Jérôme Fourquet : « Le stade ultime de la sécession, c’est l’exil fiscal »

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SOURCE : L'Humanité

Le quartier du Roucas-Blanc, à Marseille, un exemple de communauté fermée pour super-riches. Bernard Langlois/AFP

Dans son livre-enquête l’Archipel français, le politologue Jérôme Fourquet décrit un phénomène séparatiste : celui d’une partie des élites. Entretien.

Directeur du pôle opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop

Dans votre livre, vous décrivez un processus de « sécession des élites ». Quels en sont les ressorts ?

Jérôme Fourquet Une partie des élites est entrée dans une logique d’autonomisation vis-à-vis du reste de la société. L’évolution des modes de vie sous l’effet du marché a segmenté les modes de vie. Cela s’est accéléré du début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui. Il y a dans les grandes villes un ensemble de processus qui participent à cette non-mixité : la courbe des prix de l’immobilier, les choix de certains élus de tout faire pour ne pas construire de logement social, les contournements de la carte scolaire, les choix des langues à l’école, l’introduction des années de césure dans les cursus sélectifs… L’univers de référence des élites est devenu post-national, avec une appétence forte pour l’international, les déplacements à l’étranger dans les études, la vie professionnelle, le tourisme. C’est ce qu’on appelle les « people from anywhere »,des gens qui viennent de nulle part et de partout, au point de devenir touristes dans leur propre pays. Cette partie de la population a plus d’affinités et de connexions avec leurs homologues d’autres pays que leurs compatriotes d’une autre classe sociale. Le stade ultime de la sécession, c’est l’exil fiscal, c’est-à-dire la sortie de la communauté nationale, au sens physique du terme, en vertu de la maximisation du profit.

Quel regard portent ces élites sur le reste de la société ?

Jérôme Fourquet Il y a chez elles une perte d’adhérence vis-à-vis du fonctionnement du reste de la société, comme si leurs habitudes de vie, leurs goûts, leurs façons de réagir étaient aussi ceux de l’ensemble du corps social. D’où parfois le grand étonnement, voire l’inquiétude, de ces groupes sociaux à l’occasion d’événements politiques comme le non au référendum de 2005 ou le mouvement des gilets jaunes. Quand les gilets jaunes ont investi les beaux quartiers de l’Ouest parisien ou le centre-ville de Bordeaux, on a pu voir la bourgeoisie qui vivait dans l’entre-soi se confronter au réel de la société française et un retour de l’imaginaire de lutte des classes des deux côtés.

Les fractures socio-économiques que vous décrivez nourrissent-elles le « séparatisme islamiste » ?

Jérôme Fourquet Les enclaves islamistes sont la plupart du temps dans des quartiers populaires ou des banlieues où s’est concentrée l’immigration, mais on les trouve aussi dans des villes moyennes qui n’ont pas toutes les caractéristiques de villes paupérisées. Ce qu’il faut bien mettre en évidence, c’est qu’il y a eu dans ces espaces-là, de la part de groupes minoritaires, un travail politique et militant qui a contribué puissamment à imposer les ferments de ce séparatisme et à établir un ordre parallèle qui ne serait plus celui de la République mais celui de l’islamisme, en matière de pratiques alimentaires, vestimentaires, de rapport hommes-femmes. C’est en effet une forme de séparatisme, une contre-société avec ses propres règles. La question n’est d’ailleurs pas d’opposer les séparatismes, mais de bien voir que ces phénomènes coexistent au sein de la société. S’ils n’ont pas les mêmes ressorts, ils aboutissent tous deux au fait que le corps social est plus morcelé qu’avant. Et ces phénomènes ont pour point commun la volonté de se mettre à part, la fin du sentiment d’appartenance à la communauté nationale.


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