Contrastes et leçons asiatiques

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : NPA

L’évolution de la pandémie est particulièrement contrastée en Asie où il est beaucoup plus difficile de comparer situations et politiques nationales qu’en Europe. Nous pouvons cependant tenter de dégager quelques lignes de réflexion, nécessairement parcellaires.

La dynamique nationale de l’épidémie varie considérablement au sein même des grands ensembles que sont l’Asie du Sud, l’Asie du Sud-Est et l’Extrême-Orient. Dans chacune de ces régions, des États ont contenu la pandémie, parfois remarquablement, ou ont failli, souvent dramatiquement. L’épidémie est notamment en plein développement en Indonésie (75 699 infections officiellement recensées, mais sous-évaluées, et 3 606 décès). Pourquoi de telles différences ?

Mesures radicales

Un premier élément de réponse concerne la rapidité avec laquelle les autorités ont réagi. Plus le délai a été important et plus l’épidémie est devenue virulente. Ce fut évidemment le cas en Chine, foyer initial, ce qui a ouvert la porte à la pandémie. Pékin porte ici une très lourde responsabilité, mais il n’est pas le seul. La pandémie a d’abord atteint l’Europe qui en est longtemps devenue le foyer principal. La plupart des États européens ont à leur tour réagi avec retard et, grâce à ce relais, la pandémie s’est diffusée dans les autres continents avec une puissance démultipliée par la densité des échanges propres à la mondialisation capitaliste.

Des pays qui ont pris des mesures radicales sans tarder ont pu contenir, voire éradiquer l’épidémie (et n’ont pas contribué à diffuser la pandémie). C’est notamment le cas du Vietnam avec 372 cas recensés, aucun décès et aucune nouvelle contamination pendant plusieurs semaines (quelques nouveaux cas journaliers actuellement). C’est aussi le cas de Taïwan avec 449 cas recensés et sept décès. La Thaïlande compte 3 220 contaminéEs, dont 58 décès ; surtout, il n’y a aucune nouvelle contamination pendant plus de 45 jours (là aussi quelques nouveaux cas journaliers actuellement).

Comparons les taux de mortalité en Asie : 0,0 pour 100 000 habitantEs au Vietnam, 0,03 à Taiwan, 0,08 en Thaïlande, 0,33 en Chine, 0,39 en Malaisie, 0,46 à Singapour, 0,56 en Corée du Sud.En Europe : 10,50 au Danemark, 10,94 en Allemagne, 16,09 au Portugal, 23,11 en Suisse, 35,73 aux Pays-Bas, 35,97 en Irlande, 44,80 en France, 54,27 en Suède, 57,83 en Italie, 60,79 en Espagne, 67,50 en Grande-Bretagne et 85,64 en Belgique. Même en tenant compte des biais liés à la qualité des enquêtes épidémiologiques et de l’information officielle, ces chiffres sont parlants et le travail de suivi assuré par l’université Johns Hopkins fournit des références.

« Effet de loupe »

Autre point remarquable, le rôle joué par le modèle sanitaire de base. Les capacités de soins en réanimation d’un pays comme le Vietnam sont très faibles et pourtant, malgré des risques très élevés (échanges avec la Chine voisine), il présente le meilleur bilan. En effet, les mesures préventives de base ne sont pas complexes : tests, isolation des individus contaminés, suivi des personnes avec qui ils ont été en contact, masques, lavage de mains, désinfection. Au Sri Lanka, il n’y a eu pour l’heure « que » 11 décès pour 2 617 contaminations recensées. Cela s’explique par le fait que subsiste encore un système de santé publique très développé, malheureusement attaqué par les politiques néolibérales. Dans les pays qui ont jugulés ou contenu efficacement l’épidémie, les autorités publiques sont intervenues de façon cohérente, souvent en mobilisant des réseaux sociaux pour la mise en œuvre des politiques sanitaires – que ce soit le fait des gouvernements ou d’administrations agissant de façon plus ou moins autonome des pouvoirs politiques (le cas étonnant de la Thaïlande).

Le Covid a un « effet de loupe » : il met en lumière des réalités derrière les apparences. La France n’est plus une puissance, mais un pays impérialiste dépendant doté d’un régime autoritaire qui se refuse à associer des représentants des soignéEs et soignantEs à l’élaboration ou la mise en œuvre de sa politique sanitaire. Plus généralement, l’Occident n’est plus le mètre étalon du monde, y compris dans le domaine médical. Plus que jamais, une vision européocentrée conduit à des erreurs de jugement désastreuses. Quand nos gouvernants ont-ils réalisé que la pandémie représentait un danger ? Quand l’Italie a été frappée ; ils sont restés aveugles à ce qui se passait en Asie. Ont-ils cherché à apprendre des expériences asiatiques ? Ils les ont surtout dénigrées.

Le problème ne date pas d’aujourd’hui, comme le relève Pascale Brudon, qui représentait l’Organisation mondiale de la santé au Vietnam lors de l’irruption du Sras de 2003. À cette époque, l’OMS jouait encore un rôle de coordination internationale efficace et de nombreuses équipes nationales sont venues sur place aider et apprendre de cette crise… mais quasiment personne de France. Interviewée par Mediapart (le 6 avril 2020), elle se déclarait « effarée par la manière dont les dispositifs de santé publique ont dysfonctionné [en France], alors qu’on a déjà connu des épidémies importantes. Lorsque l’OMS a sorti fin janvier la liste de l’augmentation des cas pays par pays, il était encore temps de réagir. Il y a vraiment eu des signaux qui n’ont pas été entendus. »

Risques de rebond

Là où l’épidémie n’est pas éradiquée, le risque d’un rebond existe. La Corée du Sud vient d’en faire la douloureuse expérience. Les Sud-Coréens ont en effet décidé de passer leurs vacances dans leur pays, plutôt que de voyager à l’étranger… et le virus s’est à nouveau propagé. Tant que la pandémie mondiale n’est pas jugulée et que l’on ne possède ni traitement efficace ni vaccin, le risque de reprise des épidémies existe, même là où elle a été jugulée.

La pandémie ne peut être combattue qu’à l’échelle mondiale. Or, Trump veut, au nom de l’unilatéralisme, porter le coup de grâce en s’en retirant à une OMS déjà otage des conflits de puissances. L’épicentre du conflit géopolitique entre Pékin et Washington se situe dans le théâtre d’opérations Indo-Pacifique où chaque État est sommé de choisir son camp. Ainsi, l’Australie a décidé de faire barrière à la Chine. Nous n’allons pas vers plus de coopération, mais plus de tensions, en Asie tout particulièrement. De quoi faire le bonheur de la pandémie !


Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut