Imaginons que les alternatives prennent le pouvoir

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SOURCE : Reporterre

 

La pandémie du Covid-19 a multiplié les initiatives pour le « monde d’après ». Parmi elles, « Et si… ? », du mouvement Alternatiba, à laquelle ont contribué notamment Alain Damasio, Fatima Ouassak, Cédric Herrou… Une exploration jubilatoire et vivifiante de l’avenir.

Dans le foisonnement d’initiatives pour « le monde d’après », il en est une particulièrement originale et revigorante : le recueil illustré « Et si… ? », porté par le mouvement Alternatiba. Plutôt que de plancher sur un énième plan de relance écolo, l’organisation a fait un pas de côté, et opté pour un exercice de projection utopique. Avec un leitmotiv, exposé en intro du recueil : « Il faut imaginer ce monde pour être en mesure de le faire advenir. »

Et si la révélation soudaine de la grande vulnérabilité de nos sociétés avait été l’impulsion décisive pour remettre les pieds sur terre ? Et si la découverte imprévue que ce système pouvait être stoppé sans mettre en danger notre vie mais en la protégeant, nous avait conduits à envisager l’avenir sous un autre angle Txetx Etcheverry, cofondateur de Bizi et d’Alternatiba.

« Se déplacer ».

Pour nourrir nos imaginaires, Alternatiba a ainsi proposé à des penseurs, penseuses et artistes de dessiner ce que pourrait être ce « monde d’après » si on choisissait la voie de la « métamorphose écologique et sociale ». Soixante personnalités, parmi lesquelles l’écrivain Alain Damasio, l’économiste Geneviève Azam, les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, le climatologue Christophe Cassou, la romancière Marie Desplechin et de nombreux acteurs de terrain (Emmaüs, Collectif Inter-urgences, travailleurs sociaux) ont participé à l’ouvrage — écrit, illustré et édité en quelques semaines à peine. Chacun et chacune s’est emparé d’un verbe — échanger, travailler, contempler, prendre soin, habiter —, puis l’a déroulé, à sa manière, pour donner à voir, en mots et en images, ce que pourrait être sa conjugaison au futur.

« Échanger ».

Il y en a donc pour tous les goûts dans ce buffet littéraire, et les lectrices et lecteurs gourmands se laisseront guider par les couleurs tantôt vives tantôt pastel des illustrations. On y trouve des textes militants consistants, comme celui de José Bové sur « nourrir », et des morceaux de fiction savoureux à l’instar du « connecter » d’Alain Damasio, qui imagine un « wood web » autogéré :

C’est un immense patchwork crypté de meshs locaux appuyés sur des zadacenters relocalisés, un câblage et des routeurs propres et une alimentation en énergie mixte husol (humaine/solaire). Tout y est en open source, matériels et logiciels libres, fabricables en atelier. On recycle et répare à 90 %, on est en basse tech : le petit Illich en tchatte de joie dans sa tombe. Alain Damasio

Du bien au cœur en cette période anxiogène

Le recueil regorge aussi de recettes surprises, de proses inattendues, comme surgies d’un rêve collectif. Depuis sa communauté Emmaüs agricole, Cédric Herrou se laisse aller à penser un monde où nous danserions ensemble : « Prendre pleine conscience que chaque particule de notre monde est un maillon ceinturant la valse de la vie, l’humain en fait partie. » Fatima Oussak, porte-parole du syndicat Front des mères, propose aux femmes de « devenir des dragons »« par amour pour nos enfants, pour les protéger du roi Kapitalist ». Figure des Gilets jaunes, Priscillia Ludosky raconte l’émotion de Maria, lors de sa première manif :

Le cortège bat son plein. Maria se sent forte, soutenue. Elle pense à ses enfants. Quel avenir pour eux ? Elle discute, scande des slogans et se rend compte que chaque samedi, des milliers de gens comme elle manifestent pour un avenir meilleur. Pour que cessent les inégalités sociales. Pour que les services publics soient renforcés. Pour une transformation profonde du système politique. Pour notre droit de vivre dans un environnement sain. “Est-ce trop demander ? Et si nous étions des millions dans les rues, peut-être nous écouteraient-ils ?” Priscillia Ludosky

« Voyager ».

En digestif, les adeptes de réflexion philosophique pourront s’ouvrir la tête avec le « déviolenter le monde », de l’activiste Jon Palais, tandis que celles et ceux déjà rassasiés opteront pour la plume légère d’Alice, musicienne des Ogres de Barback, qui livre sa vision toute personnelle d’une future ministre de la Culture (« car, oui, une femme ce serait bien, dans ce milieu qui brille par leur sous-représentation ».)

Elle devra avoir :
• fait la vaisselle en arrière-cuisine d’un festival de village ;
• fait la « bénévole au parking » d’un événement organisé par les jeunes du quartier ;
• joué de la basse lors du concert de la scène ouverte de l’école de musique ;
• collé des affiches sur les murs de la ville, en se demandant si les gens vont venir assez nombreux pour rentrer dans ses frais et recommencer l’année suivante. 
Elle devra aussi connaître par cœur trois chansons de groupes qui ne passent jamais à la radio. 
Alice

Ne boudons pas notre plaisir : ce frichti bouillonnant d’imaginaires fait du bien au cœur en cette période anxiogène. Et si nul ne nous dit quoi faire ni comment y parvenir — les « pistes d’action » proposées en bas de chaque texte par Alternatiba semblent souvent dérisoires face à l’ampleur de la tâche à accomplir —, l’objectif n’est pas là. Les programmes, les propositions, d’autres s’en chargeront. Ce que nous propose ce recueil est d’un autre ordre : réveiller nos corps confinés, susciter de la joie, donner envie d’autre chose… et dessiner dans nos têtes les contours encore flous d’un monde désirable. Avoir une idée commune du cap, n’est-ce pas la première étape pour se mettre en mouvement ?


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