« Plus jamais ça » : à propos du « plan de sortie de crise » des syndicats et associations

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SOURCE : Révolution permanente

C’est une coalition inédite de près d’une vingtaine de syndicats et associations qui propose un « plan de sortie de crise ». De la CGT à Greenpeace en passant par Attac, et la Confédération paysanne, l’alliance avance trente-quatre mesures programmatiques. « Volontairement précises et le plus souvent chiffrées », cet ensemble de revendication vise à faire la démonstration qu’il existe « des alternatives au capitalisme néolibéral, productiviste et autoritaire ». Un plan soumis à la discussion qui a pour ambition d’irriguer le débat politique sur le « monde d’après ».

Le « plan » propose dans un document de 24 pages un ensemble de revendications structurées en quatre thèmes. Les deux premiers abordent des mesures d’urgence pour répondre à la crise sanitaire, à ses conséquences économiques et sociales. Au programme : gratuité des masques, accès aux tests pour toutes et tous, plan d’urgence pour l’hôpital public, levée de l’État d’urgence sanitaire, hausse des salaires, réduction et partage du temps de travail, revalorisation immédiate des salaires et carrières de femmes, régularisation des sans-papiers et la fermeture des CRA, accès au logement de qualité pour tous, etc…

Un certain nombre de mesures cohérentes et justifiées qui, pour partie, sont déjà portées par le mouvement social, hospitaliers et travailleurs en « première ligne ». Par la suite, nous préférons nous concentrer sur les mesures qui nous paraissent fonder la colonne vertébrale du plan au regard de la période de crise historique à venir.

Des mesures limitées sur le volet économique

Parmi les 34 mesures du « plan », celles décrites dans le second volet visent à répondre « à la crise sociale, ici et ailleurs ». Elles prennent la forme de revendications sur le terrain économique comme la réduction et le partage du temps de travail, l’augmentation uniforme des salaires, le maintien des droits pour les intermittents et les chômeurs, l’accès et le droit au logement de qualité pour tous, etc.

Nous nous concentrerons cependant plus particulièrement sur la mesure sur les licenciements qui d’un côté est révélatrice de la logique d’ensemble du texte, et de l’autre, revêt une importance centrale dans la période de crise économique historique qui vient.

De ce dernier point de vue, la revendication proposée sur « l’interdiction des licenciements dans les seules entreprises qui font du profit » via « la création d’un droit de veto des CSE » est plus que limitée. En effet, si en temps de conjoncture économique « normal », une revendication de ce type pourrait être entendable, même si critiquable tant elle pourrait être contournée, celle-ci n’a que peu de sens à l’aube d’une récession historique depuis les années 1930. Un contexte où dans certains secteurs en difficultés, la majorité des entreprises, loin de faire des profits, engrangeront des pertes comme ce sera notamment le cas dans l’aéronautique et l’automobile.

Pire, posée comme telle, cette mesure pourrait même à terme « normaliser » les licenciements dans ces entreprises. En effet, une telle loi continuerait à donner le feu vert aux milliers de suppressions de postes dans bons nombres d’entreprises en difficulté comme c’est le cas actuellement pour Renault ou Air France. De plus, elle exclurait de fait, les licenciements maquillés par des plan de départs volontaires, non-remplacement des départs, fin des contrats précaires, CDD, intérimaires en plus de ne pas être applicable dans toutes les entreprises qui ne disposent pas toutes de CSE. En d’autres termes, une telle loi reviendrait à mettre un sparadrap sur une jambe de bois.

Face à la crise sociale et économique historique qui vient, toute loi de « régulation » des licenciements sera in fine contournée par les grands capitalistes. Seule une loi d’interdiction de TOUS les licenciements pourrait être un point d’appui pour les luttes. Qui plus est, une telle loi ne pourrait être arrachée que par une lutte acharnée du monde du travail. Elle ne serait concédée par les classes dominantes que dans un contexte où celles-ci seraient obligées de lâcher du lest pour ne pas risquer de tout perdre. Et même en cas de concession, il s’agirait là encore d’imposer par la lutte, entreprise par entreprise, que cette loi soit appliquée. En somme, l’interdiction des licenciements ne peut se concevoir qu’en lien direct avec les mobilisations, comme un objectif de lutte à obtenir face aux plans de licenciements massifs des capitalistes.

« Réguler » les banques ou les exproprier ?

Le troisième volet de mesures cherche à répondre à la problématique du financement. Pour s’en assurer, le plan avance un ensemble de revendications visant à « dégager de nouvelles ressources financières pour la puissance publique ». Les principaux leviers envisagés ? Réorientation de la politique monétaire de la BCE pour en finir avec le dogme du « remboursement de la dette à tout prix », régulation des activités bancaires et lutte contre l’injustice fiscale. Premièrement, il s’agirait d’influer sur la politique de la BCE pour qu’elle donne au rachat de dette public un « statut de dette perpétuelle avec un taux d’intérêt nul » et pour qu’elle autorise le « financement direct des plans d’urgence et de reconversion des États et collectivités locales par la création monétaire ». Cette première mesure induirait selon le plan à « l’annulation des dettes publiques ». Une mesure qui, même si elle n’est pas chiffrée, semble ainsi constituer la pierre angulaire de ce plan de financement de la « sortie de crise ».

Pourtant derrière les attraits « radicaux » de la mesure, et au-delà de son efficience réelle, son sérieux même interroge. Premièrement, car la « radicalité » de la mesure contraste avec celles visant les grandes banques qu’il s’agirait juste de « réguler » en séparant leurs activités de dépôts et d’affaires. Or comment imaginer se défaire de l’étau des marchés financiers en ne s’affrontant pas frontalement, sur le terrain national, au pouvoir des grandes banques ? S’affronter de manière sérieuse au grand capital financier imposerait à minima la question de la socialisation des banques dont le rôle est prépondérant sur les marchés.

Et ce n’est pas non plus la proposition de constitution d’un « pôle public financier au service de l’intérêt général et sous contrôle démocratique » qui se donne pour objectif de transformer le pôle construit par le gouvernement actuel autour de la Caisse des Dépôts, La Poste et la CNP qui fera un quelconque contrepoids aux grandes banques qui continueront à avoir pignon sur rue. C’est ce que remarque l’article du NPA à propos du « Plan de sortie de crise » qui pointe une « coexistence » qui ne pourra mener qu’à « des formes de socialisation des pertes (l’État finance les investissements de long terme, à la rentabilité incertaine) et de privatisation des profits (les investissements juteux et de court terme pour la finance privée), comme cela se passe, par exemple, dans le secteur de la santé. »

Préférer des mesures « techniques » en lieu et place, c’est au mieux faire un vœu pieux au pire détourner du véritable adversaire à savoir les grands capitalistes. Mais c’est aussi générer des illusions sur le rôle des institutions européennes, notamment la BCE. Et pourtant, loin d’être neutre, la Banque Centrale Européenne n’a eu cesse de s’illustrer comme un instrument des plus anti-démocratique au service des grands capitalistes du centre Européen. Pour exemple, il faut rappeler que la BCE faisait partie intégrante de la Troïka qui a saignée le peuple grec au service des créanciers. En retour, des prêts finalement consentis à la Grèce entre 2012 et 2016, la BCE a récolté quelques 7,8 milliards d’euros en versements d’intérêts. Une illustration, s’il en fallait, que la solution ne viendra pas des institutions de l’Europe du capital.

Dans la période à venir, compte tenu de la centralité que va acquérir la question du fardeau de la dette et compte tenu de la rente parasitaire engrangée par le système financier, seule la revendication de l’expropriation des grandes banques privées, des fonds d’investissements, des grands groupes d’assurance capitalistes et l’étatisation du système de crédit peut sérieusement remettre en question l’énorme et monstrueux développement du capital financier.

Un programme de gouvernement ?

Loin de nourrir un programme de lutte, la logique d’ensemble de ce « plan de sortie de crise » semble s’adresser en premier lieu à « un gouvernement ». Un plan qui se refuse à s’affronter frontalement aux grands patrons qui comptent bien, indépendamment de leur santé économique, faire payer la crise aux travailleurs ; ni même aux grandes banques françaises qui trouveraient bien les moyens de contourner toute « régulation » ; ou encore au gouvernement actuel qu’il épargne largement.

C’est donc essentiellement sur le terrain institutionnel que se place ce « plan de sortie de crise ». C’est ce qu’illustre le fait que l’ensemble des mesures d’urgence sanitaires et sociales soient conditionnées à de « nouvelles ressources financières ». Des ressources qui, là encore, se doivent d’être présentées et votées « au mois de juin » lors du vote à l’Assemblée Nationale de la « nouvelle loi de finance rectificative ».

Une façon pour les signataires du plan de signifier que le « monde d’après » restera strictement borné au cadre institutionnel donné par la cinquième République qui, il faut le noter, n’est à aucun moment critiquée y compris dans ses aspects les plus anti-démocratiques comme le 49.3, pourtant utilisé à nouveau il y a quelques mois dans le cadre de la réforme des retraites.

Un manque qui reflète plus généralement l’absence de tout programme démocratique radicale qui devrait non seulement “demander la levée de l’état d’urgence sanitaire comme l’affirme le plan mais poser plus en général la fin de toutes les lois liberticides. Plus en général, le plan s’illustre par son refus de poser la question du racisme d’Etat qui n’est à aucun moment pointé alors même qu’il structure la société comme on a pu le voir durant le confinement, et qui s’exprime à son plus fort actuellement avec l’émergence de mobilisations contre le racisme d’Etat et les violences policières.

Un plan pour peser dans le « débouché politique » à gauche ?

Face à la crise économique et sociale historique qui vient, loin d’un plan se bornant au cadre strictement institutionnel, nous avons besoin d’un plan d’action s’ancrant profondément dans les luttes actuelles et à venir. Un plan visant à construire le front le plus large possible de façon à ce que, dans l’action, le monde du travail et la jeunesse puissent construire une large mobilisation d’ensemble pour faire en sorte que ce ne soit pas au monde du travail de payer la crise. C’est en ce sens qu’un article a été publié sur le site du NPA affirmant que « l’unité doit d’abord servir aux mobilisations ».

Force est cependant de constater que ce n’est pas ce vers quoi nous dirige ce « plan ». De ce point de vue la mesure sur l’interdiction des licenciements pour les « entreprises qui font du profit » est particulièrement révélatrice de la logique même du plan : alors que Philippe Martinez revendiquait en avril « l’interdiction de tous les licenciements pour quelques motifs que ce soient » dans une lettre adressée à Macron, le plan restreint la mesure aux seules « entreprises qui font du profit ».

Cette contradiction est révélatrice de la logique d’ensemble de ce plan : plutôt que de répondre à l’urgence vitale du monde du travail, les signataires du plan ont en réalité recherché le plus petit dénominateur commun entre les différentes organisations.

Cette logique illustre aussi la dynamique ouverte par la réunion « historique » du mercredi 20 mai où l’ensemble des organisations politiques issues de la gauche. Plusieurs organisations y étaient présentes PS, EELV, LFI, le PCF, Génération.s, Place publique ou encore le NPA. Une réunion que Cécile Duflot, signataire du plan pour l’ONG Oxfam analyse ainsi : « cela tient à la fois à la volonté sincère des personnes dirigeantes, au fait que tout le monde se rend compte qu’on ne peut plus être écolo sans faire de social et inversement, mais aussi à l’idée qu’il faut un débouché politique rapide si on ne veut pas se retrouver avec Le Pen au pouvoir ». Illustration que l’un des fils directeurs de ce « plan » au caractère institutionnel marqué est aussi d’être « compatible » jusqu’à des organisations comme le PS.

Pour un vrai plan d’action dans la lutte

Si le « plan » n’est pas « définitif », la question stratégique semble pourtant déjà tranchée. En somme, « changer de système » passera essentiellement par la voie institutionnelle. Une voie qui n’a pourtant eu cesse de montrer qu’elle est une impasse. A l’opposé, le camp d’en face, le gouvernement et les capitalistes, eux, dessinent jour après jour le « monde d’après » qu’ils nous préparent : durée du travail portée jusque 60h, lois liberticides et surveillance généralisée, licenciements massifs, et maintenant les baisses de salaires sur fond de chantage à l’emploi… En face, donc, ils sont plus que déterminés à ne rien lâcher, tout au contraire, ils veulent nous faire payer leur crise.

Face au plan de classe de la bourgeoisie, une réaction tiède ne suffira pas. Pire, un tel plan peut donner des illusions voir justifier de futurs renoncements. A l’opposé de la voie institutionnelle, les révolutionnaires, à commencer par LO et le NPA, pourraient être à l’initiative d’un pôle « lutte de classe » le plus large possible portant un programme d’action qui s’affronte directement aux intérêts des grands capitalistes.

Un plan d’action transitoire exigeant l’interdiction de tous les licenciements quel qu’en soit le motif, des embauches et un plan d’investissement massif dans la santé et les services publics, des augmentations généralisées de salaires indexées à l’inflation, pour le partage du travail entre toutes et tous, pour la liberté de circulation et d’installation des migrants et sans-papiers, contre le racisme d’Etat et les violences policières, pour l’expropriation sans indemnité ni rachat des banques, pour l’occupation et la mise sous contrôle des travailleurs des entreprises qui ferment et licencient.

Mais pour qu’un tel plan existe, il est de la responsabilité de l’extrême-gauche d’en être à l’initiative. C’est aussi la condition nécessaire pour être à même de dépasser le poids relativement faible de ses organisations actuelles. Un tel pôle pourrait en proposant un plan transitoire ancré dans les luttes actuelles et à venir œuvrer aux dynamiques d’auto-organisation à la base des travailleurs. Et la combativité à la base est déjà à l’ordre du jour. Des travailleurs de la santé, premiers à déconfiner leur colère, et préparant une grande journée de mobilisation nationale le 16 juin, aux travailleurs de Renault, qui face aux licenciements répondent par des journées de grève et d’occupations, jusqu’aux mobilisations massives contre le racisme d’Etat et les violences policières, aux Etats-Unis comme en France.

Si l’« unité » la plus large possible est souhaitable, celle-ci ne peut se faire que dans l’action, sur la base d’un programme favorisant l’auto-organisation à la base des travailleurs. Tout programme d’action doit se nourrir des mobilisations actuelles pour œuvrer à l’unité des travailleurs en lutte. C’est seulement par cette unité d’action à la base sur la base d’objectifs précis de lutte qu’il sera réellement possible d’imposer l’unité des organisations au sommet.

Parallèlement, il s’agirait pour tous ceux qui se réclament d’une perspective révolutionnaire, de débattre et de tester dans la pratique la possibilité de remettre l’extrême gauche à l’offensive et d’avancer vers la construction d’un grand parti révolutionnaire à la hauteur des évènements qui se préparent et de la nécessité urgente d’en finir avec ce système que la crise sanitaire et économique est venue nous rappeler.


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