Au Parlement, circonvolutions autour de la responsabilité pénale des élus locaux

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SOURCE : Libération

Devant la mairie d'Etretat (Seine-Maritime), le 13 avril  2020.

Mercredi, la commission des lois de l’Assemblée a revu à la baisse l’amendement sénatorial au projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, qui visait essentiellement à «rassurer» les maires à l’approche du déconfinement.

«Un texte inutile mais potentiellement dangereux.» Point de vue d’un avocat largement partagé par ses pairs : «Aucun professionnel du droit n’en comprend la logique ou la nécessité, si ce n’est une inflation législative de mauvaise qualité en vue d’assurer la protection juridique des élus.» Il est question du désormais célèbre amendement sénatorial adopté mardi, en passe d’être bémolisé par les députés, en vue de conforter pénalement, en période de pandémie, les «décideurs publics ou privés» – mais on comprend qu’il s’agit essentiellement des maires.

Ils sont déjà largement protégés par la loi du 10 juillet 2000, dite loi Fauchon, sur les délits «non intentionnels» mais néanmoins répréhensibles en cas «d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité». Curieusement, l’amendement adopté par le Sénat la reprenait quasiment mot pour mot : de l’art de légiférer pour rien… Les députés ont eu des mots plus aimables que les juristes en vue de le qualifier, comme l’ancienne magistrate Laurence Vichnievsky (Modem) : «Une reprise sous forme élégante et pédagogique, mais sans apport particulier.» Car il est surtout question de «rassurer» – le terme revient dans toutes les bouches parlementaires, quelle que soit leur étiquette politique – les édiles à l’approche de la fin du confinement et de la réouverture des équipements publics. Mais sa rédaction improvisée était pour le moins maladroite.

Une formule qui ratisse large

La formule «nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée», brandie en ouverture, n’est pas scandaleuse en soi. La loi Fauchon elle-même ratissait large : au nom de l’égalité des citoyens devant la loi, impossible d’adapter le code pénal à une catégorie particulière de la population comme les élus locaux. De fait, elle est depuis beaucoup appliquée aux employeurs en matière d’accidents du travail. Quant aux maires, il y aura cet avant et après à propos de cages amovibles de football destinées aux enfants (et susceptibles de leur tomber sur la tête) : un cas de condamnation avant, un cas de relaxe après. Mais ce «nul» pourrait aussi englober les ministres en exercice, qui font actuellement l’objet de nombreuses plaintes pénales pour non-assistance à personne en danger sur fond de pandémie, théoriquement passibles de la Cour de justice de la République. Au risque de passer pour une loi d’amnistie qui ne dirait pas son nom, ce dont se défendent fermement tous les parlementaires.

Un haut magistrat de la Cour de cassation a ainsi résumé l’enjeu : «La loi du 10 juillet 2000 est une loi d’équilibre, de compromis, qui cherche à ménager des intérêts contradictoires», à savoir «mettre un frein à la pénalisation, jugée excessive, de la vie publique», tout en évitant une«déresponsabilisation des acteurs sociaux». La justice pénale fait depuis au mieux de cette «quadrature du cercle», jugeant au cas par cas. C’est là où certains parlementaires semblent vouloir en venir, le pouvoir législatif souhaitant alors contraindre le judiciaire. Cela a été exprimé publiquement en commission des lois de l’Assemblée : «La loi Fauchon est mal appliquée, il faut obliger le juge à chercher une faute caractérisée.»

«Eclairer le juge»

L’amendement de compromis présenté par le Modem et LREM, et adopté mercredi en commission des lois, vise ainsi à «éclairer le juge», comme l’a expliqué la rapporteure du texte, Marie Guévenoux, en marchant sur des œufs : «Il ne s’agit pas d’exonérer ou d’atténuer la responsabilité pénale, mais de la préciser.» Par précaution, l’amendement évite toute référence au (dé)confinement, car sinon découleraient des inégalités départementales devant la loi. Il se contente d’ajouter cette mention à l’article du code pénal sur les délits non intentionnels : tenir compte de «l’état des connaissances scientifiques au moment des faits». Et d’inviter les magistrats à juger «in concreto». C’est pourtant ce qu’ils font depuis vingt ans… «Il n’y a pas de solution uniforme mais une jurisprudence nuancée», témoigne ainsi un haut magistrat.

Encore un amendement pour rien ? En commission des lois, seul le Républicain Aurélien Pradié aura mis les pieds dans le plat : «Il n’y a aucun vide juridique, toutes les rédactions proposées sont absurdes. Et il n’y a pas d’engagement politique sans responsabilité.» Fût-elle pénale.


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