec la préservation des intérêts des travailleurs et des travailleuses et mais pourrait bien être compatible avec un consentement au mot d’ordre de collectivisation des banques et des grandes entreprises, notamment celles de l’énergie.

  • Face à l’émergence de petits « chefs »

Il convient de prendre en compte certains éléments de situation et certaines caractéristiques propres au mouvement. Dans une société où le mode de production et le patriarcat favorisent les fonctionnement hiérarchiques et où l’absence de luttes sociales de masses n’a pas favorisé les expériences de fonctionnement collectif, bon nombre de groupes de gilets jaunes reproduisent parfois à cœur défendant des pratiques favorisant l’émergence de personnalité « décisives » pour ne pas dire de chefs. Le manque de culture de fonctionnement collectif s’est parfois accompagné d’un engagement lié à une détermination ayant aboutit à la concentration par certains ou certaines GJ de contacts, de savoirs faire qui défavorise certains GJ ne s’étant pas investies dès le début du mouvement dans les prises de décisions. Dans certains endroits, certain.e.s primo-militantes font l’expérience que la confiscation des pouvoir n’est pas l’apanage des organisations syndicales ou politiques. Néanmoins, sous réserve que ces processus de bureaucratisation par le bas ne cachent pas des desseins politiques contraires à l’anticapitalisme, à l’antipatriarcat, à l’antiracisme ou à l’antiLGBTIphobie, il faut prendre garde à ce que nos interventions et propositions pour les dépasser ne se fassent pas d’une manière maladroite qui pourrait paradoxalement les renforcer. La prise d’initiatives individuelles est à ce stade du mouvement incontournable et il doit y avoir un rapport dialectique entre ces prises d’initiatives et la construction d’un fonctionnement collectif de prises de décision. Le principe « d”horizontalité » pousse parfois à reprocher les prises d’initiatives individuelles non validées collectivement et peut avoir un caractère inhibant sur certains individus mais aussi de fait sur le fonctionnement collectif. En réaction à ces inhibitions, la construction démocratique est parfois rejetée avec le principe d’horizontalité jugée parfois à juste titre abstrait lorsque certaines nécessité pratiques s’imposent. La coordination du mouvement à plusieurs échelles est une des façons de dépasser les fonctionnement « bureaucratiques » locaux.

Quelques axes d’intervention

  1. Aider à structure la mobilisation à la base dans des AG, les plus démocratiques possibles, et favoriser l’intervention des GJ « de base » (non militant.e.s), en faire un lieu de regroupement pour celles et ceux qui veulent se battre, organiser des actions politiquement significatives, tenir un lieu (rond-point, cabanes, etc.). C’est l’expression de notre ligne pour l’auto-organisation des exploité-e-s et des opprimé-e-s. Contribuer à centraliser ces AG, avec des délégu.é.s mandaté.e.s et révocables. Défendre des mandats semi-impératifs. Mettre en pratique nos principes féministes dans ces AG.
  2. Intervenir pour donner au programme revendicatif des GJ une dimension anti-patronale, en mettant en avant l’exigence de la hausse des salaires de 300 euros pour tou.t.es et l’exigence de l’abrogation du CICE qui sont 40 milliards de cadeaux au patronat. L’objectif est d’aider le prolétariat à définir son ennemi, qu’il ne soit plus seulement Macron, mais Macron et le MEDEF, Macron le commis du MEDEF et des plus riches. C’est une façon de développer la conscience de classe dans la lutte.
  3. Avancer le mot d’ordre : Macron dehors ! Le gouvernement du MEDEF dehors !
  4. Contribuer à campagne contre la répression et à un combat central contre la loi dite « anti-casseurs ».
  5. Profiter de cette fenêtre de tir pour développer nos mots d’ordre féministes, à la fois dans le domaine de l’emploi, mais aussi en faisant le lien avec la mobilisation féministe contre les violences sexistes.
  6. Développer des mots d’ordre écologiques, qui soient portés par les Gilets Jaunes eux et elles-mêmes, en lien notamment avec les mobilisations de la jeunesse sur le climat.
  7. Combattre la politique criminelle des directions syndicales, en combinant dénonciation ferme mais saisissable par les syndiqué.e.s et interpellation pour l’action à partir des éléments le permettant
  8. Lutter dans les syndicats pour des motions de soutien aux GJ, des actions en convergence avec les GJ et pour changer l’orientation du syndicat, avec comme axes la rupture des concertations, une vaste campagne de mobilisation contre le gouvernement avec l’objectif de la grève générale.
  9. Chercher à développer les luttes dans chaque secteur et à favoriser les convergences avec la mobilisation des GJ.
  10. Mettre en avant la nécessité de la rupture anticapitaliste avec l’Union européenne.
  11. Utiliser les progrès de la conscience dans une frange de dizaines de milliers de prolétaires pour faire une campagne de propagande en faveur du gouvernement des travailleur-se-s et défendre notre projet communiste autogestionnaire. Il faut ouvrir une alternative à la barbarie capitaliste à la fois pour nourrir les luttes, mais aussi pour éviter que la souffrance et la colère ne soit récupérées par des projets politiques, certes opposés au libéralisme actuel, mais capitalistes et réactionnaires, ne pouvant apporter que régressions à l’immense majorité. Pour changer leur vie, les exploité.e.s et opprimé.e.s. doivent prendre leurs affaires en main et se battre pour leur propre pouvoir.

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