Molécule Chloroquine
Crédit illustration : Wikipedia

Fin de partie pour la chloroquine

Le 26 février dernier, un infectiologue bien connu du nom de Didier Raoult sortait sur Youtube une vidéo très modestement titrée « fin de partie pour le covid-19 »1. Le covid n’étant pas un jeu, à la mi-mai la « partie » n’est pas terminée. Avec 27 000 mort.e.s en France et plus de 300 000 dans le monde, force est de constater que la bravade prend des airs de baudruche macabre.

Depuis le début du mois de mars, particulièrement en France mais également aux USA ou en Amérique du Sud, le pseudo débat autour non seulement du traitement proposé par le Dr Raoult (Hydroxychloroquine + azithromycine) mais également autour du Dr Raoult lui-même, agite l’ensemble des milieux scientifiques, de discussion populaire mais également les réseaux militants.

D’après nous, cette focalisation et cette énergie dépensée à débattre non seulement d’un traitement qui était d’emblée peu prometteur et qui, in fine, s’est montré inefficace mais aussi des interventions plus que contestables d’un docteur visiblement peu préoccupé de considérations éthiques ont fait perdre un temps précieux à nos luttes, à notre élaboration politique et à notre positionnement en terme santé, de médecine, etc.

Par ailleurs, cette focalisation est également néfaste du point de vue de la recherche médicale et du traitement des patient.e.s.

En effet, des centaines de patient.e.s, après avoir été persuadé.e.s de l’efficacité du traitement à base de chloroquine, refusaient tout autre traitement, empêchant ainsi les études sur d’autres médicaments potentiels d’avancer. Autre fait déplorable : après que le Dr Raoult a invité les malades du Covid-19 à « se jeter sur la chloroquine »2, des stocks locaux de médicaments ont effectivement été pris d’assaut, empêchant par là-même les malades notamment de polyarthrite ou de lupus dont la chloroquine est partie du traitement régulier, d’avoir accès à leur médicament.3

Enfin, les médecins généralistes ont dû gérer des malades en colère, exigeant le traitement.

Au-delà de la question du traitement, les interventions très médiatisées du Dr Raoult, qui s’appuient sur une méfiance et une colère légitime contre une industrie pharmaceutique peu scrupuleuse, contribuent à véhiculer des idées complotistes sur le fonctionnement de la société et à semer le trouble sur la dangerosité réelle de la maladie, qui sont tous les deux un frein à l’auto-organisation sanitaire et politique de notre classe, essentiels dans une épidémie touchant de plein fouet les plus pauvres.

Après des mois d’inefficacité chiffrée, des dizaines d’études abandonnées, des preuves pharmacocinétiques de l’inefficacité clinique de la chloroquine et de ses dérivés, nous constatons que le sujet occupe toujours une place prépondérante dans nos discussions militantes.

L’objectif de cet article est donc de participer, pour reprendre une formule du Dr Raoult, à une « fin de partie pour la chloroquine et le Dr. Raoult ».

Mon médecin de droite

Le palmarès politique et personnel du Dr Raoult est éloquent à plus d’un titre : climatosceptique4, accusé d’avoir couvert le harcèlement sexuel d’un de ses collègues5, lui-même connu pour sa tendance au harcèlement dans le cadre professionnel, ses coups de colère et ses humiliations6, le Dr Raoult n’est pas, politiquement et éhiquement, proche de nos luttes.

Par ailleurs, le monsieur possède ses entrées dans les milieux LREM et LR des Bouches-du-Rhône, et notons que son chargé de communication7 est suppléant aux élections législatives de la candidate LREM marseillaise.

Lorsqu’on cherche qui l’a mis et continue à le mettre sur le devant de la scène, nous constatons que les premières mentions de la chloroquine comme traitement efficace émanent de réseaux un peu différents, et plus à droite. D’abord vanté par Valérie Boyer, Christian Estrosi et d’autres membres de la droite dure homophobe et raciste, le Dr Raoult a très vite été porté aux nues par le tristement célèbre forum de jeuxvideos.com le « 18-25 »8, l’extrême-droite complotiste, Alain Soral, Alexandre Benalla et bien d’autres9. Depuis, il est devenu l’une des personnalités les plus mentionnées par notamment Dieudonné ou le site dextrême-droite Valeurs actuelles, qui publie même un best-of des déclarations chocs de son champion. Dernier fait notable, il participe à la dernière revue « intellectuelle » conservatrice et patriote en ligne de Michel Onfray, nommée sobrement et sans honte « front populaire »10.

Cependant, que ce docteur soit encensé par la droite et l’extrême-droite, qu’il couvre ses collègues accusés de harcèlement sexuel et qu’il soit lui-même connu pour harceler et humilier ses collaborateurs-trices, ça ne dit pas que son traitement n’est pas efficace.

Mon médecin pas très honnête

Nous pensons cependant intéressant de nous attarder sur plusieurs faits qui d’après nous démontrent une certaine largesse du Dr Raoult en ce qui concerne l’éthique médicale et de recherche11 :

Suspicion de fraude : Il est à signaler que Raoult et son équipe ont été interdits de publication de 2006 à 2007 par l’American Society for Microbiology, pour suspicion de fraude (il aurait photoshoppé des photographies provenant d’un microscope ! ).

Ses laboratoires ont été privés en 2018 des tutelles CNRS et INSERM car leur travail n’apporte « pas de bénéfice scientifique ».

Raoult est donc le chercheur le plus cité en microbiologie tout simplement car il publie énormément (plus de 2600 publications à son actif, dont moins de 4% dans des revues à haut impact international) il signe donc d’avantage de papiers qu’il ne peut en écrire, mais même qu’il ne pourrait en lire !

Raoult ne « croit » pas aux travaux de modélisations épidémiologiques, il l’écrit luimême dans le Point12

Raoult est climatosceptique.

Nous pensons que cet ensemble de faits légitime un questionnement sur l’intégrité scientifique du Dr Raoult, ainsi que son honnêteté dans sa présentation de résultats.

Mon médecin en trottinette

Il faut quand même l’avouer, les déclarations chocs de Didier Raoult sur la nondangerosité de l’épidémie sont un vecteur de plus d’une méfiance légitime à son encontre. Son analyse de la dangerosité du virus, de ses modes de propagation, est, de bout en bout, fausse.

En février, il tonitruait que le Covid-19 faisait moins de morts que « les accidents de trottinette »13. En mars, c’était toujours « moins dangereux qu’une grippe »14. En avril, il se concentre sur la promotion de son inefficace traitement.

Fin avril, la baisse du nombre de mort.e.s par jour lui permettant de reprendre ses provocations sans paraître trop irrespectueux, c’est reparti dans la « croyance » avec de nouvelles déclarations. En effet, Didier Raoult ne croit15 pas à une deuxième vague.

L’omniprésence du concept de croyance dans le langage d’un médecinchercheur, nous semble fortement problématique et participe à un questionnement légitime sur sa méthodologie. En effet, son rôle devrait être d’expliquer, faits à l’appui, pourquoi et dans quelle mesure il est probable qu’une deuxième vague épidémique survienne ou non. Le consensus épidémiologique se situe aujourd’hui du côté d’une continuité de la propagation de l’épidémie – le débat se situant en fait sur la forme et l’ampleur de la deuxième vague, et non son existence16.

De plus, diffuser des idées fausses sur la dangerosité de l’épidémie, dans un contexte où l’État ne mène pas de campagne sérieuse et crédible d’information massive sur le virus, contribue à mettre en danger les individus et leur entourage, en faisant croire qu’il n’y a pas lieu de changer ses habitudes. Sans compter qu’à une échelle large, une épidémie se contient si tout le monde prend ses précautions.

Mon médecin victime de complot ?

À en lire certain.e.s, Didier Raoult serait victime d’un « complot de big pharma » et des médecins parisiens.

Nous ne reviendrons pas ici sur l’origine antisémite des allégations contre Agnès Buzyn et son mari Yves Lévy17, et sa diffusion par les réseaux d’extrême-droite soraliens (Lévy faisant partie de ce qu’il appelle sa « liste de Schindler »18).

Le bon docteur Raoult (« un bon gaulois sédentaire » d’après Soral) serait donc victime d’un complot de Big Pharma contre lui.

Ainsi ce démarcheur sans équivalent de l’hydroxychloroquine, responsable du lancement de plusieurs dizaines d’études, serait victime d’un complot de big pharma ? À moins de penser que la chloroquine est produite dans des SCOP autogérées anti-capitalistes, il semblerait plutôt que le Dr Raoult fasse la promotion d’un médicament qui, comme tous les autres, est produit dans un laboratoire bien capitaliste avec des objectifs de profitabilité. En l’occurrence Sanofi, que l’on ne pourra, même avec une mauvaise foi exacerbée, extraire de ce qu’on appelle communément big pharma.

Par ailleurs, les liens de Raoult avec les laboratoires pharmaceutiques et son indépendance visàvis de ceux-ci sont, au bas mot, questionnables19.

Désolé donc, mais Raoult n’est pas victime de quelque complot que ce soit. La chloroquine n’a fait l’objet d’aucune censure, elle a bien au contraire, été sur-prescrite et sur-étudiée comme nous allons le voir dans une seconde partie.

La chloroquine : un médicament inefficace sur-prescrit, sur-étudié, sur-discuté

Sur l’efficacité de la chloroquine et sur les résultats : Raoult ment, il n’y a pas d’autre mot possible.

Étude après étude il a volontairement appliqué un protocole qui empêche l’établissement d’un consensus scientifique (ce qu’on appelle l’équipoise clinique20) sur la question.
Ses études sont scientifiquement et méthodologiquement invalides
21 22 : pas de groupe témoin, faible nombre de participant.e.s, des patient.e.s sortis de l’étude soit car décédé.e.s ou en réanimation23, âge des participant.e.s majoritairement jeune, ce qui augmente les chances de rémission et diminue les risques de complications, échantillons composés majoritairement de malades avec des symptômes légers voire bénins, les choix de patient.e.s du professeur Raoult vont déjà grandement influencer les résultats de ses études. Malgré ces aménagements inacceptables, l’efficacité démontrée de la chloroquine seule ou avec azithromycine est : nulle. Raoult annonce un taux indétectable de symptômes au bout de 5 jours de traitement d’environ 85%, ce qui est équivalent au taux de rémission moyen sans traitement24 !

Les autres études menées démontrent deux choses : dans le meilleur des cas il n’y a aucune amélioration25, dans le pire des cas des études doivent être arrêtées après l’observation d’une surmortalité26 27 28.

Au 14 mai, l’ANSM, via l’Agence Espagnole des médicaments, ajoute une mention de vigilance sur de possibles risques neuro-psychiatriques29 dont « psychose, nervosité, insomnies, dépression, etc. » provoqués par le traitement hydroxychloroquine+azithromicyne pouvant être aggravés par le confinement.

L’argument principal des supporters de Raoult était que la chloroquine est un médicament prescrit depuis des décennies pour plusieurs maladies, pour prévenir du paludisme, c’est un médicament qu’on connaît très bien, il n’y a pas de danger à le prescrire largement.

Cet argument est :

  1. Fallacieux. Ce n’est pas parce qu’un médicament est reconnu pour son usage dans un cadre spécifique qu’il l’est pour d’autres, ça n’a aucun sens. On « connaît » très bien énormément de médicaments, ce n’est pas une raison pour les prescrire à une échelle de masse (nous parlons ici de traiter plusieurs centaines de milliers voire plusieurs millions de personnes) sans avoir étudié minutieusement l’impact, les effets secondaires, les complications possibles.

Cet argument n’a aucun sens logique : donnerait-on des anti-dépresseurs pour soigner la dhiarrée sous prétexte que le médicament est bien connu ? Ça n’a juste aucun rapport.

  1. Cet argument est également faux : la chloroquine est un médicament qui possède de nombreux effets secondaires, connus et potentiellement dangereux : risques neuro-psychiatriques de comportements psychotiques, en plus d’être un cardio-toxique qui peut entraîner variations du rythme cardiaque, malaises, palpitations voire provoquer le décès30.

Sur des personnes âgées, la chloroquine aurait d’ailleurs tendance à provoquer une surmortalité. Sur une étude sur 368 vétérans étasuniens, une étude de l’université de Virginie compte 28% de décès pour le groupe avec chloroquine, contre 11% sans31.

Raoult et ses supporters ont donc surfé sur un semi-mensonge : en prétendant qu’il n’y avait pas de consensus sur l’efficacité de la chloroquine, il évitait d’avouer que TOUTES les études menées dans des conditions cliniquement acceptables ont démontré ces deux faits : inefficacité et surmortalité possible.

Cependant certains s’appuient sur l’efficacité constatée in vitro de l’hydroxychloroquine pour justifier l’hypothèse qu’elle pourrait être efficace contre la maladie in vivo.

Cependant, tout d’abord, l’effet d’un médicament dépend du système biologique dans lequel il est utilisé. C’est pourquoi des tests in vitro prometteurs ne sont pas toujours confirmés in vivo, loin de là. C’est par exemple le cas de l’hydroxychloroquine, efficace sur le chikungunya in vitro, mais qui aggrave les symptômes in vivo.

En outre, les études de pharmacocinétique fragilisent un peu plus les arguments des partisans du docteur Raoult.

Dans un article publié dans Sciences et Avenir32 , Olivier Hertel atteste que : pour atteindre la dose théoriquement efficace in vitro dans un corps humain il faudrait avaler 67 comprimés de Plaquenil. Soit 13400 mg de chloroquine, ou 7 fois la dose mortelle (2000 mg).

Finalement la solution du bon Dr Raoult pour lutter contre le Covid-19 est un peu celle des médecins étasuniens du temps de la grippe espagnole, qui faisaient avaler jusqu’à 13 grammes d’aspirine par jour à leurs patient.e.s33 qui du coup ne mourraient pas de la grippe espagnole… Mais d’une surcharge d’aspirine.

À moins de penser que toutes ces études mentent (pourquoi le feraient-elles ?) et que Raoult soit victime d’un complot de big pharma qui incluent l’intégralité des équipes scientifiques ayant évalué le traitement (argument non seulement absurde mais en plus impertinent, comme nous l’avons montré plus haut), il nous faut, à notre avis, mettre un point final aux tergiversations, errements et inexactitudes qui polluent nos cadres de réflexion et d’élaboration collectives, mais aussi qui freinent l’univers de la recherche médicale dans la découverte d’un traitement véritablement efficace.

Il est urgent d’armer notre camp social contre les mensonges, exagérations et faux espoirs amenés par des leaders charismatiques au comportement de gourou, aux mensonges récurrents et aux positionnements politiques et éthiques inacceptables. Nous espérons que ce papier saura contribuer à amorcer une fin de partie pour la chloroquine et son promoteur peu fréquentable.


8 forum repaire de l’extrême-droite islamophobe, antiféministe, raciste et homophobe qui fait régulièrement parler de lui pour des raids, menaces de mort ou de viol sur des féministes etc

9 Voir à ce sujet l’excellent travail de recherche d’Usul sur Raoult et ses inspirations https://www.youtube.com/watch?v=n8UZ8QvAjbs

13 https://www.mediterranee-infection.com/coronavirus-moins-de-morts-que-par-accident-de-trottinette/

16

Voir par exemple cet article du New York Times qui revient sur une étude de l’Université du Minnesota, proposant trois modèles possibles https://www.nytimes.com/2020/05/08/health/coronavirus-pandemic-curve-scenarios.html?

22 voir, entre de nombreuses autres démonstrations, cet article sérieux bien que la source soit largement discutable sur d’autres aspects : https://www.les-crises.fr/les-enormes-failles-ethiques-et-methodologiques-dans-l-essai-raoult-analyse-par-olivier-berruyer/

24 https://www.linternaute.com/actualite/guide-vie-quotidienne/2489467-chloroquine-et-coronavirus-deux-nouvelles-etudes-quelles-conclusions/

27 https://www.srlf.org/referentiels/neurologie-sedation-toxicologie/traitement-de-lintoxication-aigue-a-la-chloroquine/

30 https://sante.lefigaro.fr/article/chloroquine-les-dangers-de-l-automedication/

33 https://alt-rev-com.fr/2020/03/23/retour-sur-la-grippe-espagnole/

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