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SOURCE : Contretemps
Xavier Lafrance est professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal. Il a coordonné, avec Charles Post, le livre Case Studies in the Origins of Capitalism (Palgrave 2018) et est l’auteur de The Making of Capitalism in France. Class Structures, Economic Development, the State and the Formation of the French Working Class, 1750-1914 (Brill, « Historical Materialism », 2019).
Dans le sillage du modèle du « marxisme politique »
Contretemps : Pourrais-tu revenir sur ton background intellectuel et politique ? Dans l’introduction de The Making of Capitalism in France, tu écris que le cadre théorique dans lequel tu t’inscris est celui du « marxisme politique » (que tu préfères nommer « marxisme inspiré du Capital» [Capital-centric Marxism]) : pourrais-tu expliciter ton rapport à cette tradition théorique du marxisme ?
Xavier Lafrance : Dans le livre, j’utilise le cadre du « marxisme politique », développé par Robert Brenner et Ellen Meiksins Wood à partir de la fin des années 1970 et du début des années 1980, qui s’appuie sur la critique de l’économie politique par le Marx de la maturité. Dans ses travaux de jeunesse – notamment dans L’idéologie allemande et Le Manifeste communiste – Marx était encore influencé par la présentation classique du « modèle commercial » d’Adam Smith. Selon ce modèle l’expansion des échanges marchands conduit à une division permanente du travail et du développement des forces productives, culminant avec la montée du capitalisme (ou ce que Smith appelait la « société commerciale »).
Marx a rompu avec ces hypothèses smithiennes dans les Grundrisse et dans son chef d’œuvre, Le Capital (d’où l’expression « marxisme inspiré du Capital » [Capital-centric Marxism]). Dans ces travaux, Marx rejette la notion des économistes politiques classiques de la « soi-disant accumulation primitive » qui aurait amorcé l’émergence du capitalisme. Il souligne qu’aucune expansion commerciale ou accumulation de richesse monétaire ne pourra jamais, par elle-même, expliquer la transition vers le capitalisme. Le capital n’est pas une chose, mais un « rapport social » et l’émergence du capitalisme nécessite une transformation radicale des rapports de classe – une reconfiguration qualitative du pouvoir social et non une accumulation purement quantitative de richesses. Afin d’expliquer cette transformation des rapports de classe, Marx a consacré la dernière section du premier volume du Capital à une analyse de l’expropriation massive et violente des paysans de leurs terres, qui a eu lieu dans la campagne anglaise aux débuts de la période moderne.