Une canicule sans précédent au printemps écrase l’est de la Méditerranée

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SOURCE : Reporterre

Depuis le 16 mai, une vague de chaleur intense et inédite s’abat sur la Méditerranée orientale. Cela n’est jamais arrivé si tôt dans l’année, alors que l’été est encore loin.

C’est une triste première dans l’histoire de la Méditerranée orientale : une vague de chaleur intense et précoce frappe depuis le 16 mai la région, du sud de l’Italie à Israël. « On peut qualifier cet épisode d’exceptionnel, indique à Reporterre Emmanuel Demaël, prévisionniste à Météo France. La chaleur est estivale, déjà torride. C’est inhabituel pour le milieu du mois de mai dans la partie est du bassin méditerranéen. »

En Italie, en Grèce, à Chypre et en Turquie, les services météorologiques locaux ont enregistré des températures jamais atteintes à cette période de l’année. La semaine dernière, il a fait jusqu’à 44,5 °C à Tire, en Turquie, 41,8 °C à Plora, en Grèce, 39,9 °C à Palerme, en Italie, et 43,5 °C à Morphou, à Chypre. « Nous avons traversé une grosse vague de chaleur qui a duré environ une semaine, raconte à Reporterre Marie, 31 ans, qui réside à Nicosie, capitale de l’île. Même si le déconfinement a commencé à Chypre, les rues étaient désertes l’après-midi, à cause des températures étouffantes. »

« Globalement, nous sommes en train de battre des records depuis au moins une quinzaine d’années »

Si la température redescend doucement à Nicosie, plus au sud, la population suffoque encore. Ces derniers jours, la température est montée jusqu’à 48,1 °C dans la vallée du Jourdain, 46 °C à Jéricho, et 38 °C à Jérusalem, selon le Times of Israël. La chaleur est si intense que le ministre israélien de la Santé a levé l’obligation de porter des masques à l’extérieur, en dépit de l’épidémie de Covid-19. Ces conditions météorologiques extrêmes ont provoqué des feux de forêt en périphérie de Jérusalem, en Galilée, ainsi qu’en Cisjordanie. Six feux de forêt se sont également déclarés à Chypre, selon le Cyprus Mail. « On pouvait même sentir l’odeur de brûlé en plein centre-ville », relate Marie.

« Cette situation n’est pas étonnante, dit Hervé Le Treut, climatologue et ancien membre du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat). On ne peut jamais savoir si un événement isolé aurait pu se produire de manière naturelle, sans action humaine. Cependant, lorsque l’on observe l’évolution du climat sur plusieurs décennies, on voit que ces épisodes de réchauffement localisés sont corrélés aux émissions de gaz à effet de serre. Globalement, nous sommes en train de battre des records depuis au moins une quinzaine d’années », rappelle-t-il. « Il y a dix ans, nous avions quelques degrés de moins pour une même dynamique atmosphérique »,confirme Emmanuel Demaël.

En Méditerranée orientale, la situation est d’autant plus difficile à vivre que les températures peuvent déjà, hors période de canicule, être élevées. « Ces épisodes de forte chaleur s’ajoutent à ce qui se produit déjà naturellement. Les régions les moins humides, notamment dans la zone intertropicale, sont naturellement plus vulnérables lorsqu’il y a un épisode de canicule », explique Hervé Le Treut. « Nous sommes tous vulnérables au réchauffement climatique », souligne-t-il néanmoins. « Cette année, les 30 °C ont déjà été dépassés à Paris. En France, nous sommes également dans un contexte beaucoup plus chaud que la normale pour le mois de mai », observe Emmanuel Demaël.

Climatologues et prévisionnistes s’attendent à ce que la situation empire dans les années à venir. « Les vagues de chaleur au cœur de l’été risquent d’être plus fréquentes et fortes, et de s’étendre dans la durée en rognant sur le printemps et l’automne »,explique Emmanuel Demaël. Les recherches les plus récentes sont encore plus pessimistes. Une étude publiée le 4 mai dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences affirme qu’un tiers de l’humanité pourrait vivre dans des endroits aussi chauds que le Sahara d’ici 2070 si rien n’est fait pour enrayer le dérèglement du climat.

« Le système continuera de se réchauffer tant que nous n’aurons pas réduit les émissions à un niveau proche de la neutralité carbone »

Une autre étude, publiée cette fois dans la revue Science Advances, montre que des niveaux de température et d’humidité tels que le corps humain ne peut y survivre ont déjà été atteints, pendant une à deux heures, dans deux stations météorologiques du golfe Persique. Le groupe de chercheurs estime que ces conditions climatiques extrêmes pourraient être régulièrement rencontrées avec un réchauffement climatique de moins de 2,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Leurs résultats sont d’autant plus inquiétants que, d’après les prévisions d’un groupe de scientifiques français, la hausse des températures mondiale devrait, dans le meilleur des cas, atteindre 2 °C en 2040. Sans action rapide et d’envergure pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, la température terrestre pourrait augmenter de 7 °C d’ici 2100.

« Pour le moment, nous ne sommes pas du tout en phase de diminution des gaz à effet de serre, ni de stabilisation, et ce en dépit de la réduction partielle de nos émissions que l’on a pu observer pendant ces derniers mois, s’alarme Hervé Le Treut. Au contraire, nous en émettons toujours plus. Nous sommes donc face à un système qui continue de se réchauffer, et ce sera le cas tant que nous n’aurons pas atteint un niveau de réduction des émissions proche de la neutralité carbone. Pour l’instant, nous n’y sommes pas du tout. »

S’il est vital de réduire « immédiatement » les émissions de gaz à effet de serre, il l’est tout autant de mettre en place des stratégies d’adaptation permettant de faire face à de futures canicules, selon le climatologue. « Nous devons protéger les populations d’un réchauffement qui va durer malgré tout quelques décennies en raison de l’inertie du système. Des changements très profonds sont nécessaires, qui peuvent demander une décennie. » Pour le moment, l’anticipation des risques reste selon lui insuffisante. « On observe lorsqu’il s’agit du climat une passivité que l’on n’observe jamais lorsqu’il s’agit de notre santé ou de l’état de notre voiture », dit le scientifique.


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