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SOURCE : Blog de Martin Anota
« Au début de l’année, le moral économique tendait vers l’optimisme. Certes, la croissance économique avait un peu ralenti en 2019. Le PIB des Etats-Unis avait augmenté de 2,3 % en 2019, contre 2,9 % en 2018. La croissance mondiale était également faible en 2019 : 2,9 % selon les estimations du FMI, contre 3,6 % l’année précédente. Pourtant, il n’y avait toujours pas de récession. Et les prévisions de janvier suggéraient un rebond de la croissance mondiale en 2020.
Une récession mondiale ?
Depuis janvier, de nouveaux événements viennent raviver le pessimisme. Les récessions sont extrêmement difficiles à prévoir et tout économiste un tant soit peu prudent évite de chercher à les prévoir. Mais les probabilités d’une récession mondiale ont fortement augmenté. La raison est la propagation du coronavirus qui est apparu à Wuhan, connu sous le terme plus technique COVID-19.
Les premières évaluations de l’impact économique du virus étaient rassurantes. Les comptes-rendus historiques des autres épidémies similaires, telles que celle du virus SRAS de 2003, sont relativement bénignes : un pays peut subir une contraction de son PIB au cours d’un trimestre (le PIB chinois avait chuté de 2 % au cours du deuxième trimestre de 2003), mais l’impact macroéconomique est limité dans le temps et l’espace. Typiquement, l’économie du pays rebondit rapidement au cours des trimestres suivants, comme les consommateurs rattrapent leurs dépenses et les entreprises s’empressent pour répondre aux commandes en retard et reconstituer leurs stocks. En conséquence, il peut être très difficile de voir un impact sur le PIB d’un pays pour l’année dans son ensemble. Le même schéma s’observe habituellement pour les effets d’une classe plus large de désastres naturels comme les cyclones.
Ce coronavirus apparaît maintenant bien plus problématique que le SRAS de 2003 ou d’autres épidémies passées. Il peut très bien faire basculer le monde en récession. Un critère qu’utilise parfois le FMI pour parler de récession mondiale est une croissance mondiale inférieure à 2,5 %. (A la différence de la croissance dans les pays développés, la croissance mondiale chute très rarement en-deçà de zéro, sauf lors de la Grande Récession de 2008-2009, parce que les pays en développement connaissent une plus forte croissance tendancielle.) Un autre critère est celui de la croissance négative du PIB par tête.
Les choses pourraient être pires cette fois-ci
Ce n’est pas simplement parce que le nombre de morts officiel excède de loin le nombre correspondant de morts pour le SRAS. L’effet économique est susceptible d’être bien plus ample pour plusieurs raisons.
Pour commencer, l’économie chinoise est aujourd’hui bien plus vulnérable. Sa croissance a été significativement plus faible au cours de la dernière décennie qu’au cours des années deux mille. Le passage d’un taux de croissance de deux chiffres à un seul est naturel et s’est jusqu’à présent opéré sans qu’il y ait d’atterrissage brutal de l’économie. Mais des niveaux élevés de mauvais prêts laissent l’économie vulnérable à un choc comme celui actuel. Certains signes suggèrent déjà qu’il y aura un ralentissement brutal de l’activité économique, laissant présager que la croissance chinoise sera bien plus faible que les 6,1 % officiellement annoncés pour l’année dernière.
Ensuite, le virus peut se propager plus amplement à d’autres pays. La Corée du Sud et d’autres pays de la région en ont déjà subi le contrecoup et y ont répondu avec certaines mesures d’urgence. Il n’est pas nécessaire qu’une proportion élevée de la population soit affectée pour qu’une proportion importante d’une économie en soit affectée. L’effet de la contagion tend à être disproportionné (même s’il est compréhensible), dans le sens où les gens qui ne sont pas tombés malades se restreignent de voyager, de dépenser et de travailler, même quand de telles décisions individuelles sont volontaires.
De plus, l’économie mondiale est plus dépendante de la Chine aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2003. A cette époque, la Chine représentait seulement 4 % du PIB mondial. En 2020, elle y contribue à 17 % (aux taux de change courants). Avec le développement des chaînes de valeur internationales, la production dans les autres pays peut être affectée par les perturbations des étapes de la production qui sont réalisées en Chine.
Quelles économies sont vulnérables ?
Plusieurs régions du monde sont vulnérables. Les exportateurs de matières premières sont en haut de la liste, dans la mesure où la Chine est leur plus grand client. Il s’agit de l’Australie et d’une grande partie de l’Amérique latine, de l’Afrique et du Moyen-Orient. Les booms chinois en 2003-2008 et 2010 stimulèrent les prix mondiaux des matières premières et le ralentissement subséquent de la croissance chinoise a déjà pesé sur les marchés des matières premières depuis 2015. Même les pays en développement qui n’exportent pas de matières premières sont susceptibles d’être affectés via les canaux financiers, dans la mesure où les investisseurs financiers font soudainement preuve d’une plus forte aversion au risque.
Le Japon a déjà souffert d’une chute de son PIB au cours du dernier trimestre (une chute de 6,3 % en rythme annualisé). Cette contraction résulte de la hausse de la taxe sur la consommation en octobre. Cet effet négatif était aussi prévisible que les effets récessifs des précédentes hausses de la taxe sur la consommation opérées en avril 1997 et en avril 2014. Si en plus les échanges entre la Chine et le Japon s’écroulent, il devient bien probable que ce dernier connaisse une récession, c’est-à-dire au moins deux trimestres consécutifs de contraction du PIB.
L’industrie européenne est vulnérable. L’Europe est bien plus dépendante du commerce (et celui-ci est même plus étroitement lié à la Chine en raison du tissu de chaînes de valeur internationales) que les Etats-Unis. L’Italie a directement été frappée par la contagion virale. L’Allemagne a échappé de peu à la récession l’année dernière, mais elle peut ne pas être aussi chanceuse cette année en l’absence d’une forme ou d’une autre de relance budgétaire. La concrétisation du Brexit pourrait avoir un impact économique négatif sur le Royaume-Uni. (…)
Le marché boursier ne semblait pas trop s’émouvoir des risques associés à la politique commerciale américaine, au coronavirus et ou autre chose, en continuant de grimper au cours des huit premières semaines de cette année. Finalement, le 24 février, il a commencé à chuter, en prenant conscience que le virus s’avère en fait sérieux.
Selon des indicateurs comme les price-earnings ratios, le marché boursier est toujours élevé. Peut-être que les investisseurs financiers se sont trompés. Ils ont correctement souligné qu’une comparaison des rendements boursiers avec les taux d’intérêt indique que le marché boursier n’est pas trop élevé. Mais cela signifie juste que le marché obligataire est encore plus haut que le marché boursier. Les investisseurs financiers peuvent avoir fait preuve d’une confiance excessive après les trois baisses de taux directeur de la Réserve fédérale l’année dernière. Il est évident qu’il n’y aurait pas de marge pour que la Fed baisse de 500 points de base ses taux si l’économie américaine tombait en récession comme elle le faisait au cours des précédentes récessions. Elle ne serait pas capable de nous sauver.
Même si une récession ne se déclarait pas à moyen terme, la politique commerciale de Trump pourrait signaler une rupture de long terme dans l’histoire d’après-guerre, un arrêt définitif d’une ère de six décennies au cours de laquelle le commerce international avait augmenté plus vite que la production mondiale, accompagnant une période historique de prospérité et de paix. Nous pourrions rechercher une nouvelle tendance de découplage vis-à-vis de la Chine en particulier et une démondialisation en général, deux choses presque impensables jusqu’à récemment. Dans ce cadre, le coronavirus ne fait que rajouter de l’huile sur le feu. »
Jeffrey Frankel, « Will the coronavirus lead to global recession? », in Econbrowser(blog), 27 février 2020. Traduit par Martin Anota