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SOURCE : La Sociale
Les grands médias, France-Inter comprise, ont donné un large écho à la tribune cosignée par plusieurs dizaines de personnalités de la « gauche », « communiste », « socialiste » et écologiste. On y trouve Yannick Jadot aux côtés de Ian Brossat et d’Olivier Faure, Bernard Thibault et Raphaël Glucksmann, et tant d’autres encore. On se prend à fredonner « ils sont venus, ils sont tous là »…
Cette tribune se conclut ainsi, tenons-nous bien « Pour être à ce rendez-vous de notre Histoire, nous proposons qu’un grand événement, une “convention du monde commun”, réunissent dans les prochains mois toutes les énergies disponibles, les citoyennes et citoyens épris de profonds changements, les formations politiques, les forces associatives, les initiatives que portent syndicats et ONG. C’est une première étape cruciale et attendue pour une alternative démocratique, écologique et sociale. » On pensait, je ne sais pas, que le « monde commun », c’était la lutte contre atteintes aux libertés fondamentales, notamment la loi Avia qui vient d’être votée avec l’abstention des « socialistes », ou encore l’abandon définitif de la réforme des retraites, qui est tout de même votée à coups de 49-3 juste avant le confinement, ou encore l’abrogation de la réforme de l’assurance-chômage, ou encore le refus du sauvetage du capitalisme à coups de prêts consentis par les banques et garantis… par nous ! Mais tout cela est soit passé sous silence, soit à peine évoqué. Il est vrai que parmi les signataires, on trouve pas mal de gens qui ont soutenu la loi El-Khomry et aidé à mettre en selle Macron.
Voyons en quoi consiste cet appel, difficile à comprendre pour le commun des mortels, tant il est écrit dans le langage « entre soi » du petit monde de la défunte « gauche plurielle » (Cambadélis et Julien Dray manquent à la liste des signataires, c’est peut-être la preuve qu’il leur reste un peu de sens politique) et tant il est long et pâteux (2500 mots). Ce « monde commun » vise à développer une « société résiliente ». Le terme de résilience a été popularisé par Boris Cyrulnik, qui est à la psychologie ce que Michel Onfray, est à la philosophie et désigne la capacité de l’individu à encaisser les chocs traumatiques ! Quels traumatismes nous promet-on pour apprendre à développer notre résilience ? Reprenons ce texte en tentant de sérier les problèmes ce qui n’est pas bien simple dans cette logorrhée.
Commençons par la question la plus brûlante, celle de la liberté. Une liberté encore taillée en pièce par la toute récente loi Avia qui organise la censure sur les réseaux sociaux. Eh bien, la liberté n’est qu’évoquée au détour d’une phrase : il va falloir non seulement réparer la société, mais aussi assurer « la défense des libertés ». Mais encore ? Encore rien ! La multiplication des lois d’exception, l’abolition de facto de l’indépendance de la magistrature, l’intégration de l’état d’urgence dans la loi ordinaire, la doctrine du maintien de l’ordre Castaner-Lallement qui préconise d’aller au contact un peu rugueux des manifestants considérés comme des ennemis, les gens mis en garde à vue pour avoir demandé sur leur balcon la démission de Macron, etc., car la liste est vraiment très longue. Tout cela n’intéresse nullement la gauche unie de Ian Brossat à Olivier Faure. Mais comment lutter pour un avenir meilleur et comment décider de l’avenir meilleur que nous voulons sans liberté ?
On se dit « bon ils ne parlent pas de liberté, mais peut-être traitent-ils des institutions. » Que nenni ! Voilà ce que dit la tribune : « Seule une refondation de nos institutions permettra de le dépasser. Il est impératif de ne pas confier à un “sauveur suprême” ou au pouvoir technocratique “la sortie de crise”, mais au contraire d’augmenter la participation des citoyen.nes aux décisions qui les concernent, et cela à tous les niveaux. » Augmenter la participation des citoyen.nes ! Quelle blague ! Tout le monde est pour la participation, c’était même dans le programme de Macron. Les citoyens ne veulent pas participer, ils veulent décider ! Ces gens n’ont rien entendu des Gilets jaunes (normal, ce n’est pas leur monde). La démocratie, c’est le pouvoir du peuple. Le pouvoir du petit nombre, même très instruit, très bien formé dans les écoles à formation de chefs, c’est l’aristocratie et même le plus souvent l’oligarchie. Et la démocratie représentative, c’est le pouvoir du législateur, c’est-à-dire du parlement et de personne d’autre ! L’exécutif n’est là que pour exécuter, pas pour diriger, ni pour légiférer. C’est pourtant très simple ! Mais visiblement les « sachants » qui signent cette tribune ne le savent pas, l’ont oublié, ou bien n’y comprennent rien.
Si la liberté ne les intéresse pas, peut-être l’égalité trouve sa place dans cette tribune. On nous rappelle que « la crise remet à vif la grande pauvreté et les inégalités ». Ah, bon ce n’était pas à vif avant, du temps où une partie de ces belles gens gouvernaient ? Depuis quand les inégalités se creusent-elles ? Depuis le 15 mars 2020 ? On se propose aussi de « corriger les inégalités » par des mesures fiscales et même de lutter, c’est incroyable, contre les inégalités hommes-femmes ! À part la restauration de l’ISF, aucune mesure n’est envisagée, ni une plus forte taxation de ceux qui s’enrichissent en dormant, ni un plafonnement des salaires extravagants des « managers » (Menschenführer en allemand…). Le capital financier, la finance (« mon ennemi c’est la finance ») : pas une allusion dans cette tribune, rien. Il ne faudrait tout de même pas froisser Wall Street et la Bourse. On appelle ça un programme de gauche ! Sur l’école rien… Et ainsi de suite.
Fraternité : on n’en parle pas dans le texte. Sont évoqués les travailleurs, on fait leur éloge (ils bossent bien, les gars). On évoque la question du temps de travail. Mais rien sur les coupes sombres dans le Code du travail opérées par El Khomry et Macron ! Il faudra certes abroger la récente réforme de l’assurance-chômage et abandonner définitivement la réforme des retraites. Mais c’est tout. Mais rien sur les services publics — par exemple en quoi des services publics sont la garantie d’une certaine égalité des citoyens — car là encore il ne faudrait tout de même pas ressusciter la vieille gauche.
Dernier point : l’Europe. Citons le paragraphe qui lui est consacré : un compendium de toutes les phrases creuses par lesquelles on a justifié toutes les vilenies du « machin ». À propos des financements nécessaires à la sortie de crise, il est dit : « L’engagement de l’Europe en est l’une des clés. C’est une nécessité qui conditionne la survie de l’Union, quand les forces de démembrement prospèrent grâce au manque de solidarité européenne dans chaque moment de crise. » Et l’Europe (c’est-à-dire l’Allemagne), c’est très simple, on dira qu’on a perdu la clé ! Et on luttera contre les horribles « forces de démembrement ». Ils n’osent même pas nous refaire le coup de Hollande (« j’irai parler à Mme Merkel »), repris par Macron. Ils continuent de confier la clé à la BCE et à la RFA. Car « On attend de l’Europe qu’elle conduise durablement une politique monétaire à la hauteur du risque actuel, mais aussi qu’elle mette en œuvre des formes inédites de financement en commun pour empêcher une hausse de l’endettement des États, en particulier les plus affectés par la crise sanitaire. Il faudra aussi dès les prochains mois engager le chantier de la restructuration des dettes héritées des crises successives. » Pour les vœux pieux, ils ne reculent jamais. Parmi les signataires, on trouve les socialistes qui ont encouragé l’étranglement de la Grèce. On peut donc compter sur leur fermeté. Et on n’hésite pas dire : « Ces financements européens ne sauraient être assortis des mesures d’austérité qui ont creusé entre les peuples des blessures encore inguérissables. » Déjà les UvL et consorts tremblent ! « Les conditionnalités aujourd’hui se nomment écologie, cohésion sociale et respect de la démocratie. » Cohésion sociale ? Cohésion des intérêts entre les grands capitalistes mondialisateurs et les ouvriers ? La « cohésion sociale » est cette vieille formule de la tromperie : on assure la cohésion entre le maître et le valet dès lors que le valet obéit et ne rouspète même pas sur le montant de ses gages. Et pour finir, cerise sur cet indigeste gâteau : « Une transformation profonde des structures de l’Union européenne est indispensable pour rendre possibles ces politiques ambitieuses de solidarité. Cela implique la remise en cause du pacte budgétaire. » Ils l’ont tous dit, depuis trente ans ! Et tous sans exception ont immédiatement oublié leurs engagements. Le « pacte budgétaire » a un nom : euro. Et tant que l’on ne touchera pas à l’euro, c’est-à-dire au deutsche mark à cours forcé dans le reste de l’Europe, tout le reste ne sera que « paroles, paroles, paroles ».
2500 mots de bavardage, dont les silences disent bien plus ce dont il s’agit que les phrases. Une consolation : ni la France Insoumise ni le PCF (mis à part quelques casse-croûtards comme l’ineffable Brossat-reluire) n’ont signé cette tribune. Tout n’est pas perdu. Mais le retour de la « gauche plurielle » avec les Verts qui mangent à tous les râteliers, les « socialistes » (sic) qui ont fait la courte échelle à Macron, n’est qu’une mauvaise farce.