Etat-Unis. Explosion du chômage. Face à ce «mal capitaliste», des alternatives possibles

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SOURCE : A l'encontre

Par Richard D. Wolff

Aux États-Unis déjà plus de 33 millions de salarié·e·s ont perdu leur emploi depuis l’éclatement de la pandémie de Covid-19. Selon le Washington Post du 7 mai 2020, 77% d’entre eux pensent pouvoir retrouver leur (ou un) emploi lorsque la pandémie aura pris fin. Par contre, selon, diverses études d’économistes, 40% des emplois perdus le resteront. Le choc va donc être brutal. De plus, le sondage publié par le quotidien révèle que 20% des adultes hispaniques et 16% des Noirs déclarent avoir été licenciés ou mis à pied provisoirement depuis le début de l’épidémie aux États-Unis, contre 11% des Blancs.

Dès lors, l’explosion du chômage va marquer durablement la configuration sociale et politique aux États-Unis. D’où la nécessité pour le mouvement syndical d’opérer une explication pédagogique sur la relation entre capitalisme et chômage et dessiner des éléments d’une alternative. C’est ce à quoi s’essaye cet article, avec les limites propres à l’exercice. (Réd. A l’Encontre)

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Aujourd’hui, les grands titres des médias nous interpellent à propos du traumatisme, des douleurs et des ravages dus à cette explosion historique du chômage sous le capitalisme. Mais la dénonciation du chômage ne vibrait-elle pas de tout temps au cœur des réquisitoires cinglant le capitalisme? Ce système récompense les employeurs grâce aux profits tirés du travail salarié des employés. Pourtant, ce système ne parvient pas toujours à les mettre au travail, ce qui nuit à ses profits. Pire encore, cet échec se reproduit assez régulièrement: un phénomène connu sous le nom de «cycle économique».

Ses cycles le démontrent, intrinsèquement, que le capitalisme est socialement irrationnel. Les chômeurs et chômeuses continuent de consommer, bien qu’en quantités réduites, ils arrêtent seulement de produire. Evidemment, il vaudrait mieux que les travailleurs continuent de produire ce qu’ils continuent de consommer. Mais, malgré d’innombrables efforts, le capitalisme ne parvient pas à réaliser cet objectif lorsqu’il tente, depuis les années 1930, de contrôler ses cycles récurrents au moyen des politiques keynésiennes. Régulièrement, les cycles économiques provoquent des ravages et des souffrances.

Une autre irrationalité du capitalisme réside dans le refus obstiné des capitalistes de considérer, et encore moins de mettre en œuvre, l’alternative évidente au chômage. Lorsque les travailleurs et travailleuses commencent à être licenciés (en raison de la baisse de la demande, d’une récession, de l’automatisation, etc.), les employeurs pourraient conserver les emplois et réduire les heures de travail. Au lieu de 10% de chômage, réduisez de 40 à 36 heures la durée du travail hebdomadaire. Toutes et tous, travailleuses et travailleurs, rentrant chez eux à 13 h, et non à 17 h, chaque vendredi.

Comparer et mesurer les coûts respectifs du chômage et des réductions d’horaire est difficile. Ce qui explique probablement les préférences de la plupart des capitalistes pour le chômage, c’est le pouvoir que ce chômage leur permet d’exercer sur les salarié·e·s. La seule perspective du chômage plonge travailleuses et travailleurs dans l’inquiétude, les oppose les uns aux autres de crainte d’être licenciés. Et nous voyons cette minorité sociale – les employeurs – imposer aux salarié·e·s, du moins à la très grande majorité d’entre eux, ce qui est socialement «irrationnel». Même dans une pandémie telle que celle que nous traversons, alors que la distanciation sociale permettrait de sécuriser les places de travail, rares sont les employeurs qui préfèrent réduire les horaires plutôt que de recourir au chômage, et ceci bien que choisir la réduction des horaires de travail serait logique.

La perspective du chômage dévaste les salarié·e·s et leurs familles. L’expérience du chômage engendre des niveaux croissants de dépression, d’alcoolisme, de toxicomanie, de problèmes conjugaux, de maltraitance des enfants et d’autres plaies sociales. Le chômage suscite également une baisse de l’estime de soi chez les salarié·e·s, une perte de leurs compétences professionnelles, de leur santé physique comme mentale, et de leur épargne.

Le chômage n’est pas souhaité par les salarié·e·s – et sous certains aspects aussi par les employeurs – mais il les frappe encore et encore. Les défenseurs du capitalisme s’inquiètent toujours: les chômeurs et chômeuses, en tant que victimes du capitalisme, fournissent un public réceptif à ses détracteurs. Par le passé, l’alliance des victimes et des critiques du capitalisme a défié le système, elle le menace à nouveau.

Le chômage fait partie d’un cercle vicieux propres au capitalisme. Les chômeurs et chômeuses perdent des revenus et réduisent donc leur consommation. Cela prive les capitalistes qui produisent les produits que ces derniers consomment lors de leurs achats, donc réduisent des ventes et des bénéfices. En réponse, ces capitalistes licencient une partie de leur main-d’œuvre. Cela aggrave le chômage: le cercle vicieux.

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De nombreux phénomènes peuvent déclencher le chômage dans une société capitaliste. La question de savoir si l’apparition du chômage engendrera le cercle vicieux propre à son extension dépendra des circonstances au sein de la société où il est apparu. Supposons, par exemple, que les consommateurs se désintéressent du produit A, les capitalistes licencieront les travailleurs qui le produisent. Cela pourrait susciter un cercle vicieux à la baisse de tout le système. Mais tel ne sera pas le cas si, les consommateurs manifestent un intérêt croissant pour le produit B. Les capitalistes embaucheraient alors les producteurs licenciés de A pour occuper des emplois faisant B.

Mais, à la différence de notre exemple, c’est l’incapacité de cette société capitaliste à se préparer et à faire face à la pandémie du COVID-19 qui a engendré un chômage aussi stupéfiant et en augmentation rapide. La spirale régressive du chômage de masse est enclenchée. Si le virus a été l’élément déclencheur, ce capitalisme affaibli a réagi avec un crash économique.

Aux Etats-Unis, en particulier beaucoup trop peu a été fait, et beaucoup trop tard, pour contrer le chômage qu’a provoqué la pandémie avec la création d’autres emplois au sein de la société. Ainsi, l’augmentation de l’embauche par les services de livraison (liés au e-commerce) est loin d’avoir absorbé les millions de personnes qu’ont renvoyées les restaurants, bars, grands magasins, hôtels, compagnies aériennes, etc. La spirale régressive a explosé.

Rien de tout cela était inévitable. Comme le gouvernement américain l’avait fait avec le New Deal durant les années 1930, il aurait pu mettre sur pied un vaste programme fédéral d’emplois qui aurait pu réemployer par millions les personnes qu’ont licenciées les employeurs en «fermant» le secteur privé. Les tâches socialement utiles pour des titulaires d’emplois fédéraux pouvaient comporter des campagnes massives de tests du coronavirus à travers les États-Unis; le nettoyage/la désinfection régulière des espaces publics; la réorganisation des équipements publics pour assurer le maintien de la distanciation sociale; des tutoriels pour des cours via les médias sociaux pour les élèves des écoles publiques (comme pour le grand public cherchant à acquérir de nouvelles compétences); une évolution satisfaisant les exigences écologiques de l’ensemble de la production et de l’économie; la création d’un réseau de coopératives ouvrières; etc.

Les avocats du capitalisme le décrivent comme un système économique «rationnel». Il est pourtant irrationnel de priver les salarié·e·s d’emplois alors qu’existent les outils, l’équipement et les matières premières nécessaires à la production des biens et des services socialement utiles. Il est également socialement irrationnel de soumettre à l’inactivité des places de travail où vont s’accumuler la «rouille et la poussière», plutôt que de les reconfigurer ou de les restructurer en postes de travail sûrs et socialement utiles. Il est irrationnel d’ignorer la santé mentale et physique que procure un travail porteur de sens, en plongeant par millions salarié·e·s dans le chômage. Enfin, et surtout, il est irrationnel de priver l’ensemble de la société des biens et services susceptibles d’être produits par des salarié·e·es ayant un emploi. Si le secteur capitaliste privé ne peut pas ou ne veut pas réemployer ces chômeurs de la manière la plus socialement utile, alors cette tâche doit revenir au gouvernement qui peut et qui doit le faire.

Si l’intérêt pour leurs profits privés conduit les capitalistes à prendre des décisions socialement irrationnelles – comme le sont les licenciements de millions de salarié·e·s – alors la société ne devrait plus considérer le profit comme le critère décisif. Nous devrions remplacer ce système basé sur les profits privés par d’autres critères pour déterminer les critères de décision des entreprises. Un tel nouveau système pourrait utilement associer des entreprises privées et des entreprises publiques organisées en coopératives de travail. Dans de telles entreprises, travailleuses et travailleurs prendraient démocratiquement les décisions concernant l’entreprise: chaque travailleur bénéficiant d’un droit de vote égal.

Mieux, deux autres groupes de personnes concernées pourraient prendre part, de manière tout aussi démocratique, à la prise de ces décisions: 1° les consommateurs de la production de chaque entreprise; et 2° les résidents des collectivités dans lesquelles fonctionne chaque entreprise.

Un tel système déterminerait comme objectifs essentiels la qualité et la sécurité des emplois, la consommation et la résidence, ce sont de tels critères qui évalueraient la rentabilité des entreprises.

Proposer des coopératives de travail comme cadre de travail aux millions de personnes réduites au chômage en raison des désastres suscités par le capitalisme satisfait un objectif précis. Les travailleurs des coopératives de travail pourraient voir et réagir beaucoup plus tôt face à l’irrationalité fondamentale du chômage que provoque le capitalisme. […]

La mise en place d’un tel secteur aux États-Unis permettrait à ses habitants de choisir véritablement leur système économique. Les citoyens et citoyennes pourraient observer, acheter et travailler dans des entreprises organisées en coopératives de travail associées et les comparer à leurs homologues organisées selon des critères capitalistes. Ensuite, des choix démocratiques informés permettraient à la population des Etats-Unis de décider comment combiner les deux systèmes économiques alternatifs.

Evoluer vers de telles perspectives aiderait grandement à trouver et à exploiter des voies de sortie par le haut de cette crise, des possibilités positives face aux ruines catastrophiques d’une pandémie virale et d’un crash capitaliste majeur. (Article publié sur le site Truthout, en date du 6 mai 2020; traduction rédaction A l’Encontre)


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