Une crise qui change tout en Afrique du Sud

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : NPA

AMANDLA

Revue de l’AIDC (Alternative information and development center), Afrique du Sud.

Pour beaucoup, le confinement de 21 jours sera un test sévère. Pour certains ce sera impossible. Imaginez être confiné pendant 21 jours dans une cabane d’une seule pièce avec six ou sept autres personnes. Les tensions et la violence seront inévitables, et les femmes seront en première ligne. Une grande colère monte, face à un gouvernement incapable d’assurer la survie de millions de personnes qui n’ont pas les moyens matériels d’être confinés. Mais les crises engendrées par le coronavirus au niveau mondial auront des conséquences à long terme. Son impact se fera sentir pendant au moins une décennie. Ce n’est pas un choc passager, surtout qu’il arrive dans le contexte d’autres crises (le climat, la crise économique et d’autres crises sociales) qui pèsent sur la civilisation. Ses conséquences vont fondamentalement changer nos vies politiques, sociales, économiques et écologiques. A quoi tout cela aboutira ? nous ne le savons pas encore.

La pandémie du Corona provoque une nouvelle crise systémique

Mais ce que nous savons, c’est que beaucoup de ce que nous vivons, et que nous vivrons dans les mois à venir, n’a pas commencé avec le virus. C’est la suite de la crise mondiale de 2007/2008, qui de par son caractère mondial, devint une crise systémique. Elle a mené à des mobilisations politiques comme le mouvement « Occupy », au printemps arabe et à notre propre moment Marikana, qui ont commencé à remettre en cause le capitalisme néolibéral.

De la même façon, le Covid-19 provoque des crises économiques, sociales et de santé publique dans le monde entier. Nous pouvons donc nous attendre à un nouvelle série de secousses politiques. Elles soulèveront une fois de plus une série de questions : est-ce que le capitalisme est un système valable ? Est-ce qu’il est durable ? Quelles sont les alternatives ?

Cela ne veut pas dire que nous allons voir la chute immédiate du capitalisme. Nous avons déjà connu le scénario. Comme en 2007:2008, le néolibéralisme est la forme dominante du capitalisme. Il a dû être abandonné temporairement pour laisser l’État venir au secours du marché. Cela ouvre la possibilité pratique d’une sortie du néolibéralisme. Le fonctionnement normal du capitalisme néolibéral est sa capacité à se mettre en attente pour gérer l’échelle de la crise sanitaire et atténuer les chocs économiques sévères que l’économie mondiale est en train de subir. Donc les possibilités d’une alternative au néolibéralisme, et même au capitalisme vont être beaucoup plus largement évoquées.

Le déclenchement d’une autre récession mondiale

Le confinement étant devenu la principale stratégie des gouvernements pour contenir l’extension du virus, la perspective d’une récession mondiale va s’accélérer. Quand les écoles, les transports, les magasins sont fermés, quand les transports internationaux et le tourisme s’arrêtent, la production, le commerce et les investissement s’arrêtent aussi. Au moment où nous écrivons, 2 milliards et demi de personnes, un tiers de la population mondiale, sont confinés. Certains analystes prévoient une contraction de l’économie mondiale de 5 %.

La pandémie, l’incertitude économique, a créé une panique au niveau des investisseurs. Les marchés ont perdu 30 % de leur valeur en quelques semaines. Les déclins massifs de la consommation mettent les économies à genoux. Le recours de certains pays les plus riches à d’énormes subventions va plonger le monde dans des niveaux de dette encore plus grands. Comme l’a fait remarquer le Financial Times « les marchés financiers mondiaux sont tout aussi contaminés par les “mauvaises dettes” qu’ils l’étaient il y a 12 ans. Si le Coronavirus continue à s’étendre, les fragilités du système ont le potentiel de déclencher une nouvelle crise de la dette. »

Cependant, la diffusion mondiale du coronavirus n’est pas la cause fondamentale de la crise économique. Il s’agit d’un déclencheur, extérieur au système économique, qui fait remonter à la surface toutes les faiblesses du système capitaliste et les aggrave. Quelques-unes de ces faiblesses sont :
– L’économie mondiale est immergée dans la dette : 253 trillions de dollars, 322 % du Produit mondial brut.
– Il n’y a pas suffisamment de demandes pour les produits de consommation de base parce que le niveau de vie a été détruit par des décennies de néolibéralisme.
– Le capital s’est désinvesti des secteurs productifs de l’économie parce que les taux de profit diminuaient.
– Il y a eu des cycles d’expansion-récession plus courts en raison d’une spéculation exacerbée, en particulier sur les nouveaux produits financiers dérivés.
– Il y a a eu plus d’argent facile à gagner en achetant des instruments financiers exotiques qu’en investissant dans la production de biens et de services. Par exemple les constructeurs automobiles font plus de profits dans leurs opérations de spéculation financière que dans leurs activités productives.

Ce sont des faiblesses qui rendent le capitalisme mondialisé particulièrement vulnérable au Coronavirus. Ce sont les faiblesses fondamentales.

Sauver le capital en abandonnant le néo-libéralisme ?

Tout comme pendant la crise financière de 2007/2008, les gouvernements doivent venir au secours des marchés par le biais d’une intervention massive de l’État Cela montre une fois de plus que les marchés ne sont ni omnipotents ni infaillibles.
Prenons par exemple les Etats-unis. Le gouvernement de Trump vient d’adopter un plan de relance de  2,2 trillions de dollars (6 fois la valeur de toute l’économie de l’Afrique du sud) pour amortir le choc de la récession qui arrive. C’est une rupture majeure avec les conceptions habituelles de l’austérité. Ils ont même accordé une subvention de 1 200 dollars aux gens gagnant moins de 75 000 dollars par an. Et Trump lui-même, en rupture avec la tradition du capital et de la propriété privée, a utilisé la loi pour la production de la défense de 1950 pour forcer General Motors a réorienter sa production sur des respirateurs.

De la même manière, les pays européens se précipitent pour adopter des plans de relance pour atténuer l’impact de la crise sur leurs économies. L’Allemagne a adopté un plan de relance de 810 milliards d’euros et l’Union européenne finalise un plan de relance post-Covid-19. Et pour mieux prouver l’inefficacité du marché,  les gouvernements espagnol et irlandais ont dû nationaliser les hôpitaux privés pour garantir les soins aux milliers de personnes infectées.

Même la Grande-Bretagne de Thatcher, dirigée maintenant par le conservateur populiste Boris Johnson, ouvre des brèches dans le néolibéralisme conventionnel ; le gouvernement a annoncé qu’il paierait jusqu’à 80 % des salaires des travailleurs si les entreprises les gardaient au lieu de les licencier en raison de la crise économique.

Ils dépensent tous de l’argent qu’ils prétendaient ne pas pouvoir dépenser. L’austérité qui était si nécessaire hier a eu pour conséquence la réduction des services de santé qui sont en crise face au virus. Soudain maintenant, ces libéraux deviennent brièvement Keynésiens. Ils peuvent soudain dépenser de l’argent qu’ils refusaient de dépenser hier. Soudain Facebook est capable d’éliminer les fake news, ce qu’ils ne pouvaient pas faire hier au nom de la liberté d’expression. Soudain le gouvernement sud-africain dit qu’il peut trouver des terres pour reloger les habitants des townships et des bidonvilles surpeuplés, alors qu’hier il attaquait les occupations de terres. Les travailleurs sociaux et les soignants, généralement marginalisés, sont maintenant reconnus comme essentiels.

Il est clair qu’ils reconnaissent le virus comme une crise majeure, alors qu’ils n’ont jamais reconnu la pauvreté et le chômage de masse comme une crise. Ils peuvent contracter la maladie et en mourir eux-mêmes, donc elle doit être stoppée à tout prix. La pauvreté, la faim, le chômage et le mal-logement ne sont pas des crises, les éliminer reste un vague projet sans échéance.

Mais en Afrique du Sud….

Pour le moment, le gouvernement Sud-africain s’en tient obstinément au dogme néo libéral, en particulier en ce qui concerne les dépenses de l’État.

Il pourrait admettre la crise économique et la récession à venir et envoyer paître les agences de notation. Au lieu de cela, il priorise les dépenses existantes au lieu de rendre l’argent disponible. L’impact du coronavirus sur le pays le plus inégal au monde sera énorme, surtout quand on prend en compte l’effondrement économique actuel.

Cinquante-cinq pourcent de la population subit déjà une extrême pauvreté , et 40 % est au chômage, 10% de la population détient 90% de la richesse du pays. Cela provoque des niveaux importants d’aliénation et de polarisation. Les médias et le gouvernement nous demandent d’être reconnaissants pour l’argent que donnent Rupert et Oppenheimer. Un pourcent de leur richesse, 1% de cette richesse générée par l’Apartheid ! Et d’autres suivront, se posant en bienfaiteurs de l’humanité en restituant 1 % de tout ce qu’ils ont volé !

Mais la colère monte..

La colère qui monte dans les profondeurs de notre société est prête à exploser. Le confinement va aggraver la pauvreté. Il ne pourra pas compenser la perte de revenus de travailleurs déjà très mal payés. Il ne permettra pas d’assurer las besoins élémentaires en termes d’eau, d’électricité, d’assainissement. Ce n’est pas une société normale qu’une société où l’armée est déployée pour faire respecter les règles du confinement. Des affrontements ont déjà éclaté entre l’armée, la police, et les habitants des townships. Toutes les conditions sont créées pour une explosion généralisée du type Marikana.

L’État a militarisé son programme pour gérer la pandémie ; C’est dans le droit fil de sa gestion autoritaire des problèmes sociaux. Avec des conséquences sur le plan des droits humains et de la démocratie. Plusieurs personnes ont été tuées par les forces de sécurité dans le cadre du « respect du confinement ».

Des millions de travailleurs, dont beaucoup sont précaires, vont être confinés chez eux avec leurs frères et leurs sœurs sans emploi. La colère gronde contre l’incapacité et l’indifférence de l’État Ils devront faire face à un système de santé en miettes s’ils tombent malades, sans espoir d’obtenir des soins corrects. Leurs conditions de vie rendent impossible un auto-isolement. Ils ne peuvent pas avoir des conditions d’hygiène acceptables. C’est horrible de penser à ce qu’il pourrait se passer.

Le confinement est peut-être nécessaire pour éviter la propagation du virus. Mais il n’est pas tenable sans s’attaquer vigoureusement aux conditions de vie déplorables que le néolibéralisme a imposé aux pauvres. Au minimum, le gouvernement doit :
– garantir le paiement des salaires de tous les travailleur ;
– fournir un revenu minimum, la gratuité de l’eau et de l’électricité et des colis de vivres pour les nécessiteux en particulier les enfants ;
– imposer un moratoire sur les expulsions ;
– à moyen terme, établir un programme de logement et de transport financé par l’État.

Un large éventail d’organisations de la société civile se sont accordées pour détailler ces propositions, nécessaires pendant cette crise Amandla soutient ces propositions.

Elles constituent une plate-forme qui permet l’unité d’un grand nombre d’organisations ce qui est crucial pour répondre à la crise actuelle. Elles peuvent être la base pour la construction d’un mouvement agissant comme un contre-pouvoir face au gouvernement néo-libéral et aux élites au pouvoir qui ne servent que leurs propres intérêts. Quel monde va sortir de cette crise, c’est l’enjeu de la bataille actuelle. Sans un contre-pouvoir pour lutter pour une alternative au capitalisme prédateur, nos savons ce qui nous attend : 10 ans ou plus d’austérité pour payer les dettes de la crise.

Traduction :  Mireille Court (http://aidc.org.za/this-changes-everything/)


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