Quelques mots sur le coronavirus

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Arguments pour la lutte sociale

Dans un article de fin novembre dernier, nous tentions de dessiner la situation mondiale actuelle. Très sommairement, trois points ressortaient.

Une série de crise révolutionnaires, d’insurrections populaires souvent de longue durée, embrayant sur les révolutions arabes ouvertes en 2011 avec les relais algérien et soudanais, touchant massivement le Proche-Orient, et des insurrections en Amérique du Sud, Amérique centrale et aux Antilles, plus Hong-Kong et la Guinée, le tout formant un tableau d’ensemble auxquels se surajoutent encore les mouvements féministes et la lutte climatique globale. Ces crises font date : la fin d’année 2019 est une inflexion importante dans la crise globale du capitalisme après la crise financière de 2008, l’ouverture des révolutions arabes en 2011, le Maïdan ukrainien en 2014 …

Une crise au sommet dans plusieurs vieilles puissances non directement menacées de crises révolutionnaires comme dans la grosse vingtaine de pays de taille moyenne concernés par le point précédent, avec notamment par Trump, le Brexit et Johnson, et aussi les éléments d’incapacité de Bolsonaro au Brésil.

Le rôle croissant de plusieurs autocrates en concurrence impérialiste avec les précédents, du point de vue de la préservation de l’ordre mondial : Vladimir Poutine, Xi Jinping, Narendra Modi. Ce transfert a commencé mais s’effectue de manière ultra-conflictuelle, comme le montre le cas de l’Iran, à la fois ennemi officiel des États-Unis (c’est réciproque) et premier gardien de l’ordre, via ses relais en Irak, en Syrie et au Liban, dans la région.

Depuis que nous avions brossé à grands traits ce tableau, plusieurs plaques tectoniques ont bougé, mais dans le cadre ainsi dessiné.

Trump a dessiné, comme en un simulacre, la guerre avec l’Iran en début d’année. Puis, il a évité son impeachment qui effrayait autant l’establishment démocrate que républicain. La question de l’alternative à Trump a, dans ces conditions, propulsé Sanders aux premiers rangs.

Johnson a largement gagné les législatives britanniques contre le Labour party. Le Brexit a enfin joué le rôle qui lui était ici dévolu : c’est une défaite pour le prolétariat. Depuis le 31 janvier, il est entré en vigueur : rien n’a changé pour l’heure, mais le premier écho, puissant, en a été la percée historique du Sinn Fein aux élections irlandaises.

Globalement, les directions impérialistes états-unienne et britannique pourraient donc sembler mieux se porter qu’il y a quelques mois, mais c’est illusoire : toutes les contradictions sont là et vont revenir en pire.

La série des crises révolutionnaires ou prérévolutionnaires a gagné – c’était prévu car « la base » le voulait – la France le 5 décembre et avec les répliques du 5 décembre. Macron n’a pas été renversé -seule issue possible du développement de cette crise à un niveau plus avancé. Mais la crise de la V° République française est massivement de retour en Europe.

L’épisode de menace de guerre directe avec l’Iran de la part des États-Unis début janvier avait de facto pour fonction d’écraser dans l’œuf les mouvements indépendants des peuples et des prolétariats iranien, irakien, et libanais. L’union sacrée en Iran a paru tenir quelques jours, saluée par les « anti-impérialistes » alliés de la bourgeoisie à l’échelle mondiale. Elle a pourtant craqué suite à un « accident » -la destruction d’un avion ukrainien par la défense anti-aérienne iranienne totalement sous pression – suivi d’une reprise des manifestations réclamant la libération des milliers de prisonniers lors de la répression fin 2019, et le châtiment du régime pour les meurtres, par son renversement.

Le verrou iranien n’est donc pas renforcé. De plus, un ébranlement global monte en Inde, Modi ayant directement touché au caractère jusque là non ethno-religieux de la nationalité indienne. Manifestations massives de la jeunesse urbaine surmontant les clivages religieux, grève générale syndicale se combinant à ce mouvement, et lourd échec municipal du parti de Modi à Delhi.

Ce tableau est bien entendu incomplet, il faudrait y intégrer le petit coup d’État constitutionnel de Poutine en Russie, les annonces catastrophiques de Trump et Netanyahou contre les Palestiniens, etc. Signalons encore un élément : la décomposition des États de la bande sahélienne entre tutelle française directe et agression « djihadiste », réplique directe à la volonté démocratique des peuples, notamment au Mali et au Burkina Faso.

Bon, à ce stade, cher lecteur, tu te dis : « Tout cela est bel et bon, mais le titre de cet article comportait le mot coronavirus ». On y arrive !

Toute épidémie est un phénomène social global qui manifeste les tendances profondes du moment. Ni la peste, ni la grippe, ni la lèpre médiévale, ni le choléra, ni tous ces autres fléaux ne sont fortuits par rapport aux conditions sociales et économiques globales de leurs époques. Ceci vaut aussi pour l’apparition de nouveaux microbes et agents pathogènes à l’époque du capitalisme global, Sida, Ebola, et grippes ou maladies apparentées générées en Asie dans le cadre d’une forte population, d’élevages industriels, de marchés de masse, et de croisements viraux nombreux. Sans qu’il ne soit besoin de céder à quelque complotisme que ce soit, il est intéressant de constater qu’une pandémie virale, grippale et pulmonaire est apparue, comme déjà auparavant avec le SRAS en 2003, dans un foyer de production intense de plus-value, la Chine intérieure.

Intéressant aussi de constater que la forme prise par la propagation du coronavirus, à partir d’un foyer qui reste très majoritairement la province chinoise du Hubei (capitale Wuhan), ne procède pas par plaques épidémiques, mais par flux de grande amplitude, calqués en fait sur les liaisons aériennes … voire sur les « nouvelles routes de la soie » chères à Xi Jinping. Des pôles épidémiques apparaissent donc de manière ponctuelle, distants les uns des autres : l’irruption du virus en Lombardie et en Vénétie reproduit ce schéma. L’épidémie, même fort limitée comme elle l’est en fait à ce stade, est d’emblée « mondialisée ».

En tant que maladie, il s’agit d’une affection pulmonaire mortelle dans environ 3% des cas, souvent bénigne, parfois asymptomatique, dont l’incubation pourrait prendre deux semaines, fortement contagieuse par contact de gouttelettes salivaires, et que l’on ne sait pas traiter ou prévenir. Il est donc justifié de s’inquiéter, surtout pour les populations à systèmes sanitaires absents ou délabrés. Les camps de réfugiés syriens, les mégapoles africaines, comme l’intérieur des États-Unis, sont donc menacés. L’irruption lombarde suggère bien entendu que la France est concernée aussi. On approche des 80.000 cas – ce qui est très peu à l’échelle mondiale – mais ceci est sans doute sous-évalué, dès le départ en Chine, ainsi que dans d’autres pays asiatiques.

Mais cette épidémie diffuse, fonctionnant (pour l’heure) par flux ponctuels dont la forme est analogue à celle des flux de capitaux, suspend la cohésion des chaînes de production industrielles internationalisées en Chine, Corée, Japon, fait chuter les bourses et plombent les loisirs industriels de masse. Dans une situation où tous les commentateurs capitalistes s’attendent à un rebond global de la crise financière, le coronavirus apparaît comme le facteur contingent qui pourrait s’avérer, surtout par prophéties auto-réalisatrices, le mode de réalisation de cette nécessité.

De même qu’un « phénomène neigeux », devenu hélas rare avec le réchauffement, est pour la circulation du capital une catastrophe qui renverse tout, et fait de nombreuses victimes car il est interdit de rester au chaud – le « confinement » est pourtant dans ce cas là une excellente pratique s’il est libre !- et que les services publics d’entretien de la voirie ne sont « pas rentables » et sont donc sacrifiés, de même un virus grippal-pulmonaire sans doute bénin devient un danger mondial et un facteur de panique irrationnelle non moins dangereuse.

La remarquable connexion entre forme de la propagation du virus et forme digitale de la circulation du capital, contribue fortement à alimenter une peur irrationnelle. Dans le cas du foyer chinois, cet aspect « capitaliste » se combine, comme toujours, à l’aspect despotique. Le médecin Lin Wenliang, réprimé par le pouvoir chinois fin décembre parce qu’il donnait l’alerte, est mort du coronavirus, début février. Il s’est trouvé dans le monde entier des hommes politiques pour dire que le totalitarisme, tout de même, c’est efficace en cas d’épidémies (ce qui est faux). En même temps que s’étalait cette sotte admiration des mesures autoritaires du régime chinois, qui confine des dizaines de millions de personnes, le racisme anti-jaunes réapparaît, sur la base de la peur (des asiatiques mettent un masque dans un transport en commun européen ou américain, les autres passagers se regroupent loin d’eux …).

D’ores et déjà, il est possible de constater que, s’ajoutant à la guerre commerciale avec les États-Unis, au mouvement social de Hong-Kong (qui met en question l’identité nationale chinoise, comme le confirme la victoire des indépendantistes, contre le Guomindang, à Taïwan), cette épidémie a déclenché un processus majeur de crise industrielle et de crise de la circulation du capital en Chine. La fuite en avant dans l’autoritarisme sans borne de XI Jinping (répression totalitaire au Sinkiang, domestication des religions et réécriture des livres sacrés …) n’apporte aucune solution à cet affaiblissement structurel du capitalisme chinois.

En France, on ne sait pas si le coronavirus va apparaître subitement à la bourse, ou dans une vallée alpine, mais il va arriver, c’est une évidence, sans que cela n’ait rien à voir avec la peste. Mais la promptitude à porter atteinte, sans plus de discussion, à la liberté de circulation des habitants dans plusieurs villes d’Italie, est inquiétante. Il n’est pas sûr qu’une contagion par gouttelettes salivaires puisse être évitée par les mesures policières massives envisagées par tous les gouvernements. Ce sont des budgets sérieux pour la santé publique et la recherche médicale qui s’imposent tout de suite, et de cela ils ne veulent pas.

Agnès Buzyn, qui remplace sur ordre de Macron son candidat à Paris B. Griveau abattu en plein vol, était ministre de la Santé. Elle vient, cyniquement autant qu’imprudemment, d’accuser la maire sortante de Paris de « ne pas avoir préparé Paris au coronavirus ». C’était théoriquement son rôle comme ministre de la Santé : elle a donc fait savoir à tout le monde que le ministère de la Santé en France ne sait pas quoi faire si l’épidémie atteint Paris.

VP, 23-02-2020.


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