Xi Jinping et «l’économie de marché socialiste», par J.Cl.Delaunay

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Blog de Danielle Bleitrach

Le débat n’est pas limité en nombre d’intervenants, il est très suivi je puis te l’assurer Jean-Claude, moi qui ai le nombre de lecteurs, ce sont plusieurs milliers tant en France que dans le monde qui s’y intéressent. Mais comme chacun sait pour moi l’essentiel n’est jamais dans l’audience du blog, mais bien dans l’écho qu’il provoque dans les organisations, le PCF, les syndicats, les associations. Comme je le dis souvent quand il arrive que le blog frôle les 70.000 lecteurs journaliers je m’inquiète sur la stupidité que nous avons laissé passer, atteindre une moyenne de 10.000 journaliers est la limite de la crédibilité et voir des articles difficiles, qui réclament réflexion susciter cette dizaine de milliers est une victoire pas de l’audience, de l’exigence qui doit être celle des militants: travailler, travailler, encore travailler disait Lénine. Donc travaillons ensemble sur le socialisme à la lumière de ce que fait la Chine et de ce que nous pourrions… Je milite également pour arrêter non seulement la course à l’audience des blogs qui ont les mêmes combats que le nôtre mais aussi la fin des concurrences et au contraire le relais des débats, des informations et des thèmes entre-nous. L’apport essentiel de ces blogs est de convaincre les militants premièrement que le socialisme est à l’ordre du jour et deuxièmement que la confrontation des expériences est indispensable. Le virtuel doit être au service du réel et non l’inverse. Merci donc à ceux qui contribuent à ce qu’il en soit ainsi (note de Danielle Bleitrach).

Encore une fois, je trouve que le débat daté du 1er juillet 2020, était sans doute limité en nombre de participants (3 personnes) mais intellectuellement très intéressant et politiquement constructif. Rony Mondestin a sans doute raison de dire que la définition que j’ai donnée de “l’économie de marché socialiste” en Chine, était «polémiste». Cela dit, Daniel Arias a évoqué des faits qui devraient mieux orienter sa réflexion. D’autant que je n’avais pas cherché à définir ce terme. Ma réaction avait été seulement motivée par le fait qu’en 4 ans (entre 1989 et 1992) l’histoire du monde s’était, à mon avis, redessinée, avec ses illusions et ses fantaisies. C’est du moins mon interprétation. Et dans ce dessin, il m’a semblé que le concept d’économie de marché socialiste tenait une grande place. Je pense que c’est une innovation théorique de premier plan au sein de ce qu’on appelle la théorie marxiste. Nous n’avons pas fini d’en débattre. J’avais donc juste donné une interprétation très large de ce concept. Je souhaite poursuivre ce débat et être plus précis. Je me propose, aujourd’hui, de dire quelques mots sur le premier des 2 poins suivants.

1) Une indication de la façon dont Xi Jinping parle de l’économie de marché socialiste
2) Quelques remarques personnelles sur ce terme. J’ai commencé de l’évoquer dans le bouquin que j’ai écrit sur “Les trajectoires chinoises”.

J’interviendrai ensuite, dans quelques jours, si Danièle Bleitrach le veut bien, sur le deuxième point.

Celles et ceux qui liront ce texte comprendront que je ne me mets absolument pas sur le même plan que Xi Jinping ou que ses collaborateurs, par exemple Wang Yi, ministre des affaires étrangères en Chine depuis 2013. Ce sont des hommes politiques de très grande classe. La Chine a de la chance d’être servie et représentée par des personnes de ce niveau et de cette qualité. Oui, mais la Chine est un pays socialiste!

Danièle Bleitrach est intervenue plusieurs fois sur ce site à propos d’un livre, signé Xi Jinping, intitulé “Construisons une communauté de destin pour l’humanité”. J’en ai moi-même parlé en diverses occasions. C’est un gros livre (627 pages) politiquement très important. C’est un ensemble de discours de Xi Jinping, prononcés entre 2013 et 2018, traduits en français et publiés en 2019. A la fin de ce livre figure un index. Le terme d’“économie de marché socialiste” est dans la liste des mots qui concrétisent cet index. Les pages de référence associées à ce terme sont : 114, 271, 313, 587. En parcourant ces références, je n’ai pas trouvé de définition de l’économie de marché socialiste. Cela dit, j’en ai tiré quelques remarques que je crois significatives.

Par exemple, p.114, l’idée selon laquelle l’économie de marché socialiste est l’une des 5 composantes essentielles du socialisme à la chinoise et peut-être du socialisme. Ces composantes sont, dans l’ordre : l’économie de marché socialiste, une vraie démocratie, une culture avancée, une société harmonieuse, une civilisation respectueuse de la nature. Cette liste est reprise p.313. Que proposerions-nous à nos compatriotes, nous communistes, si nous leur parlions du socialisme? Reprendrions-nous la même liste?

Je me rends à la page 270 et sq. et là, je peux lire certaines des déclinaisons de l’économie de marché socialiste en Chine. Par exemple : “Nous poursuivons les réformes destinées à lier davantage le taux de change du yuan au jeu de l’offre et de la demande… les dévaluations compétitives et la guerre des monnaies ne sont pas notre tasse de thé” (271). L’économie de marché socialiste est donc une économie monétaire. Cette économie est plongée dans le marché mondial, qu’il s’agisse du marché des marchandises réelles ou de celui des marchandises financières. Si on lit ces discours de manière rapide et superficielle, on peut se dire : Mais en quoi ce type de marché diffère-t-il du marché d’un pays capitaliste?

Moi, je crois que la différence est énorme. Mais Xi Jinping n’est pas en train de faire un cours sur l’économie de marché socialiste. En tout cas, j’en tire l’indication que, si nous réfléchissons au socialisme pour la France et à la forme particulière d’économie de marché socialiste qui devra caractériser notre économie, ce n’est pas pour isoler la France du reste du monde. Le socialisme, ce n’est pas l’isolement. C’est une autre façon que celle des impérialistes d’être en rapport avec le reste du monde.

Enfin, page 590 et suivantes, est exposée ce que peut signifier la construction d’une communauté de destins. Par exemple : “Dans un monde animé par une aspiration universelle à la paix et au développement, la mentalité de la guerre froide et la pensée à somme nulle sont d’autant plus obsolètes”, ou bien encore “Pour aller de l’avant, nous devons nous traiter les uns les autres avec respect et en égaux. Nous devons respecter les cinq principes de coexistence pacifique… Pour aller de l’avant, nous devons relever collectivement les défis et coopérer pour obtenir des résultats gagnant-gagnant”? Voilà un sacré programme! Avec nos voisins d’Afrique, par exemple, le socialisme en France ne va pas consister à poursuivre les relations colonialistes de la France-Afrique. Il va consister à établir, dans la négociation et le respect mutuel, des relations de type gagnant-gagnant. C’est intéressant, non?

Mais je reviens maintenant au texte des discours de Xi Jinping. Je crois que la lecture de ces textes conduira peut-être à penser que “l’économie de marché socialiste” est, pour la Chine et son peuple, une façon de dire au monde entier, les paroles que voici et que je viens d’inventer :
“Nous, Chinois, nous ne sommes pas des monstres ou des martiens. Nous sommes, comme vous, des êtres humains qui aspirons à la paix et à l’harmonie. Notre société est ouverte, culturellement et économiquement et nous utilisons les capitaux financiers qui veulent bien s’investir chez nous. Nous avons la préoccupation réelle de la nature et de sa préservation comme celle du bien-être des populations. Par conséquent, négocions. Trouvons des solutions pacifiques à tous nos problèmes. Ne nous faisons surtout pas la guerre. Coopérons. Nous sommes une économie de marché socialiste. Cela veut dire que nous ne vous agressons pas. Nous échangeons avec vous des marchandises, des idées, des savoir-faire. Certes, notre société est peut-être différente de la vôtre. Elle a des caractéristiques chinoises. Mais nous confrontons nos points de vue. Nous ne les imposons pas”.

Je crois (c’est une hypothèse d’école) que quand la France deviendra socialiste, au sens marxiste et léniniste du terme, nous aurons non seulement à faire alliance avec la Chine, mais à prononcer de semblables paroles. Il fut une époque, celle marquée par la personnalité de Staline, et ce ne fut pas sa faute, au cours de laquelle le socialisme est apparu comme l’expression d’une contre-société du capitalisme. Nous vivons une autre période. Le socialisme n’est pas une contre-société. C’est à chaque peuple de faire les choix qui lui conviennent. Le socialisme, c’est une autre société. Je ne suis pas du tout certain que les dirigeants des autres pays capitalistes l’entendront de cette oreille.

D’une certaine manière, le concept d’économie de marché socialiste, qui est une composante importante du concept de socialisme, semble reprendre à son compte l’idéologie pacifique que développèrent les élites économiques du 18ème siècle, en France notamment, relativement au commerce. L’idéologie de l’économie de marché socialiste, ce serait, en quelque sorte, l’idéologie du “doux commerce” associée à l’idéologie de “la douce économie de marché”.

Oui, mais dira-t-on peut-être, tout ça, ce sont des discours, ce sont des paroles, comme dit la chanson de Dalida. De manière plus concise, on pourra dire que c’est du baratin. Je vous propose de reprendre cette discussion dans quelques jours. Jean-Claude Delaunay.


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