Notre anti-racisme

Ce texte est une ébauche de réflexion sur les racismes en général, mais est inévitablement marqué d’un point de vue centré sur la France. Par le colonialisme et les politiques discriminantes successives mises en place, principalement, à l’égard des « immigré·es » d’Afrique et du Maghreb, mais aussi qui visent les Rroms, les Gens du voyage, les Asiatiques et, à d’autres endroits, les personnes venant de l’Europe de l’Est, le racisme structurel est pleinement inscrit dans ce pays. Néanmoins, nous négligeons forcément d’autres situations possibles.

Comme les divisions en classes sociales, les divisions « raciales » ne reposent évidement, en dernière analyse, sur aucune différence biologique. Mais, de même que les divisions en classes, les « races sociales » sont une réalité structurante de nos sociétés, et pas seulement quelques préjugés. Pour lutter pour leur disparition, nous sommes convaincu·es qu’il ne faudra rien de moins qu’une société communiste. Pourtant, nous sommes également convaincu·es que cette lutte pour le communisme nécessite une lutte antiraciste à part entière.

Ce combat doit et devra se démarquer de ce qu’on appelle souvent l’antiracisme moral, incarné par exemple par SOS Racisme, qui est un instrument pensé par une partie de la bourgeoisie comme un outil de canalisation des revendications des personnes non blanches. Si nous nous revendiquons communistes révolutionnaires, nous nous inscrivons aussi, à large échelle, dans ce champ politique « de gauche » qui, en France et en Occident est majoritairement blanc et masculin. Dès lors, il s’agit pour nous de nous saisir de la question raciale non pour prétendre hautainement avoir et dispenser les meilleures solutions, mais plutôt pour interpeller et susciter des débats dans notre milieu, celui de l’extrême gauche et, dans un prisme plus resserré encore, au sein de notre Parti, le NPA. Par notamment la crise interne qu’avait suscité, en 2010, la candidature aux régionales de notre camarade Ilham Moussaid, nous pouvons voir que les questions de l’antiracisme et de l’islamophobie, loin d’être correctement et sérieusement débattues au sein du Parti, sont aussi l’objet de fortes tensions politiques.

1. Bases matérielles du racisme

Un processus de racialisation hérité historiquement de l’esclavage, du colonialisme, et de l’impérialisme, engendre des groupes impliqués dans les « rapports sociaux de race », c’est-à-dire un ensemble de relations d’oppressions et d’idéologies les justifiant (biologiquement, culturellement, politiquement, …). Ces rapports opposent des groupes aux intérêts immédiats partiellement divergents. Ces rapports sociaux de race sont le produit historique des besoins de la bourgeoisie naissante qui avait intérêt à hiérarchiser l’humanité pour avoir de la main d’oeuvre gratuite et accumuler suffisamment de capital pour financer le développement industriel. Il y a néanmoins une convergence fondamentale des intérêts de tou·te·s les exploité.e.s et opprimé.e.s. En même temps, contre tous ceux qui prétendent écarter les revendications spécifiques des racisé.e.s au nom de l’unité de la classe, nous affirmons que celle-ci ne pourra se construire qu’en mettant au premier plan ces revendications spécifiques pour l’égalité réelle.

• Lorsque la domination impérialiste enrichit les métropoles, apportant des retombées économiques y compris pour le prolétariat local. C’est un élément majeur du racisme depuis les débuts du capitalisme. Ce dernier a développé l’impérialisme (l’esclavage, puis le colonialisme…) à une échelle sans précédent, créant un racisme envers les peuples colonisés à une échelle elle aussi sans précédent. Le racisme actuel, qui traverse les sociétés européennes blanches, envers les peuples d’Afrique par exemple, et plus largement envers les non-blanc·hes, n’est pas qu’un reste du temps colonial. Il trouve notamment ses sources dans l’impérialisme économique actuel : les mécanismes de marché qui maintiennent le transfert de richesse Sud-Nord ne sont pas visibilisés, et permettent des discours méprisants / infantilisants sur la misère. Par ailleurs l’islamophobie est très présente dans la justification des interventions militaires depuis les années 2000 .1

  • Lorsque les politiques d’immigration très consciente de l’État français, notamment vis-à-vis des pays anciennement colonisés, permettent d’avoir une main d’œuvre à bas coût et faiblement syndiqués, d’autant plus exploitables et flexibles, servant de fusibles d’ajustement aux besoins de la production. En outre, cette main d’œuvre immigrée sert depuis les années 1980-1990 de plus en plus les besoins en terme de reproduction, en particulier les femmes, qui sont employées massivement dans les secteurs des services et des soins à la personne, là aussi à moindre coût et dans des conditions particulièrement précaires.
  • Lorsque les membres de la classe dominante et les membres de la classe exploitée sont majoritairement de deux origines différentes ou perçus comme tels (par exemple en Afrique du sud. Le racisme va alors de pair avec le mépris de classe.
  • Lorsqu’une frange plus exploitée du prolétariat entre en concurrence avec le prolétariat de la nationalité majoritaire (les travailleur·ses irlandais·es en Angleterre au 19e siècle, les travailleur·ses sans-papiers dans la France d’aujourd’hui…).
  • D’autres facteurs matériels peuvent jouer, comme les circonstances historiques qui ont créé des diasporas. La présence des Juif·ves dans plusieurs pays européens depuis le Moyen-Âge a favorisé le cliché des « riches-cosmopolites-dirigeant-le-monde ». Une prose qui connaît un renouveau au 19e siècle à la fois sous des plumes nationalistes et socialistes…2 Dans plusieurs pays d’Asie du Sud-Est, les minorités chinoises sont dans une situation qui présente de nombreux points communs.3
  • La classe dirigeante a un intérêt particulier à « diviser pour mieux régner », et donc à alimenter des discours qui permettent de faire bloc avec une partie des classes populaires contre un « ennemi intérieur » et/ou « ennemi extérieur ».4

Il faut bien souligner que des formes de racisme structurel existaient dans les sociétés de classe qui ont précédé le capitalisme, tout comme le patriarcat pré-existait au capitalisme. Ni le racisme ni le patriarcat n’ont été inventés par le capitalisme. Néanmoins, ils ont été nécessaires au développement du capitalisme et l’ont profondément modelé et structuré. L’accumulation initiale, qui est passée de façon centrale par le processus de colonisation des terres, des personnes et des ressources, est ce qui a permis le développement du capitalisme. Si bien que le capitalisme est structurellement un système raciste. En retour, le capitalisme a donné une toute autre ampleur aux phénomènes de domination raciale. Il a fourni un avantage matériel et idéologique décisif aux peuples européens et, par extension, blancs (en incluant les Etats-Unis), leur permettant de devenir, au-delà des rivalités entre eux, le bloc des nations dominantes. Capables de réduire des peuples en esclavage, en sujétion coloniale ou semi-coloniale, les classes dominantes occidentales ont eu besoin de former de nouvelles idéologies racistes « modernes » présentant ces peuples comme inférieurs, basées notamment sur la biologisation de la « race ». Cette division profonde du monde moderne, qui se perpétue, est structurelle et permet le maintien global du système raciste et capitaliste. Elle prend des formes concrètes à un niveau individuel : les Blancs auront du fait qu’ils sont blancs un certain nombre d’avantages sur les personnes racisées. Néanmoins il ne faut pas se tromper d’ennemi, et c’est bien principalement les structures, et en particulier dans notre cas l’État français, qui sont les lieux de production et de reproduction de la domination raciale, même si ces structures s’incarnent toujours également dans des individus qui en sont le reflet. Cela prend des formes concrètes différentes selon les temps et les lieux. Si d’autres racismes existent, celui-ci est véritablement mondialisé et est partie intégrante de la domination de l’Occident sur le reste du monde.

Les périodes de crise du capitalisme ont tendance à renforcer les clivages racistes, à la fois :

  • par des effets directs : renforcement de la concurrence entre travailleur.ses ou entre États, ce qui peut renforcer les discours violemment racistes
  • par des effets idéologiques : les politiciens bourgeois, qui ne peuvent capter de la popularité par des mesures sociales profitant à tous.tes, tendent à avoir recours aux boucs émissaires. Depuis les années 1980 ce discours a été particulièrement employé contre le « péril musulman », et notamment par le PS au moment-même où il décevait les espoirs ouvriers.5

La racialisation se fait sur des critères apparents, mais qui vont bien au-delà de la couleur de peau (croyances, habits, langue, traits culturels…). À l’heure actuelle par exemple, la domination raciale repose bien moins sur des bases prétendument biologiques, notamment suite aux recompositions de l’idéologie raciste suite au traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, que sur des bases prétendument culturelles. C’est pourquoi on parle également de domination ethno-raciale. Le processus de racisation est par ailleurs toujours un processus. Certaines populations peuvent être racisées à une époque et ne plus l’être à une autre, et inversement. Dans des circonstances historiques données, des oppressions racistes peuvent exister entre Blanc·hes par exemple, parce que des personnes considérées comme blanches aujourd’hui étaient alors racisées :

  • Au 19e siècle lorsque la révolution industrielle pousse de nombreux·ses Français·es de régions dans le prolétariat parisien, un racisme se développe contre les Bretons ou les Auvergnats. Une « tourbe de nomades » selon le baron Haussman… Aujourd’hui, la relative homogénéisation entre régions a beaucoup atténué ces différenciations, mais elles perdurent, par exemple avec tous les clichés véhiculés sur les gens du Nord (département au plus fort taux de pauvreté après la Seine-Saint-Denis).
  • Les Irlandais·es ont subi un racisme structurel de la part des Anglais·es, en Irlande face aux colons et en Angleterre lorsqu’ils·elles émigraient. Comme l’écrivait Marx en 1870 :

« Chaque centre industriel et commercial d’Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L’ouvrier anglais moyen déteste l’ouvrier irlandais en qu’il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l’ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l’Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les Blancs pauvres vis-à-vis des Nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L’Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l’ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande ».6

  • Les Italien·nes ou les Polonais·es qui immigraient pour des raisons économiques et se retrouvaient en bas du prolétariat en France ont également subi un très fort racisme.5

2. Rapports de classes et de race

Mais il faut souligner que les idéologies ont une importance réelle. Aucun discours raciste concret n’est donc le produit d’un seul facteur matériel. Quelles que soient les bases matérielles des « races sociales », leurs manifestations et leurs effets dépassent ceux des seuls rapports de classe. Par ailleurs, le racisme étant structurant de l’ensemble des rapports sociaux, bien qu’il s’exprime de façon différente au niveau individuel en fonction des autres caractéristiques sociales des individus concernés, il se retrouve quel que soit la classe, le genre, l’âge de ces personnes…

  • Une vague d’antisémitisme touche les nombreux Juif·ves pauvres qui viennent d’Europe de l’Est vers la fin du 19e siècle. Les Juif·ves intégrés à la bourgeoisie française prennent eux-mêmes part à cette vague en les traitant de « barbares » … mais ils se retrouveront visés aussi par l’antisémitisme.3
  • Une Noir ou une Arabe a plus de chance de subir une discrimination qu’une Blanche de même classe sociale. Un rappeur noir même riche subira aussi le racisme omniprésent, par exemple en étant victime de contrôle au faciès. Même si le racisme particulièrement fort qu’ils subissent provient en dernière analyse des rapports coloniaux et de classe, le racisme agit d’abord comme racisme, avec des nuances suivant les classes.
  • Bien que différemment, l’islamophobie peut toucher tou·te·s les musulman·es quelle que soit leur classe ou pays d’origine.

Exemples de structures racistes :

  • Discrimination à l’embauche et ségrégation sociale (par exemple sur les chantiers, en général les gros travaux sont faits par les Noirs, les travaux plus techniques par les Arabes, et les contremaîtres sont blancs).
  • Discrimination au logement, ségrégation géographique
  • Contrôle au faciès et violences policières
  • Jugements pénaux réguliers, incarcération massive…

Il y a bien un rapport de domination qui apporte certains bénéfices au groupe social des Blanc·hes : quand une Arabe est discriminée au logement ou qu’un Noir est discriminé à l’emploi, ce sont les Blanc·hes qui à l’inverse ont plus de chances d’être pris·es. Cependant on ne peut pas parler véritablement de rapports d’exploitation entre les « races ». La relation fait intervenir la classe dominante qui a de fait une responsabilité particulière : le propriétaire ou le patron qui discrimine, l’institution policière…

On doit donc éviter deux écueils : nier les rapports de « race » et présenter le racisme comme une simple idéologie propagée par la classe dominante pour nous diviser (ce qui nie l’importance d’organisations autres que celles du mouvement ouvrier) , ou à l’inverse faire abstraction de la lutte de classe et de l’impérialisme qui sont décisifs pour comprendre le racisme et le combattre.7

​​​​​​​3. Lutte de classe contre bloc national-racial

La classe dominante s’efforce toujours, en s’appuyant sur des structures sociales ayant produit et reproduisant le racisme (impérialisme engendré par le capitalisme, par l’Etat capitaliste, formes idéologiques qui y sont liées), de constituer un bloc politique intégrant des fractions du prolétariat sur une base nationaliste et raciste.

Pire : ce bloc existe toujours plus ou moins, car c’est la situation « normale » qui permet à la bourgeoisie de dominer. C’est une composante fondamentale de l’idéologie dominante. La conscience de classe est un objectif qui reste à construire, et cela nécessite précisément de s’attaquer à ce bloc, désunir ceux qui doivent être divisés, réunir celles et ceux qui doivent lutter ensemble.

Dans le mouvement ouvrier et en particulier dans le mouvement révolutionnaire, on entend souvent l’idée que ce sont avant tout les grandes luttes de classe qui feront reculer le racisme (en lien avec l’idée que celui-ci se réduit à un discours de la classe dominante). Cela n’a pourtant rien d’automatique.

Pour briser le bloc national-racial, la lutte des « races » opprimées est fondamentale. Marx livrait le témoignage suivant sur sa propre évolution sur la question des rapports entre classe ouvrière majoritairement anglaise et minorité irlandaise :

« Pendant longtemps, j’ai cru qu’il était possible de renverser le régime irlandais par le gain d’influence de la classe ouvrière anglaise. J’ai toujours défendu ce point de vue dans le New York Tribune. Des investigations plus approfondies m’ont maintenant convaincus de l’inverse. La classe ouvrière anglaise ne va jamais rien accomplir avant qu’elle ne se soit débarrassée de l’Irlande. Le levier doit être actionné en Irlande. C’est pourquoi la question irlandaise est si importante pour le mouvement social en général » 8

Par ailleurs, la conscience de classe se diffuse dans les masses sous l’effet de leurs expériences de lutte mais aussi en fonction de diverses propagandes. Non seulement des formes de conscience de classe peuvent cohabiter avec le racisme, mais certaines formes peuvent même s’appuyer étroitement sur une interprétation raciste de la lutte des classes.

L’antisémitisme a souvent joué ce rôle de « socialisme des imbéciles », source de confusionnisme et passerelle vers des idées et actes réactionnaires. Bien sûr la majeure partie du mouvement socialiste l’a combattu, et ce sont majoritairement des forces conservatrices qui l’ont agité. Mais l’antisémitisme est présent à la fois chez certains théoriciens socialistes (Fourier, Saint-Simon, Proudhon…) et parmi les masses formant la base du mouvement. De façon plus contemporaine, certains courants (Soral, Dieudonné…) donnent une grille de lecture antisémite à leur pseudo posture « antisystème ».

La révolution et l’auto-activité des masses libèrent à la fois l’énergie de la lutte de classe, et à la fois des possibilités d’expression violente du racisme. La révolution russe de 1917 est souvent présentée comme un moment qui mécaniquement aurait fait reculer l’antisémitisme hérité du tsarisme, suivie d’une régression sous Staline. Un schéma censé prouver qu’il suffit de se recentrer sur la lutte de classe. Un schéma qui pourtant invisibilise à la fois l’antisémitisme présent dans les masses, et l’auto-organisation de groupes juifs pro-bolchéviks qui ont réagi bien avant la direction du parti.

En effet, des bataillons de l’Armée rouge ont commis des pogroms, et leur antisémitisme n’était pas qu’un résidu, mais aussi une forme dévoyée de radicalisation « socialisante ».9

On doit aussi souligner que le mouvement ouvrier des métropoles impérialistes a une difficulté récurrente à apporter un soutien aux luttes décoloniales.

C’est en partie dû à l’héritage de la sociale démocratie et du stalinisme qui ont contribué à modeler son manque de prise en compte du phénomène racial, mais c’est aussi le fruit d’un racisme intégré par tous les éléments de la société, y compris par le mouvement ouvrier.

Des révolutionnaires comme Lénine ont analysé10 et combattu cette tendance11, et les débuts de l’Internationale communiste ont sans doute été les moments les plus prometteurs du marxisme. Mais même à cette époque, par exemple dans le PCF, les relents coloniaux pouvaient demeurer12 et l’activité anti-coloniale reposait surtout sur des spécialistes et sur l’auto-organisation des premier·ères concerné·es (comme la rédaction du Paria13). Aux Etats-Unis, lors de la signature du New Deal en 1930, si la législation protectrice des travaillleur·ses fût une avancée majeure, cela bénéficia majoritairement au prolétariat blanc. Les ouvriers agricoles ou les emplois de domestiques, ou étaient sur-représentés les Noir·es, n’étaient pas concernés par cette législation. Pour ne pas risquer de perdre les concessions offertes par le New Deal, le Parti Communiste états-unien n’a par exemple pas souligné le caractère racial et discriminatoire de la réforme, rompant avec ses prises de positions antérieures en faveur d’un combat antiraciste. En France, ce conflit est aussi perceptible. A partir de l’après-guerre, la CGT à longtemps promu un protectionnisme ouvrier. Elle s’est opposée à l’introduction de travailleur·ses étranger·e·s dans la force de travail jusqu’en 1974 et à même été à l’initiative de la création de l’Office national de l’immigration. Quand la CGT a abandonné cette politique étroitement nationaliste, elle a converti ses positions sur l’immigration en une défense pour un retour au pays pour les travailleurs immigrés.

Les luttes antiracistes ne sont pas un supplément d’âme mais sont une condition nécessaire pour permettre le renversement du système, qui est tout autant capitaliste que raciste, l’unification de la classe révolutionnaire, la classe travailleuse dans toute sa diversité. Tant que notre classe reste divisée racialement comme aujourd’hui, sous-estimer la question raciale au nom d’une lutte de classe tronquée revient à l’impuissance. Ces constats doivent nous amener à prendre à bras le corps la question raciale et à l’intégrer dans notre stratégie révolutionnaire.

​​​​​​​4. Conséquences politiques

Nous, militant·es révolutionnaires avons un rôle à jouer, un travail d’écoute, d’échange et de formation à l’intérieur de nos organisations. Mais nous considérons que l’auto-organisation des personnes non blanches doit être assez forte pour peser sur l’ensemble de la société, y compris sur le mouvement ouvrier.

Cela peut passer par des organisations spécifiques larges ou par des commissions à l’intérieur des organisations du mouvement ouvrier. Il ne s’agit pas de fétichiser des formes précises d’organisations, car celles-ci doivent découler des besoins (et ni de structures artificielles, ni d’injonction faites aux opprimé·es à multiplier les réunions). Mais nous devons considérer ces formes d’auto-organisation comme normales et nécessaires, tout comme les cadres féministes, que les femmes ont dû imposer.

Les réunions en non-mixité pour les personnes subissant le racisme sont un outil utile pour libérer la parole et susciter des volontés de lutte. En France particulièrement, les réactionnaires mais aussi l’État lui-même s’en prennent durement à celles et ceux qui osent utiliser cet outil, que ce soit le Camp d’été décolonial ou un stage syndical14. Notre soutien doit être clair. Le mouvement ouvrier organisé doit cesser de rejeter ou de regarder avec suspicion la non-mixité. Au lieu de lancer des injonctions à « ne pas diviser la classe ouvrière », qui est, de fait, déjà largement divisée et traversée de contradictions, il faut favoriser les luttes qui aident les plus opprimé·es à relever la tête.

A l’heure actuelle, il existe de fait un antiracisme politique extérieur au mouvement ouvrier, tout comme il existe un mouvement féministe extérieur au mouvement ouvrier. Souhaitable ou non en fonction des positions, quoi qu’il en soit, il existe et nous ne pouvons pas faire comme si ce n’était pas le cas. Nous devons donc œuvrer à l’unification de ces différents mouvements (ce qui ne veut pas dire leur dissolution), car nous savons que ce n’est que collectivement que nous pourrons renverser le système raciste et capitaliste. C’est pourquoi nous intervenons dans le mouvement antiraciste pour y développer une ligne lutte de classe. Inversement, nous intervenons dans le mouvement ouvrier pour y développer une ligne antiraciste. Nous défendons dans les deux cadres la convergence des luttes. La convergence des luttes, ce n’est pas converger derrière le mouvement ouvrier : c’est converger ensemble vers un même point.

Nous nous inscrivons donc dans le champ de l’antiracisme politique par opposition à l’antiracisme moral. Cela ne signifie absolument pas que nous partageons les mêmes idées que tou·te·s celles et ceux qui se revendiquent de l’antiracisme politique. En particulier, nous nous efforçons de prendre en compte le croisement avec la lutte des classes et les autres oppressions spécifiques, et nous ne voulons pas sacrifier l’une à l’autre. Lorsque que nous faisons des fronts uniques avec d’autres forces, nous restons toujours libres de nos critiques, et notre question à chaque instant doit être : cela permet-il de faire avancer la lutte globale pour l’émancipation ?


  1. Saïd Bouamama, L’Islam comme nouvel ennemi, 2015 [return]
  2. L’affaire Dreyfus et l’antisémitisme en France à la fin du 19e siècle, Socialisme International n° 13, été 2005 [return]
  3. http://www.baliautrement.com/chinoisindonesie.htm [return]
  4. https://www.contretemps.eu/bonnes-feuilles-race-et-capitalisme-coordonne-par-felix-boggio-ewanje-epee-et-stella-magliani-belkacem/ [return]
  5. http://www.liberation.fr/france/2017/01/03/l-usine-psa-d-aulnay-sous-influence-islamiste-un-argument-qui-remonte-a-1983_1519221 [return]
  6. Karl Marx, « Circulaire confidentielle » de l’AIT, 1er janvier 1870 [return]
  7. Pour une approche matérialiste de la question raciale, Revue Vacarme, juin 2015 [return]
  8. Lettre de Marx à Engels du 10 décembre 1869 (MECW 43 : 398), citée dans cet article de Contretemps [return]
  9. Auto-organisation des juifs et bolchévisme : l’antisémitisme dans la révolution russe, Revue Période, 2016 [return]
  10. Notamment en lien avec la notion d’aristocratie ouvrière. [return]
  11. Par exemple avec la tactique du Front unique anti-impérialiste. [return]
  12. http://www.contretemps.eu/anticolonialisme-pcf/ [return]
  13. http://www.contretemps.eu/le-paria-le-parti-communiste-francais-les-travailleurs-immigres-et-lanti-imperialisme-1920-24/ [return]
  14. http://mobile.lemonde.fr/education/article/2017/11/21/des-formations-du-syndicat-sud-education-93-en-non-mixite-raciale-creent-la-polemique_5217834_1473685.html?xtref= [return]

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