Le Gang de la clef à molette, d’Edward Abbey

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SOURCE : NPA

Gallmeister, 490 pages, 12 euros.1

Lorsque la guerre du Vietnam, avec ses bombes au napalm sur les cultures et rizières, prit fin, la dénonciation du capitalisme put se centrer sur le modèle industriel US et ses ravages sur la nature sauvage. L’œuvre du poète et romancier Edward Abbey (1927-1989) a influencé des générations entières d’éco-activistes américains, elle a même inspiré la création de mouvements prônant la désobéissance civile et le sabotage de la « Machine ». L’auteur lui-même était fiché et surveillé par le FBI comme « éco-terroriste ». Le Gang de la clef à molette, édité pour la première fois en 1975, eut un retentissement considérable aux USA et a été régulièrement réédité.

Justiciers ou pieds-nickelés, leur arme principale est une clef à molette

Un concours de circonstances et une descente en raft du Colorado font se rencontrer quatre gentils fous furieux insoumis. Georges Hayduke, un vétéran du Vietnam accro à la bière, aux armes à feu et aux bâtons de dynamite, rumine sa colère contre le saccage de ses montagnes. Seldom Seen Smith, mormon polygame défroqué et guide spécialisé dans les randonnées fluviales, a vu son business affecté par la construction des barrages. Le Docteur Jarvis, chirurgien entre deux âges, écolo érudit, fin connaisseur de la nature, est déjà spécialisé en destruction de panneaux publicitaires. Bonnie Abbzug, jeune hippie amatrice de marijuana et de Ravi Shankar, est la maîtresse, l’assistante et surtout l’inspiratrice du « bon docteur ». Ils sont tous quatre révoltés de voir leurs sierras et déserts de l’Ouest défigurés. Au cours d’une nuit de bivouac, ils passent un pacte pour entrer en lutte contre la « Machine ». Armés de simples clefs à molette – et de dynamite – nos héros écologistes commencent à détruire ponts, routes et voies ferrées qui balafrent le désert et affrontent les représentants de l’ordre et de la morale lancés à leur poursuite.

Une ode nostalgique à l’0uest sauvage

Les protagonistes du roman, qu’ils proviennent du Nouveau-Mexique, de l’Arizona ou de l’Utah, ne supportent plus de voir la région polluée, bétonnée et victime du tourisme de masse. Ils ne supportent plus le ballet incessant des bulldozers, des pelleteuses qui saignent la montagne au profit d’une poignée de compagnies minières. Le lac Powell, créé grâce à un barrage, est surnommé « la mort bleue », il a recouvert la ville de Glen Canyon City et une grande partie du canyon et de ses environs. Les « héros » du roman se souviennent « du fleuve doré s’écoulant vers la mer… des canyons appelés le Passage invisible et le Salut et la Dernier chance et l’Interdit et la Pénombre et d’innombrables autres encore, dont certains n’avaient jamais reçu de nom. Il se souvenait des étranges et phénoménaux amphithéâtres appelés le Temple de musique et la Cathédrale dans le désert. Tous ces monuments gisaient désormais sous les eaux mortes du réservoir, où ils disparaissaient lentement sous les couches de sédiments ». Cette vaste contemplation poétique de la beauté de la faune et de la flore, des grandes étendues de l’Ouest, est doublée d’une réflexion sur la place de l’être humain dans la nature.

Un grand roman subversif et militant à la verve tragicomique

Edward Abbey plante le décor dès les premières pages en nous faisant assister à la destruction d’un pont inutile reliant l’Utah à l’Arizona le jour de son inauguration. Il cite le gouverneur célébrant le pont de « la croissance et du développement en harmonie avec les cheminées de deux cent quarante mètres de la centrale à charbon voisine ». L’apprentissage de nos « saboteurs » n’a pas toujours été facile. Ils ont commencé par s’attaquer aux chantiers, à sectionner les câbles des bulldozers, détruire les tableaux de bord, remplir les réservoirs de sable et/ou vider les engins de leur huile. Ils ont précipité des machines de mort au fond des précipices. Leur objectif est de ruiner les compagnies capitalistes qui visent « à la sphéricité parfaite, une Terre polie de toutes ses irrégularités, une planète lisse comme une bille de verre sur quoi il n’y aurait plus qu’à peindre les lignes des autoroutes ». L’adrénaline appelant l’adrénaline, leurs agissements les entraineront un peu plus loin qu’ils ne l’avaient escompté mais…

Le Gang de la clé à molette est un appel à une « contre-révolution industrielle », à la destruction des grandes infrastructures inutiles. Pour certainEs militantEs écologistes étatsuniens des années 1970, le livre devint un manuel où les techniques de sabotage appelaient à être reproduites. L’organisation « Earth First ! », créée en 1979, prit ainsi pour emblème une clef à molette !

L’humour d’Edward Abbey, reposant sur l’exagération forcenée des actions et la dérision de ses personnages n’a pas toujours été compris. Il s’agit bien sûr d’une fiction hilarante, insolente, extravagante et ­jubilatoire. Ou pas !

  • 1.Cette édition de poche ne reproduit malheureusement pas les dessins originaux de Robert Crumb qui accompagnèrent la première édition.

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