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SOURCE : Mr Mondialisation
Une désillusion importante, c’est ce qui attend forcément ceux qui regardent Planet of The Humans, le documentaire de Jeff Gibs produit par Michael Moore. Les énergies renouvelables y sont en effet présentées comme une vaste supercherie. Mais si le film attire l’attention sur la face cachée, bien réelle, d’une industrie souvent présentée comme la solution suprême à la crise écologique, il pêche également par des propos bien peu nuancés et un message ambigu qui rallie autant les déçus de l’écologie mainstream que la droite anti-écologiste et ses réactionnaires. Le sujet de la décroissance est ainsi éludé au profit d’une approche malthusienne classique, alors même que la baisse drastique de la consommation constitue la seule solution concrète et réaliste pour réduire l’impact de la production d’énergie sur l’environnement. Apportons donc un peu de nuance à Planet of The Humans.
Diffusé gratuitement sur YouTube à l’occasion stratégique de la journée mondiale de la Terre, le documentaire Planet of the Humans, réalisé par Jeff Gibs et Michael Moore, a rapidement suscité une vive polémique. Le film dresse un portrait consternant des dérives de l’industrie des énergies renouvelables aux États-Unis. Le réalisateur parcourt son pays à la découverte de centrales énergétiques diverses, éoliennes, solaires ou encore biomasse, et s’attache à démontrer les zones d’ombre de ces technologies. Cette démonstration est d’abord bienvenue, car dans bien des cas, le renouvelable est loin d’être une énergie totalement propre. En effet, toute production humaine génère une pollution, de l’extraction des matières jusqu’au recyclage ou la maintenance, et les industriels ont trop longtemps caché cette énergie grise nécessaire à la production des renouvelables. Mais le manque de nuance du documentaire, totalement à charge, le réduit à un plaidoyer radicalement anti-énergie renouvelable sans s’attaquer aux origines structurelles et politique de la situation. Une confusion de genres qui ouvre la voie à la récupération par les promoteurs des énergies fossiles – qui se délectent de ce genre de critiques généralistes.
Les énergies renouvelables, fondations du mythe de la croissance verte
Planet of the Humans insiste sur le fait que les technologies du renouvelable n’apportent pas de solution, mais créent à l’inverse de nouveaux problèmes, liés notamment à l’exploitation des terres rares, à la dépendance aux énergies fossiles ou à l’absence de filières de recyclage pour de nombreux matériaux. Ces questions importantes méritent d’être mises en évidence, à l’heure où les tenants de la croissance verte s’appuient souvent sur les énergies renouvelables pour fonder ce mythe.
Le film expose ainsi que la transition énergétique n’est pas opérationnelle à l’heure actuelle, mais il ne souligne peut-être pas suffisamment l’absence de volonté politique pour la concrétiser réellement, laissant cette transition au bon vouloir des acteurs privés. La gestion de ces technologies par les élus à travers le monde et le marché à qui ils sont inféodés sont en effet la cause de nombreux des problèmes dénoncés par Jeff Gibbs, pas la technologie elle-même. Les parcs éoliens abandonnés visibles dans le film sont par exemple imputables à des politiques plus intéressées par les effets d’annonce que par la préservation de l’environnement, et pas véritablement à la technologie de l’éolien en tant que telle. Le manque de vision holistique (de la production à la fin de vie), les logiques politiques de court-terme, la soif de profits, l’absence de régulation, la négation des limites de la croissance, sont des pistes pour expliquer une telle situation. Malheureusement ces questionnements sont invisibilisés dans le reportage, au profit d’une culpabilisation d’ONG dont les moyens d’actions politiques sont pourtant inexistants.
Une industrie gérée par des marchés en roues libres
Il s’agit certainement là d’un défaut important du film, malgré ses qualités et sa nécessité. La distinction entre la technologie et sa gestion n’est pas opérée, et le spectateur ressort du visionnage avec une conclusion trop peu nuancée : « les énergies renouvelables ne fonctionnent pas » sans songer un instant que chaque technologie est singulière. L’idée même de réduire une multitude de techniques sous le terme de « renouvelables » est déjà une confusion. Car c’est aussi et surtout leur utilisation dans le cadre de la logique du marché qui est problématique. Des constructeurs, enfermés dans leur logique court-termiste de recherche du profit, ont parfois tendance à proposer des panneaux solaires ou des éoliennes à durée de vie limitée ou de piètre qualité, sans envisager en aval des filières de recyclage pérenne. Les États n’anticipent également pas la nécessité de porter la transition collectivement, laissant des projets privés, parfois proches de l’arnaque ou en plein greenwashing, se multiplier. Comment peut-il en être autrement alors que la question du changement climatique n’est même pas vraiment prise au sérieux et que les logiques libérales dominent ? Tout ceci ne peut que ternir l’image des renouvelables et donne du grain à moudre pour des reportages à charge de ce genre.
En l’absence de ces dispositifs collectifs, de normes et de courage politique, les matériaux et l’énergie consommés au cours du cycle de vie des infrastructures du renouvelable posent un problème majeur, comme le montre clairement le documentaire. La construction de panneaux solaires exige des métaux spécifiques, des ressources critiques dont l’extraction est peut-être aussi problématique que celle des sources d’énergie fossile. Ces limites existent aussi pour les éoliennes, qui demandent des quantités impressionnantes de métaux et de béton, sans parler des matériaux qui entrent dans la composition des pales. Des pistes voient pourtant le jour pour apporter des solutions concrètes, locales et adaptées à ces questions, qui devraient être davantage encouragées par les pouvoirs publics. Non pas que la fuite en avant technologique soit la solution. Mais là où les énergies fossiles ont déjà été exploitées sous toutes leurs formes et nous emmènent inévitablement vers le gouffre, les renouvelables sont seulement à l’aube de leur développement et il ne tient qu’à nous d’en séparer le bon grain de l’ivraie. On peut regretter que Jeff Gibbs n’ait pas décidé d’en parler, au profit d’une vision unique strictement négative.
Des progrès notables, dont le film ne parle pas
Car c’est le principal biais de Planet of the Humans. Seuls les exemples qui confirment sa thèse ont été sélectionnés, comme c’est souvent le cas dans les productions de Michael Moore. La conclusion est placée avant la démonstration, les éléments étant ensuite placés pour valider le présupposé. Cette démarche absolue n’est pas foncièrement différente de ceux qui idolâtrent des renouvelables de manière aveugle sans jamais parler de leurs limites. Le documentaire insiste par exemple beaucoup sur l’intermittence. Le vent ne soufflant pas et le soleil ne brillant pas en permanence, le recours à d’autres énergies, souvent fossiles, s’impose. Mais ce souci technique peut être résolu par les technologies de stockage qui connaissent des progrès notables, et que Jeff Gibs omet de mentionner. Pareil pour la biomasse. Si le film dénonce avec raison les centrales à bois, un désastre écologique très répandu aux USA, il traite la biomasse issue des algues avec aussi peu de considération. Dénonçant les situations de déforestation sous-marine, il ne parle pas de la culture d’algues qui fait partie des solutions pour produire une énergie plus propre.
En occultant ainsi les progrès notables des technologies du renouvelable et la baisse de leur coût ces dernières années, Jeff Gibs fait preuve d’un manque de nuance un peu trop flagrant qui se révèle dangereux, car le sujet est particulièrement complexe. Les critiques absolues de ce type ne font que fournir des munitions aux climatosceptiques, aux compagnies pétrolières et à leurs lobbies, qui ont consacré les dernières décennies à propager ce genre d’idées et à s’opposer à ceux qui luttent pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Une polémique qui enfle
Certaines des données présentées dans le film se révèlent par ailleurs inexactes et trompent le spectateur. Le chercheur américain Ozzie Zehner, qui coproduit le documentaire, affirme par exemple que la construction d’une centrale d’énergie solaire demanderait plus d’énergie fossile que ce qu’elle permet d’éviter par sa production d’énergie alternative. Une affirmation qui a été démentie par de nombreux experts dans les colonnes du Guardiandonnées scientifiques à l’appui. Les réactions de ce type se sont multipliées, comme cette lettre écrite par Josh Fox et signée par divers scientifiques et activistes, qui exige l’enlèvement d’un documentaire « scandaleusement trompeur et absurde ».
Les controverses qui ont accompagné la sortie du film s’expliquent aussi par une toute autre raison. Le documentaire dénonce en effet la compromission des grandes organisations environnementales qui promeuvent l’énergie solaire et éolienne. Ces associations ont contribué à mettre ces technologies à l’agenda politique aux USA, en se basant sur une communication tendancieuse, qui insinue que le renouvelable permettrait aux Américains de persister dans leur mode de vie, avec la conscience plus tranquille car leur énergie serait propre. Des liens financiers existeraient par ailleurs entre ces organisations, des investisseurs richissimes et des politiciens. Un véritable réseau de greenwashing que Jeff Gibbs met en lumière avec brio. Pour cause, dans les mains du capitalisme, les renouvelables deviennent un produit comme un autre avec son lot de manipulations et de marketing douteux. Une fois encore, il y a confusion entre la technique et la politique, les structures et le modèle économique qui encadrent les renouvelables.
La décroissance comme unique solution ?
Mais l’origine centrale de la polémique suscitée par le film réside certainement dans l’affirmation d’une vérité dérangeante : la transition énergétique n’est pas opérationnelle. Du moins pas dans le monde d’aujourd’hui, avec la manière dont nous consommons de l’énergie, plus adaptée aux caractéristiques du fossile et de la fuite en avant productiviste. Une réelle transition implique des changements majeurs dans de nombreux domaines, de notre modèle alimentaire au secteur des transports, en passant par le logement et le numérique. Mais plus important encore, il est indispensable de commencer par décroître, par diminuer de manière drastique notre consommation dans tous ces domaines.
Jeff Gibbs l’évoque rapidement en fin de documentaire en affirmant que « Moins doit être le nouveau plus ». Mais tout au long du film, il semble vouloir nous dire que le renouvelable n’est rien d’autre qu’une perte du temps. Il est vrai que ces sources d’énergie ne sont pas capables de subvenir à la consommation actuelle, mais le maintien de ce niveau de production n’est de toute façon pas souhaitable, ni envisageable à l’heure où les ressources naturelles de la planète s’épuisent. Si nous voulons tout de même maintenir un certain niveau de production d’énergie nécessaire pour diverses activités de base, c’est vers le renouvelable qu’il faudra obligatoirement se tourner dans des mesures locales et raisonnables. En d’autres termes, les renouvelables ne trouveront leur place que dans une demande en équilibre avec les limites du système terre. Les difficultés liées à ces technologies ne se poseront alors pas de la même manière, dans un monde où la consommation aura largement diminué, et où le recyclage total sera la norme.
Le vrai débat est là, et les énergies renouvelables ont involontairement participé à l’occulter. La croyance aveugle dans le progrès technique, partagée par de nombreux tenants de la croissance verte, a permis de maintenir l’illusion d’un consumérisme pérenne. Planet of the Human a le mérite de démonter ce mythe, mais la question de la décroissance n’est qu’effleurée par Jeff Gibbs, alors qu’il s’agit du cœur de la question et la seule option vraisemblable pour réduire l’impact de la production d’énergie sur l’environnement et ainsi éviter à terme la mort de millions d’innocents animaux et humains.