Article publié sur le site du NPA
Le projet de loi du gouvernement sur les retraites prévoit que les points de retraite seront indexés par défaut sur le « revenu moyen d’activité par tête », un indicateur qui n’existe pas ! Pourquoi ne pas les indexer sur les salaires comme il prétendait vouloir le faire ? Pourquoi ordonner à l’INSEE de fabriquer cet indicateur bidon ? Pour une raison mesquine : cet indicateur évoluerait moins vite que le salaire par tête, et il permettrait de justifier des coupes supplémentaires dans les dépenses de retraite.
Le « revenu d’activité moyen par tête » : quand c’est flou, c’est qu’il y un loup !
L’INSEE produit aujourd’hui un indicateur fiable et lisible : le salaire moyen par tête (SMPT). Il rapporte l’ensemble des salaires bruts versés au nombre de salariés. Pour passer du salaire au « revenu d’activité », il faudrait ajouter a minima les revenus d’activité des indépendants, mais on pourrait aussi y inclure les allocations perçues par les chômeurs (puisque ceux-ci sont des actifs qui recherchent un emploi), la prime d’activité, etc.
Qu’est-ce que le « revenu d’activité » des indépendants ou entrepreneurs individuels ? Au sens de la comptabilité nationale, ce revenu pourrait être estimé par le « revenu mixte » : « mixte » car c’est la marge réalisée par l’indépendant (différences entre les ventes et les coûts de production) qui rémunère à la fois sa force de travail et son capital. L’estimation de ce revenu est très fragile, notamment en raison de la fraude et du travail au noir qui représentent environ un tiers de ce revenu.
En outre, des entrepreneurs individuels se rémunèrent via une société (imposée à l’impôt sur le revenu) qui leur verse des dividendes. Ces revenus doivent-ils être considérés comme des « revenus du patrimoine » ou comme des « revenus d’activité » ?
On le voit bien : il est impossible de construire un indicateur fiable et lisible. C’est d’ailleurs précisément le but du gouvernement, qui prétend décider à la place de l’Insee les modalités de calcul de cet indicateur… qui pourront changer sur simple décret ! Macron invente la statistique d’État, avec des indicateurs construits et instrumentalisés pour servir ses contre-réformes.
Comment évoluerait un indicateur de « revenu d’activité moyen par tête » par rapport au salaire moyen par tête ?
On peut essayer de se faire une idée de l’évolution d’un tel indicateur, ce qui peut nous permettre de comprendre les motivations (difficilement avouables) du gouvernement. Si on mesure le revenu d’activité par tête des indépendants par le « revenu mixte » par tête, on se rend compte que celui-ci a chuté depuis 2008, notamment en raison de la création du statut d’autoentrepreneur en 2009, qui a depuis fait fortement augmenter les effectifs de non-salariés aux revenus très faibles. Entre 2008 et 2018, le salaire moyen par tête (corrigé de l’inflation) a augmenté en moyenne de 1,1% par an alors que le revenu d’activité moyen par tête (corrigé de l’inflation), qui rapporterait les salaires et le « revenu mixte » au nombre d’emplois, n’a augmenté en moyenne que de 0,6% par an. La différence est très nette… et très intéressante pour le gouvernement.
Les syndicats de l’INSEE et le comité de mobilisation des agents de l’INSEE Paris s’opposent à la sale besogne que leur assigne le gouvernement
Les syndicats de l’Insee CGT, FO, et SUD ont dénoncé avec force le projet gouvernemental de création d’un tel indicateur1. En indiquant que les « modalités de calcul [seront] déterminées par décret en Conseil d’État », le projet de loi piétine l’indépendance de l’Insee garantie en théorie par loi de 19512 qui affirme que « la conception, la production et la diffusion des statistiques publiques sont effectuées en toute indépendance professionnelle ».
Le comité de mobilisation de l’INSEE Paris est sur la même longueur d’onde. Il prépare un document sur cette affaire de nouvel indicateur, qui prolonge les deux « Analyse Retraite » déjà publiées et qui ont reçu un large écho3. La direction de l’INSEE a cherché à étouffer la contestation en prétendant que les membres du comité de mobilisation auraient violé leur « obligation de réserve ». Une intimidation qui n’a pas mis fin aux activités du comité de mobilisation, bien au contraire.
La mobilisation doit s’amplifier, à l’intérieur et à l’extérieur de l’INSEE, pour faire échouer cette entourloupe statistique, et plus largement pour obtenir le retrait du projet de loi. La pression maximale doit être mise sur la direction de l’INSEE pour qu’elle soit contrainte de se positionner et d’indiquer clairement qu’elle refusera de collaborer à cette opération politique qui met en cause l’indépendance et la crédibilité de l’institut national de statistiques.