Macron s’attaque au code du travail en pleine épidémie

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : L'Humanité

AFP

Sous couvert de lutte contre le coronavirus, le gouvernement est en passe de faire voter des ordonnances qui permettront à certaines entreprises de revenir sur la durée légale du travail, sur l’acquisition et les prises de congés payés, et sur les réunions des instances représentatives du personnel.

L’épidémie de coronavirus bouleverse notre fonctionnement économique, social et démocratique. Elle offre à terme l’occasion de repenser globalement nos modèles. Sauf qu’il y a plusieurs façons de vouloir changer le monde… Le gouvernement, dans son projet de « loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 », compte s’en prendre aux 35 heures, à la durée légale du travail, à la liberté de prendre ses congés payés et aux instances représentatives du personnel (IRP).

Il dit vouloir le faire uniquement dans des entreprises et des secteurs « nécessaires à la sécurité de nation ou à la continuité de la vie économique et sociale ». Mais il ne précise pas lesquels seront autorisés à « déroger de droit » aux règles « relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ». Il ne dit pas non plus quels employeurs pourront « modifier les conditions d’acquisition de congés payés », en plus « d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d’une partie des congés payés, des jours de réduction du temps de travail et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance » fixés dans le privé comme dans le public. Enfin, le texte prévoit de « modifier les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique (CSE) ».

« Dangereux et largement absurde »

Autant de mesures qui ont provoqué une levée de boucliers des groupes de gauche au Sénat, où le texte a été adopté en premier. « On ne sait même pas combien de temps vont durer ces ordonnances. Il faut les border dans le temps. Il ne faut pas que l’exception devienne la règle et que l’épidémie soit la porte ouverte à une remise en cause des droits des salariés », prévient le sénateur PCF Fabien Gay. « Il faut aussi que les instances représentatives du personnel puissent se réunir partout où elles le demandent. Si on peut faire bosser les gens, c’est le minimum que les CHSCT et les CSSCT puissent vérifier si les conditions sanitaires sont décentes et que personne n’est mis en danger au travail », pointe le parlementaire. « Si c’est pour permettre aux entreprises de remettre en cause toute procédure d’information et consultation des CSE, c’est dangereux et largement absurde, dans la mesure où il est au contraire indispensable dans la période de réunir les comités pour les associer à la recherche de solutions concertées, intelligentes, sur-mesure, au bénéfice des salariés comme des entreprises », développe la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, qui siège dans le groupe CRCE.

Afin de respecter les normes européennes, les salariés concernés ne pourraient pas travailler plus de 48 heures par semaine. « Ce n’est pas parce que le personnel médical répond présent et se donne sans compter dans une situation exceptionnelle qu’il faut ensuite lui demander de travailler toujours plus. Et même aujourd’hui, on ne peut pas faire n’importe quoi, il faut prendre soin d’eux et les protéger », insiste la sénatrice PCF Laurence Cohen, au sujet du temps de travail dans les hôpitaux. « Nous devons absolument faire entendre le message qu’il faut protéger ceux qui travaillent parce qu’on a jamais eu autant besoin d’eux. On ne peut pas demander aux quelques salariés qui doivent continuer à travailler, pour des raisons évidentes compte-tenu de leur activité, de se tuer à la tâche. Il faudrait au contraire les ménager pour qu’ils tiennent dans la durée, organiser les roulements, le repos », abonde Marie-Noëlle Lienemann.

« Les salariés n’auront plus de congés au moment de la reprise d’activité »

La sénatrice est très critique sur les dérogations aux congés payés et RTT qui pourraient être imposés aux travailleurs confinés, le texte étant très flou. « On veut permettre aux employeurs de contraindre les salariés à poser leurs jours et d’utiliser leur compte épargne temps dès maintenant. Des employeurs, qui font déjà pression sur les salariés en ce sens depuis plusieurs jours, vont avoir intérêt à privilégier cette solution, moins chère et contraignante que le recours à l’activité partielle. Et les salariés n’auront plus de congés au moment de la reprise de l’activité, notamment cet été, pour récupérer d’une période stressante physiquement et psychologiquement… », craint-elle. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a tenté de rassurer en expliquant qu’il ne « s’agit pas de supprimer les congés payés, mais d’utiliser une prérogative de l’employeur dans le code du travail en supprimant le délai de prévenance, normalement de quatre semaines, pour six jours ouvrés seulement ». Pourtant le texte prévoit de fait bien plus, sans le limiter à la durée de l’épidémie et du confinement.

« Il y a trop d’habilitations à légiférer par ordonnances, trop de remises en cause du droit du travail, trop d’imprécisions », s’alarme également Patrick Kanner, président du groupe PS au Sénat. A l’initiative d’Alain Milon, président LR de la commission des Affaires sociales, la majorité de droite a néanmoins voté un amendement pour « limiter à une semaine la durée des congés payés pouvant être imposés par l’employeur ». Mais elle a laissé la quasi intégralité du texte dans l’état souhaité par le gouvernement en ce qui concerne le code du travail. Avant de le transférer à l’Assemblée nationale, qui a repris la main dessus et commencé son examen vendredi matin, avec pour objectif de l’adopter dans la nuit.

Le débat se poursuit à l’Assemblée

« Ces mesures d’exception sont très inquiétantes, mesure gravement le député PCF Pierre Dharréville. Elles donnent les pleins pouvoirs aux décideurs économiques, alors qu’eux mêmes de le demandent pas. Il n’y a aucune raison de procéder de la sorte, de laisser le patronat décider à discrétion du temps de travail, du travail de nuit et le week-end, et des prises de congés payés ». Pour le communiste Stéphane Peu, ces mesures vont même « à l’encontre de l’adhésion de l’ensemble des salariés », et à l’encontre « de l’adhésion du peuple » à l’action du gouvernement dans une période pourtant critique.

« Nous sommes très inquiets de la possibilité laissée aux entreprises de compter le temps de confinement comme des RTT, de remettre en cause les vacances d’été ou encore d’en finir avec les 35 heures pour une durée potentiellement indéterminée », a souligne Clémentine Autain. La députée FI invite au passage à « contraindre les employeurs à veiller à ce que leurs salariés portent des matériels de protection adaptés » et défend la tenue des IRP. « Je suis ravie qu’un certain nombre d’entre vous se rappelle au bon souvenir des CHSCT après les avoir laminés ! Voilà qu’en pleine crise sanitaire on se rend compte qu’ils peuvent être d’une grande utilité », a-t-elle également jeté à la figure de la majorité. « Il faut rappeler que le chef d’entreprise a une responsabilité pénale s’il ne protège pas ses salariés. Je ne pense pas que ça soit du domaine de la loi, je pense que ça relève plutôt des CHSCT », a enfin mesuré le député LT Charles de Courson, plaidant de fait pour que les salariés aient leur mot à dire.

 


Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut