PSYCHOTIK PARK

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SOURCE : Lundi matin

Le confinement a produit une avalanche de discours et d’imaginaires quant à ce que pourrait ou devrait être “le monde d’après” mais peu de personnes se sont interrogées sur ce qu’il conviendrait (ou conviendra) de faire des “gens d’avant”. C’est ce à quoi s’est attelé Johan Sébastien dans cette nouvelle où entrepreneurs, journalistes, intellectuels de plateaux télé, chefs d’États et CRS sont conservés dans un étrange musée qui emprunte autant aux zoos, qu’à Disnleyland et aux compétitions de MMA.

Figé dans le passé, l’hôpital baignait dans une aura de tristesse qui semblait vouloir s’étendre à toute la rue. Elle restait cependant contenue sur son trottoir, comme retenue par une frontière invisible au-delà de laquelle son cafard n’avait plus prise. Car, de l’autre côté de la rue, les petits immeubles qui se succédaient paraissaient tous plus chaleureux les uns que les autres, débordant de vie, d’odeurs de cuisine généreuse et de voix s’interpelant. Des filins relayaient la plupart des fenêtres à d’autres de maisons voisines, sur lesquels était étendu un linge coloré, offert à l’ensemble de ses habitants comme aux passants. Il y émanait une tranquille bonhomie, prête à se convertir en un joyeux banquet de quartier. Méridien Bardoff avait d’ailleurs remarqué un bon nombre de tables de toutes formes qui, au pied des immeubles, paraissaient attendre l’heure de l’apéro pour s’animer. Il se promit d’y revenir en fin d’après-midi.

Pour l’instant, il marchait tranquillement. De temps à autre, il jetait un coup d’œil vers l’hôpital où, sur une grande pelouse, se dressaient, ici et là, des pavillons d’acier et de verre. Ces édifices ressemblaient à ces immenses tours qui, autrefois, s’élevaient jusqu’au ciel dans les quartiers d’affaire, mais en format réduit, ne dépassant pas les deux étages et les huit mètres d’altitude. C’était des similis tours.

Les enfants l’attendaient à l’entrée, il les salua et se présenta. Il reçu en réponse un brouhaha enthousiaste où se mêlaient les noms de ceux qui se présentaient en retour et des questions sur la journée qui les attendaient. Devant ce tintamarre, il haussa les bras en un signe d’impuissance qui les fit tous rire. Et la petite Myrtille lui prit la main dans un geste protecteur, l’enjoignant du même coup d’avancer pour entrer dans l’hôpital. Le grand Bardoff et la petite Myrtille prirent ainsi la tête de la tumultueuse procession qui s’engouffra dans le parc aux curieux édifices d’antan.

Il y avait là des studios de télévision, des immeubles rutilants, des panneaux lumineux et des écrans gigantesques sur lesquels défilaient en boucle des images saccadées, entrecoupées de phrases absurdes ventant des objets improbables. Tout semblait agressif, comme si édifices et images se jetaient, affamés, sur les visiteurs. Instinctivement, les enfants se regroupèrent autour du rassurant Bardoff. En bon guide, celui-ci tâcha d’expliquer, et les enfants entendirent les mots « publicité », « quartier d’affaires », « centre commercial » sans que ces choses-là devinssent moins menaçantes. Il précisa aussi que l’ensemble de l’hôpital avait été construit grâce aux dons des communes. Il avait même fallu restreindre l’afflux de générosité, les communes étant trop heureuses de se débarrasser de ces matériaux que tous jugeaient d’une laideur insupportable.

Cela remontait aux premiers temps après l’écroulement du régime, lorsque personne ne savait que faire de l’ancien personnel gouvernant. Des psychiatres, y voyant une opportunité de sauver leur discipline menacée de disparaître avec le reste, avaient proposé de les prendre car, disaient-ils, ces élites représentaient un merveilleux éventail de psychopathes, sorte de gens dont la psychiatrie était la raison d’être. L’argument était convaincant et, à défaut d’autres propositions, s’imposa.

La plupart des communes refusèrent cependant de recevoir les psychopathes. Seules celles de tendance trotsko-stalinistes (une appellation que détestaient les intéressés pour des raisons sibyllines qui échappaient aux autres) se montrèrent assez enthousiastes pour concevoir l’aménagement d’un terrain.

Intéressés par cette concentration exceptionnelle de tarés, différentes communes lointaines envoyèrent des délégations de scientifiques venues étudier les spécimens, certaines proposant d’ailleurs des remèdes. Les chamans en particulier organisèrent plusieurs cérémonies de nettoyage. C’est ainsi que des ex-PDG, ex-Ministres, ex-Stars-de-l’Info vomirent en cœur leurs biles, sous les effets de coction d’Ayahuasca ou de San Pedro, accompagnés de sages qui tâchaient de les guider vers leurs centres d’équilibre. Bon nombre de ces ex parvinrent ainsi à chasser l’esprit du capitalisme qui les habitait, se purgèrent du cynisme qui avait dirigé leurs vies et s’engagèrent dans des voies aussi diverses que l’existence. Mais, pour la plupart, il n’y avait pas de sortie, l’envoutement était inexpugnable.

Avec cette concentration de psychopathes, le quartier devint immédiatement le plus mal famé de la cité et bien des communes voulurent y interdire l’accès aux enfants par mesure de protection. Néanmoins les intéressés protestèrent et arguèrent d’un intérêt, de type archéologique, pour ces êtres amenés à disparaître. Ils voulaient voir les vestiges du passé, disaient-ils. Naturellement, les enfants imposèrent leur vue et le pavillon fut ouvert aux visites. D’ailleurs, toujours sur leur impulsion, inspirée d’un vieux film dont ils avaient goûté le frisson spectaculaire de la faune jurassique, le pavillon ressembla moins à l’établissement imaginé par les psychiatres qu’à un parc où les spécimens du monde déchu allaient librement, comme dans leur milieu naturel. Afin de parfaire cette illusion, on bricola les studios de télé et les édifices archaïques, de verre et d’acier, créant un climat propice à l’épanouissement de cette faune.

Dans la première allée de l’hôpital, les enfants restèrent ébahis devant les ex-CRS parqués derrière une matière translucide. Ceux-là courraient de toutes parts, de temps à autre l’un se jetait à terre, d’autres se bouchaient les oreilles de leurs mains, la plupart se frappaient la poitrine et criaient des obscénités, puis se remettaient à courir. Dans leurs courses effrénées, ils se heurtaient sans cesse les uns les autres, ce qui provoquait des invectives et des bagarres. Coups de poing, fronts contre fronts, visages ensanglantés. Les bouches distordues criaient des mots hachés et incompréhensibles.

Interpelés par la présence des enfants, quelques-uns s’approchèrent jusqu’à être retenus par la barrière invisible. Leurs yeux exorbités exprimaient autant de souffrance que de haine, dans une attitude de soumission et de rage. Curieux, les enfants observaient ce chaos avec un détachement qui semblait décupler la hargne des anciens agents de l’ordre. Peu à peu, les premiers furent rejoints par les autres, et tous se concentrèrent à quelques pas des enfants, englués dans la matière pâteuse les emprisonnant, comme statufiés dans leurs gestes d’attaque. Ils formaient ainsi un vaste tableau de corps et visages enchevêtrés, où pouvait se lire toutes les nuances de haine. Les enfants furent un peu impressionnés mais manifestèrent surtout leur déception de voir les spécimens ainsi prisonniers.

Méridien Bardoff expliqua, qu’avec ses compagnons de travail, ils avaient un temps tâché de laisser les poulets à l’air libre. Mais ce n’était pas tenable, ils ruaient sur tout le monde. Distribuer la nourriture devenait impossible car ils attaquaient systématiquement les chariots, pas tant pour manger que pour se vautrer dans la tambouille et se battre entre eux avec les aliments.

Toinou et Bellinda s’éloignèrent du groupe, voulant marcher dans cette tranquille intimité où ils se fondaient quand ils se retrouvaient seuls. Leurs pas les menèrent devant une maisonnette, où ils observèrent les habitants se trouvant sur la terrasse.

C’était le petit coin des philosophes. Monsieur Taisezvous y échangeait des amabilités avec Michel Effraye, tout deux revendiquant une primeur et une antériorité, c’est-à-dire l’auteurité, dans le concept du chasse-bougnoule, une théorie qui avait dominé leur champ pendant plusieurs décennies avant l’écroulement. Chacun s’évertuait à crier une octave plus haute que l’autre, afin de bien établir cette auteurité. Mais ils furent interrompus par les bruits sourds d’une porte frappée à l’intérieur de la maison.

—Mince ! On a encore oublié Beuhleuchèle dans le placard à UV !
— Ho la la, va encore pas être content, la dernière fois sa crinière avait brulé, ce qui avait considérablement réduit son autorité philosophique, il était furieux.

Les deux compères ouvrirent avec précaution le placard mais la porte fut violemment poussée de l’intérieur par Beuhleuchèle qui sortit en criant :

—Muniiiiich ! J’ai tout entendu ! Alors, maintenant, le chasse-bougnoule est à vous !? C’est la meilleure celle-là ! C’est moi, affrontant, cheveux au vent, la botte de fer de la censure totalitariste, qui me dressai, seul, alors que pleuvaient les anathèmes de l’anarcho-nazisme, avançant au milieu des chars de l’islamo-fascisme, évitant les bombes du trotsko-autonomisme. Moi ! Et vous oubliez, chers messieurs, qu’en terme de chasse-bougnoule, je suis parvenu à aller les traquer jusqu’à chez eux, moi, messieurs, Muniiiiich ! C’est tout de même autre chose que de harceler le bikini-à-bougnoule sur la plage de Saint-Tropez.

Penauds, Monsieur Taisezvous et Michel Effraye baissaient le regard, chacun pensant avoir tout de même beaucoup œuvré au chasse-bougnoule mais ne pouvant en disputer l’auteurité à Beuhleuchèle. Celui-ci, sentant son autorité raffermie, en rajouta :

—Muniiich ! Et je vous rappelle, chers collègues, que le livre-télévisuel c’est moi ! Vous seriez quoi sans moi, hein ? Muniiiich !

Il était pénible avec son cri de guerre, avec Beuhleuchèle la Tchécoslovaquie était envahie chaque semaine. Mais il fallait bien reconnaître que c’était efficace. Et il fallait aussi reconnaître que le concept du livre-télévisuel, « publier pour ne pas être lu mais débattu », c’était encore lui. C’était indiscutable, alors ils gardèrent la tête baissée. Michel Effraye essaya tout de même de la relever en revendiquant la paternité de la philosophie du Parquet. Car c’était tout de même lui qui, à bien renifler les draps de Sartre, en avait déduit des éjaculations moralement douteuses. Et il en avait retrouvé des draps ! Ça oui, les draps foutrés de Karl Marx, ceux de la maman à Freud, ceux de Foucault… C’était du boulot, tout de même, et tout cela pour son Tribunal Populaire de Kant, un service de dénonciation catégorique ouvert à tous.

Se tenant toujours par la main, Toinou et Bellissa se regardèrent perplexes :

—Tu as compris quelque chose, toi ?
— Non, rien. Viens on va voir des spécimens plus drôles, paraît qu’il y a aussi des fauves par là-bas.

Les deux enfants s’en allèrent, et les cris « Muniiiich, c’est moi, c’est moi ! » s’estompèrent tandis qu’ils retrouvèrent le groupe d’amis, toujours accompagné du grand Méridien Bardoff. Ils se trouvaient alors devant un politicien blond, habillé d’un costume étroit, qui les interpellaient :

—Hé ! Trou-du-cul ! Vermines ! Bande de rats ! Moins-que-rien ! Vous êtes des riens ! Des petits riens, tire-au-flanc, branquignoles, racailles…

Pédagogue, Méridien Bardoff expliquait en montrant le politicien qui aboyait :

—Voilà un spécimen de ce qui était appelé des “fauves politiques”. Comme vous pouvez l’observer, ils n’avaient ni les habiletés ni la grâce des vrais fauves. Celui-ci traverse une phase ordurière, aussi appelée le “parler-vrai”.

Les enfants écoutaient Méridien en regardant le politicien avec une attention polie. Mais le criard ne suscitait aucun intérêt, si bien que le guide commença à marcher vers une autre partie du parc.

Le silence régnait dans le pavillon des journalistes, les anciennes stars du paf attendaient sur les plateaux de télévision, ils se guettaient les uns les autres, attendaient encore, se regardaient de nouveau, et attendaient encore.

Lorsque les enfants arrivèrent, deux des journalistes se précipitèrent sur eux : « Vous auriez une fiche ? » quémandèrent-il, « Juste une fiche, s’il vous plait ». Méridien Bardoff leur expliqua que ces êtres-là attendaient des consignes pour pouvoir parler, et ils s’animaient lorsqu’ils recevaient des « informations ».

Pour bien faire saisir son propos, Bardoff alluma des téléprompteurs et y envoya un vieux communiqué traînant par là. Tout à coup, les dizaines de journalistes se mirent à lire avec des intonations presque identiques, « Selon nos sources, l’épidémie de varicelle serait en passe de se convertir en… ». Les enfants restèrent un instant stupéfaits par le don de magie de Bardoff, mais celui-ci les invita à essayer. Il leur suffisait d’écrire ce qui leur passait par la tête, et le journaliste l’annoncerait, assura-t-il.

Les essais des enfants donnèrent lieu à de curieuses phrases :

—Selon nos sources, Mercy est si belle que Mélanie s’en trouve troublée.
— Selon nos révélations, Joshua est amoureux de Leyla mais il n’ose pas lui dire, “oh, le menteur, il est amoureux” a déclaré une source proche de Joshua qui préfère garder l’anonymat.
— Après enquête, Myrtille adorerait se câliner avec Leyla et Joshua ensemble.

Les enfants se tordaient de rire à chaque nouvelle « information » qui sortait de la bouche de cet inconnu, journaliste, qui lisait son prompteur avec grand sérieux, comme totalement étranger au contenu qu’il débitait.

Entre temps, Mercy embrassa Mélanie, puis lui susurra à l’oreille qu’elle aussi elle la trouvait belle à en mourir. Pour Leyla, ce fut plus compliqué, car Joshua fit mine de rien. Elle s’énerva et le traita de « journaliste », ce qui fit sortir Joshua de ses gonds, et il se mit aussi à crier, mais finit par admettre qu’il avait été menteur, et ils s’embrassèrent, d’abord sans beaucoup de plaisir, juste pour marquer le coup. La suite est à eux, alors on ne sait pas.

Pour que les enfants comprennent bien les conditions de l’époque déchue, Méridien Bardoff leur proposa de mener une petite expérience. Ils allèrent chercher quelques politiciens, un chef d’entreprise et un préfet de police, et les amenèrent dans le quartier des journalistes. Le cirque qui s’en suivit étonna tellement les enfants que beaucoup crurent à une pièce écrite à l’avance et sur-jouée par de piètres comédiens. Méridien dû leur assurer à plusieurs reprises que non, rien n’était écrit, ils agissaient en fonction de leurs fonctions.

Plateau télé n°1 (Lili Salami reçoit Monsieur Carlos)

—Lili Salami : Alors, vous avez flingué un bon quart de vos employés, dont certains se sont pendus durant les heures de bureau au milieu de leurs collègues qui n’ont rien remarqué, trop occupés et stressés par leur travail. Vous êtes, en quelque sorte, un héros des temps modernes, et tous les enfants rêvent de vous ressembler. Pourriez-vous nous révéler une partie de vos secrets monsieur Carlos ?
— Monsieur Carlos : Oui, bien sûr. Mais, auparavant, voyez mes chaussures, elles sont toutes crottées. Auriez-vous l’amabilité, chère Lili, de les nettoyer ?

Lili, un peu surprise par la requête, n’en oublia pas moins son professionnalisme, et s’agenouilla aux pieds du milliardaire. Aimable, celui-ci lui tendit son mouchoir afin qu’elle lustre le cuir de ses mocassins.

Ensuite, décoiffée et encore étourdie par la tâche, Lili poursuivit l’entretien :

—Et maintenant, monsieur Carlos, racontez-nous, comment fait-on pour tuer autant de monde et pourrir la vie des autres ?
— Non, madame Lili, peut-être la prochaine fois je vous raconterai, si vous vous appliquez mieux. Là, franchement, ça manquait de cœur, et sans cœur, il n’y a ni plaisir ni rendement.
— Oh, merci monsieur Carlos, vous êtes formidable, vous venez de nous offrir une leçon magistrale de management, en direct et en exclusivité.


Plateau télé n°2 (Lili Salami reçoit Napoléon IV Le Minus)

—Lili Salami : Monsieur Minus, clairement l’entreprise souffre dans ce pays de réglementations hors d’âge. Je ne prends qu’un exemple, monsieur Carlos est littéralement persécuté par des hordes de populistes, lynché sur la place publique, tout cela parce que son entreprise se porte comme un charme. Vous, Minus, que l’on disait attentif aux vrais problèmes, qu’allez-vous faire à ce propos ?
— Napo-Minus : Chère madame Salami, ce n’est un secret pour personne, ce pays est en effet rétif au travail. Il y voit une pénibilité, là où le reste du monde conçoit un épanouissement. C’est pourquoi nous menons une révolution culturelle, nous sommes les maoïstes de l’entreprise, car celle-ci doit être le cadre de l’éducation au même titre que les camps chinois de rééducation. C’est un homme nouveau qui surgira demain, délaissé des scories du socialisme et de l’empathie qui ont, toujours, écoutez-moi bien madame Salami, je dis bien TOUJOURS, régi les rapports sociaux. C’est une révolution anthropologique qu’il nous faut mener. Et, courageusement, nous l’imposons.
— Salami : Oui, bon, mais en dehors de votre langue de bois légendaire, qu’est-ce-que vous comptez faire pour monsieur Carlos ?
— Napo-Minus : Ce n’est pas une langue de bois, c’est une révolution ANTHROPOLOGIQUE, madame Salami. Les êtres humains seront libérés de tous les liens affectifs à l’humanité, aux animaux, au sol, à l’habitat, à leurs proches, à l’eau, à la terre et à la Terre, ils ne pourront concevoir d’autre amour que celui du rendement de leur entreprise-être.
— Salami : Ça suffit ! Je vous ai posé une question, quel sera le sort de monsieur Carlos ?
— Napo-Minus : Mais enfin, madame Salami, vous savez bien que toutes les dispositions ont été prises pour éviter à monsieur Carlos le moindre désagrément. Tenez, pour vous rassurer, je vous annonce que nous avons envoyé, en masse, des forces de l’ordre afin que les hargneux cessent immédiatement leur contestation. Nous sommes en démocratie, madame Salami, il va donc de soi que nous ne tolérerons jamais que le génie de l’entreprise soit entravé de quelque façon que ce soit. Et, législativement, je vous annonce une loi qui punira les proches des employés suicidés sur leur lieu de travail, cela devrait les inciter à en finir ailleurs.

Plateau télé n°3 (Lili Salami reçoit le préfet Groß-Paris)

—Lili Salami : Bonjour monsieur le préfet. Vous avez reçu de nombreuses critiques pour la violence des forces de l’ordre dans la gestion de la contestation qui a embrasé l’entreprise de monsieur Carlos. Est-ce le résultat d’une nouvelle stratégie du maintien de l’ordre ?
— Groß-Paris : Nous ne sommes pas dans le même camp, madame.
— Lili Salami : Merci monsieur le préfet

Les enfants étaient fascinés par ce show et tâchaient d’imaginer un monde où une telle farce aurait des incidences sur la vie. Il leur semblait mieux comprendre les silences obstinés des anciens lorsqu’ils les interrogeaient sur cette période. Probablement les adultes ressentaient honte, dégout et humiliation pour ces années-là. La plupart des enfants en conçurent plus de tendresse pour les vieux ; d’autres sentirent leur mépris croître pour des personnes ayant pu accepter de telles abjections.

Mais tous n’étaient qu’au début de leur surprise. Car bientôt la scène se transforma en une foire d’empoigne défiant l’entendement, avec l’arrivée au pas de course des philosophes, qui se jetèrent au milieu des plateaux télé. Ils agrippaient les journalistes et les secouaient jusqu’à ce que ceux-ci leurs posent des questions décousues, auxquels ils répondaient par des cris stridents : « Musliiim ! » « Muniiiiiich ! ». Interpelé par un tel capharnaüm, l’homme d’ordre qu’était monsieur le préfet Groß-Paris réagit en sonnant la charge et, oubliant qu’il était dépourvu de troupe, partit tout seul casser tout ce qu’il pût. Etre malingre flottant dans son uniforme, il rebondissait sur les autres, philosophes et journalistes, mais ne s’avouait pas pour autant vaincu et repartait à la charge. Un politicien tâcha de le calmer, en lui rappelant qu’il était au service de la République et, donc, à ses ordres. Ce à quoi le préfet répondit que c’était l’inverse, que le politicien se maintenait qu’à la condition que la république existât, or la république c’était le préfet de police
. Cela dit, il fonça à nouveau, s’empêtra les pieds dans des câbles, ce qui fit valdinguer tout le décor et provoqua la panique générale. Monsieur Carlos qui observait tranquillement la scène, jugea qu’il était temps d’intervenir. Il s’approcha, frappa des mains deux brèves claques et tous, journalistes, politiciens, philosophes et préfet vinrent se lover à ses pieds.

Bouche bée, les enfants se retournèrent progressivement vers Méridien, dans l’attente d’une explication. Mais celui-ci ne put que hausser les épaules avec un sourire désolé. L’abîme n’avait pas la moindre explication. Ils s’en allèrent tous boire une grenadine, emmenant Méridien avec eux, ravis d’oublier ce parc des souffrances passées.

Johan Sébastien (merci Lola !)


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