La question Macron

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SOURCE : Arguments pour la lutte sociale

Présentation

Cet article est plus une contribution pour la discussion sur le moment présent et les taches qui en découlent qu’un éditorial stricto sensu. Nous invitons nos amis et camarades lecteurs à envoyer critiques, remarques, commentaires.

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Dans un important article de MediapartEdwy Plenel dresse le bilan accablant du rôle délétère et nullement sanitaire de l’exécutif de la V° République dans la période dite de confinement que nous venons de vivre, à la veille du passage à la période, qui s’annonce aussi grave et dangereuse, de « déconfinement ».

C’est bien la question Macron, la question présidentielle, la question du régime, la question de la démocratie, la question du pouvoir, qui est posée. A Aplutsoc, ce n’est pas la première fois que nous écrivons cela, et il nous faut analyser les données nouvelles dans la manière dont la question se pose maintenant.

Un petit retour au temps d’avant le confinement s’impose. Macron a été placé en position d’être élu président de la V° République, en 2017, avec un mandat du capital financier – précisons que pour nous le « capital financier » n’est pas une excroissance qu’il faudrait opposer à un « bon » capital pas financier, mais la quintessence du pouvoir et des besoins du capital en général, son expression adéquate. Ce mandat était de casser en France, une bonne fois pour toutes, la protection sociale, le droit du travail, les services publics et la fonction publique. Macron pouvait pour cela s’appuyer sur toutes les contre-réformes des présidents qui l’ont précédé, mais surtout sur leur résultat politique final : un vide où, au plan électoral et même plus précisément au seul plan présidentiel, seul le RN est posé comme alternative. Il s’agissait pour lui de former un « bloc » social et politique, drainant les couches dirigeantes du PS comme de LR, les deux grands partis qui avaient fait corps avec la V° République avant lui, en marginalisant les résistances sociales, comptant sur le choc et la rapidité. Ceci devait engendrer rapidement une relance de la place de l’impérialisme français en Europe, à égalité partenariale avec l’Allemagne, et une relance du régime de la V° République dopé au nectar « jupitérien ».

La mise en œuvre de ce programme faisait de Macron l’ennemi n°1 du prolétariat et notamment de ses couches les plus pauvres et les plus exploitées. La stratégie du choc en était une composante importante, appelée, en novlangue macronienne, la « maîtrise des horloges » (vous vous rappelez ?).

Trois dates peuvent résumer la perte de la maîtrise des horloges et la chute de la présidence jupitérienne, après un démarrage qui pouvait donner le change.1er mai 2018 : son gorille préféré Benalla fait des siennes et à partir de là, une énorme affaire de camarilla, d’atteintes au droit, de réseaux françafricains et de réseaux oligarchiques russes, a gangrené et parasité la tentative de restauration d’une V° République « jupitérienne ». Ce dérapage au sommet nous conduit à la seconde date, celle de l’explosion d’en bas, qui n’est pas passée par le canal des organisations syndicales même si beaucoup de syndicalistes ont compris ce qu’elle était : le 17 novembre 2018, des millions de « gilets jaunes » surgissaient des profondeurs avec pour slogan « Macron démission » et tentaient à plusieurs reprises de marcher sur l’Élysée, où l’hélico était près le 8 décembre suivant. Troisième date : après un ressac, remontée de la lutte des classes forgeant cette fois-ci une intersyndicale CGT/FO/FSU/Solidaires/UNEF, jouant le rôle de centralisation contre le pouvoir même si ce fut malgré ses dirigeants, avec le « mur contre Macron » ayant le contenu politique de la grève générale, le 5 décembre 2019.

Ces trois moments fondateurs de la crise au sommet, de l’irruption de celles et de ceux d’en bas, et de la tentative par le mouvement propre du prolétariat de commencer à construire sa réponse à la question du pouvoir en dessinant la voie de la grève générale, de l’intersyndicale et des comités de grèves, doivent encore nous guider, non pour s’y accrocher à tout prix mais pour dessiner l’action prochaine.

Car le confinement a-t-il mis fin à ces processus ? En d’autres termes, le confinement a-t-il été, et est-il, une défaite du prolétariat dont les capacités de mobilisation et d’auto-organisation auraient été, sinon anéanties, du moins tétanisées ?

Nous ne devons pas nier le fait que la peur soudain répandue, la rapidité du plongeon dans le confinement, ont eu le contenu d’un choc très lourd. Personne n’a cru à la «guerre », métaphore dont le vrai but politique était de faire croire à un ennemi extérieur, exogène, à combattre par l’union nationale, le travail pour le capital, et la soumission aux autorités. Mais l’effet de surprise et de peur a été réel et puissant. Macron largement délégitimé par le 1er mai 2018, le 17 novembre 2018 et le 5 décembre 2019, allait-il finalement devenir le chef de la nation en guerre et en deuil, tel le fat G.W. Bush, mal élu en 2000, et littéralement réinvesti par le 11 septembre 2001 au point qu’il fut réélu sans ambiguïté en 2004 ?

Dès le début, pourtant, une première peau de banane donnait un signal : cela ne sera pas. Il s’agissait des larmes d’Agnès Buzyn, le lendemain du discours sur l’état de guerre. La crise au sommet qui continuait donnait donc à toute l’opinion démocratique l’information suivante : le pouvoir exécutif était au fait de la gravité réelle de l’épidémie depuis janvier au moins, et n’avait rien fait.

Ainsi prenait forme le terrain même de la lutte pour la démocratie, contre Macron, dans le cadre du confinement : pour lutter contre l’épidémie, on devait lutter contre ce pouvoir. A vrai dire, nous en étions convaincus et nous le répétions, mais que le signal vienne d’Agnès Buzyn avait une forte signification quant à la réalité du rapport de force sous-jacent …

Depuis, toutes les données de la question sanitaire se sont avérées accablantes pour l’exécutif français, au point qu’une approche judiciaire de sa responsabilité n’a à présent rien d’absurde.

L’article d’Edwy Plenel en donne pour l’essentiel la liste. Le scandale des masques : mensonge d’État, mise en danger en appelant à ne pas en porter, destruction des stocks stratégiques, spéculations sur la base de la pénurie organisée … Le scandale des tests : décision de ne pas s’en procurer, pénurie permanente. Le scandale des hôpitaux : célébration des « héros » habillés de sacs poubelles, directives de soin poussant au tri des malades en fonction de leur âge. Le scandale des EhpadLe scandale des chiffres réels : le refus de décompter les présomptions de cas de Covid, les 9000 morts à domicile selon le syndicat MG-France.

Le scandale de l’école et de la « reprise » arrive alors que tout est fait pour faire croire que les chiffres baissent. Les cartes de départements rouges, verts ou oranges sont dressées d’après les moyens hospitaliers, mais pas d’après les données épidémiologiques que gouvernement, préfectures et ARS pourraient se procurer, mais qu’ils refusent de centraliser pour que l’on ne sache pas.

La reprise annoncée le 11 mai est un triple scandale. Sanitaire,social et pédagogique. En classe de maternelles la maltraitance des enfants, interdits de jeux et de contacts, doit être organisée pour que le capital puisse s’accumuler. Le caractère antisocial de ce pouvoir concentre le caractère antisocial du capital. Il est urgent de changer de mode de production. Ceci permettrait rapidement de combattre l’épidémie en faisant prévaloir le bon sens sur la circulation du capital, en assurant la production du nécessaire, le ravitaillement, l’aide aux plus démunis et la solidarité … et en traitant bien nos enfants !

Ce que nous disons là, des millions le ressentent et l’éprouvent plus ou moins clairement.

Ajoutons le scandale démocratique. Il est triple.

Nous avons évité de prendre partie dans la polémique médicale autour du « Docteur Raoult », de la chloroquine et de sujets connexes, si ce n’est pour dire : mais bon sang, un pouvoir démocratique aurait, lui, le bon sens de réunir ces messieurs-dames, de les sommer d’arrêter de s’envoyer des fions et de donner au public en toute transparence des données médicales afin que l’on tranche et que l’on fasse tout le possible. Qu’à fait Macron ? Il est allé voir Raoult. Le petit Tirex est venu se renifler un petit coup avec ce supposé mastodonte gaulois. Et puis après ? Après, rien.

Mais le scandale démocratique, ce sont surtout les atteintes massives aux libertés individuelles et collectives et la rupture avec tout état de droit au motif du confinement, culminant le 1er mai. D’abord, en quoi mettre sa date de naissance et recopier une fiche fastidieuse lutte-t-il contre le virus ? Un peuple entier a ressenti qu’on le prend pour une bande de gamins idiots, au lieu de se fier à lui et le mettre dans la confidence (Marc Bloch, cité par E. Plenel). Et la loi a été transgressée par les préfets Lallement et les agents zélés, fouillant les sacs à provisions, harcelant les basanés, verbalisant des professionnels du soin ou de la solidarité … Et tout le monde a vu les drones à haut-parleurs surveillant des plages ou des chemins de randonnées, détournant les moyens de lutter contre l’épidémie. Honte. La Seine-Saint-Denis cumule verbalisation et contagion.

Le scandale démocratique, c’est enfin le mensonge et la calomnie contre les critiques, accusées de « complotisme » en faisant, de fait, le jeu du dit complotisme, ce complotisme qui est au cœur de ce qui tient lieu de pensée à ce pouvoir exécutif …

Les deux mois de confinement n’ont pas constitué la défaite sociale qu’ils auraient pu être, mais ont fait mûrir les conditions différées et décalées de l’affrontement avec un pouvoir qui, quant à lui, n’a pas reconstitué son assise. Il est difficile d’évaluer exactement le niveau de ce mûrissement : le mois de mai va le montrer.

En outre, du côté du pouvoir, avant le confinement et les larmes de Mme Buzyn, il était avéré déjà qu’il avait échoué à se construire une large base, un vrai « parti du président », de même qu’au niveau diplomatique ses ambitions avaient échoué, entraînant depuis août dernier déjà un rapprochement Macron/Poutine où Macron est en posture de quémandeur. Ces données ne se sont pas arrangées pendant le confinement : la chute du PIB et les différentiels de taux d’intérêts européens placent la France non avec l’Allemagne, mais avec les pays méditerranéens, cette fois-ci complètement.

Une situation telle que celle que nous vivons aurait poussé et permis à d’autres présidents de la V° République de former un gouvernement d’union nationale. Celle-ci ne manque pas, en vérité, de partisans. Mais ils ne veulent pas y aller avec Macron. D’où les rumeurs qui ne peuvent que grenouiller sur le renvoi de l’indispensable E. Philippe, l’appel à Valls, à Sarkozy, etc. En attendant, Macron est figé dans la posture de celui qui ordonne d’aller se faire contaminer.

Tels sont les paramètres de l’affrontement, à nouveau inédit – les gilets jaunes étaient inédits, le 5 décembre 2019 aussi, et là encore plus – affrontement que nous avons, non pas à créer (il n’a pas besoin de nous pour cela) mais à éclairer pour aller de l’avant, vers la victoire pour assurer nos vies et préserver ce monde qui est notre.

Le présent article ne prétend que poser quelques termes de ce débat. Nous invitons nos lecteurs, camarades et amis à s’exprimer et nous allons incessamment tenir une visioconférence sur les thèmes introduits ici.

VP, le 5 mai 2020.


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