Le gouvernement suisse refuse le confinement et s’en remet à “la responsabilité individuelle”

Article publié sur le site internet du NPA

Avec 11 888 cas positifs et 193 morts à ce jour pour 8 millions d’habitantEs, la Suisse est le pays où l’on trouve le plus de cas par habitant au monde. 13,74 cas pour 10 000 habitants en moyenne dans le pays, 39,65 au Tessin, 35,19 à Genève et 29,49 dans le canton de Vaud1.

Depuis le 16 mars, la Suisse a décrété l’état de situation extraordinaire, octroyant les pleins pouvoirs au Conseil fédéral qui gouverne désormais par ordonnance. Si les mesures sont historiques – l’armée n’avait pas connu un tel déploiement depuis 1939 – il s’agit plutôt de mesurettes. On se refuse de parler de confinement, le mot d’ordre étant “la responsabilité individuelle”.

Il s’agit même d’un recul dans certains cantons car les lois fédérales priment maintenant sur les pratiques cantonales. C’est le cas au Tessin et à Genève par exemple où le canton avait exigé la fermeture de tous les chantiers2. Les ordonnances du Conseil fédéral 3autorisent la poursuite des activités si les consignes de sécurités sont respectées. Le dépistage systématique du virus n’est pas à l’ordre du jour suite aux pressions des caisses maladies privées et faute de moyens techniques de les effectuer. 

Malgré les appels du milieu médical et syndical à des mesures plus fortes, le Conseil fédéral place la priorité sur la préservation de la production et déclare « tout faire pour maintenir autant que possible un niveau d’activité suffisant ». Mais les contrôles manquent quant à l’application des mesures de prévention dans les entreprises et une grande partie de la population continue à être exposée au virus pour poursuivre des activités pourtant non-essentielles. Une population qui, contrainte de travailler, ne peut pas s’occuper de ses enfants. Si des demandes de réduction des heures de travail sont possibles pour pouvoir s’occuper d’un enfant de moins de 12 ans, les salariéEs subissent des pressions.

Les plus précaires oubliéEs

Les mesures les plus fortes sont donc au secours de l’économie. Le Conseil fédéral annonce injecter 42 milliards de francs suisses, soit l’équivalent de 39 milliards d’euros, ainsi que des crédits pour les entreprises avec des prêts sans intérêts allant jusqu’à 500 000 francs cautionnés par la Confédération. Si ces mesures couvrent également les travailleuses et des travailleurs indépendantEs, les plus précaires, les SDF et les sans-papiers sont ignoréEs par les autorités.

Les travailleuses et travailleurs du sexe déclaréEs ont le statut d’indépendantEs, mais la grande majorité sont des travailleuses étrangères avec des permis de 90 jours. Sans logement, elles vivaient dans les salons mais ils sont désormais fermés. Ces femmes se retrouvent sans revenu, sans toit, sans aide sociale et sans même la possibilité de rentrer chez elles car les frontières sont fermées4.

Les personnes réfugiées sont également mises en danger. Les consignes sanitaires dans les centres d’accueil sont impossibles à respecter. À l’heure actuelle, une dizaine de requérantEs d’asile ont été testéEs positivement au covid-19. Alors que l’administration tourne au ralenti, une exception est faite pour le domaine de l’asile. Les auditions ont été suspendues depuis une semaine mais risquent de reprendre prochainement. Par ailleurs, les procédures se poursuivent et donc aussi les décisions négatives. Les requérantsEs ont alors des délais de recours très minces et au vu du contexte actuel, le droit effectif à un recours n’est plus garanti. Les délais ont été gelés par le Conseil fédéral dans les domaines civils et administratifs à l’exception du droit d’asile5.

Les autorités ne sont pas non plus à la hauteur sur le plan médical. Un rapport de l’EPFZ révèle l’état de saturation des hôpitaux. Le pays aurait besoin de 1000 lits de réanimation supplémentaire6Plutôt que d’investir, le Conseil fédéral a décrété par ordonnance la suspension des lois sur le travail dans les hôpitaux faisant ainsi sauter les limitations du temps de travail alors que des semaines de 60 heures étaient déjà possible. Le Syndicat Suisse des services publics a mis en place une pétition pour contrer cette mesure7.

Trois mille militaires sont actuellement déployés sur l’ensemble du pays et ce nombre augmente chaque jour. Pour rappel, la Suisse possède une armée de milice. Il s’agit donc de « civils en uniforme » appuyés par des militaires professionnels. Formés en une demi-journée, pas systématiquement testés et mal protégés, les soldats sont exposés au virus de par leurs mauvaises conditions d’hébergement et d’actions. Résultat : on compte aujourd’hui 100 soldats positifs au COVID-198.

Les politiques ultralibérales de destruction des services de santé

Le Röstigraben (littéralement, le fossé de rösti, frontière culturelle fantasmée entre alémaniques et romands francophones) met une nouvelle fois à l’épreuve le fédéralisme suisse. Alors qu’en Suisse allemande, la majorité de la population est satisfaite par les mesures prises par le Conseil fédéral, en Suisse romande et italienne, la majorité des personnes sondées estiment que les mesures sont insuffisantes et trop tardives9Ces deux régions sont les plus avancées dans la propagation de l’épidémie avec une petite semaine d’avance.

La population suisse paye, comme ailleurs en Europe, les attaques austéritaires contre le service hospitalier et sanitaire. Malgré une richesse exceptionnelle tiré d’une économie impérialiste internationalisée, la Suisse sera durement frappée par l’épidémie malgré un sentiment de sécurité et de supériorité qui prime usuellement. L’industrie pharmaceutique et de technologie de la santé ne changeront pas la donne, faute de lits de soins intensifs, les plus fragiles mourront par milliers. Le déficit systémique d’inspection du travail, l’absence d’une véritable politique de santé publique et d’une coordination sanitaire nationale se fera sentir toujours plus lourdement dans les prochaines semaines.

Malgré plus de 1000 nouveaux cas chaque jour depuis une semaine et des hôpitaux au bord de la saturation, les autorités Suisses continuent de s’en remettre à la responsabilité individuelle des citoyennes et des citoyens en leur envoyant des lettre de remerciementpour leurs efforts individuels tout en leur demandant d’aller travailler.

Tristan Ihne

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