Espagne. Gouvernement de gauche… on peut garder un minimum d’esprit critique ?

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Blog d'Antoine de Montpellier

Cet article, paru sur le site du très recommandable Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes, anciennement pour l’abolition des dettes du Tiers Monde (CADTM), est l’un des plus pertinents qui ont été publiés en langue française sur ce que représente le nouveau gouvernement espagnol auquel participe Unidas Podemos. Je précise en fin de page ce sur quoi j’ai cependant quelques réserves.

 

Un cadre macroéconomique néolibéral que le nouveau gouvernement ne conteste pas

“Selon la plupart des médias, nous sommes confrontés à un véritable changement de paradigme, qui mettrait fin à des années de politiques néolibérales en faveur d’un programme de type social-démocrate. Toutefois, une analyse plus détaillée du document montre que ces aspirations sont plus que limitées. Il s’engage à garantir des droits tels que le niveau des retraites [le gouvernement de coalition a augmenté le montant de retraite de 0,9% comme première mesure] ou le soutien à la dépendance [handicap], tout en assurant « le respect des mécanismes de discipline budgétaire pour garantir la viabilité des comptes publics ». A titre d’exemple, dans la lutte contre l’emploi précaire (un des thèmes centraux des partenaires de la coalition), des divergences apparaissent déjà dans l’interprétation des politiques à mettre en œuvre : alors que Unidas Podemos préconise l’abrogation de la réforme du travail de 2012 [sous le gouvernement de Mariano Rajoy, qui accentue la réforme de 2010], le PSOE défend la nécessité de mettre fin à ses effets les plus néfastes et régressifs. Nous attendons de voir la portée de ces mesures, mais les réticences déjà exprimées, ainsi que le fait d’ignorer la réforme du travail mise en œuvre par le PSOE en 2010, indiquent que le travail ne cessera pas d’être la principale la variable d’ajustement pour assurer la « reprise économique ». Comme l’explique Mikel de Lafuente, entre 2007 et 2017, la part des salaires dans le PIB est passée de 50% à 47%, preuve des modalités avec lesquelles le capital a maintenu ses avantages par rapport à la contraction des ressources de la classe ouvrière.”

Erratum : lire au 3e paragraphe “alors que Unidas Podemos préconise l’abrogation de la réforme du travail de 2012 [sous le gouvernement de Mariano Rajoy, qui accentue la réforme de 2010] au lieu de “qui accentue la réforme de 2020”.

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Quelques réserves

Je tiens à dire en ouvrant ces quelques lignes critiques envers ce qu’on peut lire ci-dessus, que j’en partage largement la grille de lecture adoptée à partir d’une méthodologie analytique mobilisant, plus qu’il n’est commun de lire sur le sujet, les contraintes européennes pesant sur tout projet de gauche se proposant d’inverser les priorités que l’idéologie néolibérale a imposées comme relevant du naturel, du sérieux, du réalisme, etc. Et qui hélas ont reconfiguré les rapports de classe au détriment des couches populaires. L’allusion faite dans cet article à Syriza est, de ce point de vue, bienvenue pour rappeler ce qu’il en coûte d’être “réaliste” à gauche au point d’avoir à se renier par l’application de mesures dramatiquement antisociales contre lesquelles la base électorale (et extra-électorale) de ladite gauche se mobilise ! Pourtant il importe d’aller plus au fond, que ne le fait cet article, de ce que signifie l’exemple grec en repérant deux choses qui rapprochent dans le même temps qu’elles éloignent le cas de Unidas Podemos de celui de Syriza. Tout d’abord le rapprochement : Pablo Iglesias et, vu le fonctionnement verticaliste de Podemos, l’ensemble du parti (à l’exception des Anticapitalistes) ont d’emblée soutenu le gouvernement d’Alexis Tsipras. Cette proximité ne s’est jamais démentie jusqu’à aujourd’hui au détail près qu’elle a été vite mise en sourdine quand le virage ultra-néolibéral du Grec est devenu imprésentable dans l’Etat espagnol pour un parti qui se réclamait encore d’un changement radical.

Dans une très fine et argumentée présentation de la situation politique qui a vu l’émergence du personnage de l’actuel président du gouvernement Pedro Sánchez, le journaliste et politologue Jesús Maraña écrit dans son livre-enquête ceci (je traduis) : “La Syriza d’Alexis Tsipras [devient à partir de janvier 2015] le référent d’Iglesias, convaincu qu’il est de la possibilité de s’imposer contre les politiques dictées par l’Allemagne et la Troïka. [En juin cependant] Tsipras se voit obligé de céder et prive Podemos de toute caution européenne [crédibilisant son opposition] au discours de l’austérité.” (Jesús Maraña, Al fondo a la Izquierda [Au fond à gauche], Editorial Planeta, 2017, p 80). Si Tsipras a cédé en 2015, je crois que la façon qu’a eue la direction de Podemos d’opérer son propre virage, celui de l’évitement quant à aborder-discuter à ciel ouvert la signification de l’adaptation de Tsipras aux exigences austéricides de la Troïka, préfigure sa présente “cession”, autant dire concession majeure aux logiques de l’existant : d’une part, par l’assomption d’une conception politicienne, cherchant à faire oublier l’indéfendable que sournoisement on défend, du rapport aux “gens” contraire à l’ADN indigné du parler clair initialement revendiqué par lui, d’autre part, par la participation gouvernementale à laquelle il…cède aujourd’hui. Exposer, dans toute sa plénitude, ce qu’a été et, de fait, est toujours dans son non-dit, le rapport de Podemos à la politique menée par Syriza, permet d’éclairer le temps court, celui d’un présent de conciliation de ce parti espagnol, non plus directement avec la Troïka, mais avec un PSOE ayant réussi à éviter l’effondrement qu’a connu le parti frère grec, le PASOK. Lequel PSOE affirme toujours, c’est consigné dans le programme de gouvernement, qu’il respecterait les logiques économiques et financières de l’Union Européenne. Ce que, comme le rappelle l’article, la vice-présidence de Nadia Calviño, la gardienne du temple ultralibéral, verrouille.

On voit bien, à ce propos, la différence avec Syriza : Podemos (avec lui, l’ensemble de Unidas Podemos) s’est trouvé confronté à la résilience des socialistes qui, grâce à Pedro Sánchez mais surtout à ce que représente toujours son parti pour des élites espagnoles ayant médité de très près le cas grec, ont pu relever la tête sans certes jamais retrouver leur prestance du temps du bipartisme (avec le PP) mis en place par la Transition. Et pour le dire vite, Pablo Iglesias et son cercle rapproché ont aussi rapidement tiré les leçons de l’affaire grecque et fait le choix de la continuité avec l’option Tsipras (gouverner) dans le changement  (avec les socialistes). Une “continuité dans le changement” (Pompidou avait consacré, en 1969, “le changement dans la continuité” qui revient au même !) dont l’essentiel de ce qui est dit dans l’article, en particulier le rapport de force politique totalement favorable au PSOE dans le gouvernement, fait penser à la forte probabilité que les Espagnols se retrouvent gros jean comme devant. Avec la continuité sans le changement !

Or justement, c’est là ma réserve vis-à-vis de l’analyse proposée dans l’article : ces lignes, si justes sur les limitations que présente l’accord de gouvernement de gauche, perdent une partie de leur pertinence, à mes yeux, en voulant croire que Unidas Podemos pourrait retrouver du rapport de force pour infléchir l’orientation prosystème du PSOE en s’appuyant sur des mobilisations extra-institutionnelles. Hypothèse à tous points de vue illusoire de par ce que Podemos a démontré, depuis le début, être son primat de l’institutionnel, avec, pour corollaire, son refus de développer une politique de mobilisations sociales dont témoigne, en particulier, l’absence d’intervention syndicale autonome de ses militant.e.s, le sabordage de la tentative, au demeurant peut-être discutable, d’organiser un syndicat indigné (Somos) et l’alignement total induit sur les bureaucraties syndicales de l’UGT et des Commissions Ouvrières. Illusoire aussi de par l’engagement pris par Iglesias d’être d’une loyauté absolue à l’endroit d’un Pedro Sánchez explicitement reconnu par lui comme étant au plein sens du terme le Chef (du gouvernement) ! Illusoire enfin au vu de la position dudit Iglesias devant la récente grève générale des retraités du Pays Basque, pointe avancée d’une contestation présente dans tout le pays, qui ont la dent dure envers un gouvernement à qui ils déclarent ne pas donner de chèque en blanc : Podemos n’a pas donné son soutien à cette mobilisation car, a-t-il déclaré, il faut laisser du temps au gouvernement (lire ici). On croirait entendre les ministres communistes de l’époque du premier gouvernement de gauche, sous la présidence de François Mitterrand, qui lui aussi, bardé de ses clinquantes “110 propositions pour la France”, avait commencé assez social, comme fait le couple PSOE-Unidas Podemos, en demandant du temps pour le reste, avant d’opérer le virage néolibéral de 1983 que l’on connaît et qui valut au PC d’accélérer sa descente aux enfers de l’insignifiance politique. Le triste destin que prévoit à Iglesias et ses camarades, pour bons et loyaux services de stabilisation du régime, le néo-mitterrandien chef de gouvernement ?

Encore ceci : il est dommage que cet article n’intègre pas un minimum l’équation de la crise “catalane”qui déborde largement le cadre territorial et interfère au plus près, voire surdétermine avec quel pouvoir de percussion, les autres équations, sociales, économiques et évidemment politiques ! (Lire :Espagne, Catalogne, entre labyrinthe et impasse (1))

Antoine

Lire aussi :

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