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SOURCE : A l'encontre
Par Igor Derysh
L’USPS (U.S. Postal Service) envisage de réduire ses services et de fermer des sites. En effet, selon un sénateur américain et de nombreux responsables des syndicats de postiers, le service postal états-unien affronte une crise de trésorerie dramatique à la veille de l’augmentation du vote par correspondance qu’entraînera la pandémie de coronavirus.
Le sénateur démocrate Joe Manchin (Virginie-Occidentale) vient d’écrire au tout nouveau ministre des Postes, Louis DeJoy, afin qu’il commente les rapports annonçant d’imminentes fermetures et des coupures du service postal dans son État. Selon une note qu’a diffusée l’Associated Press, les inquiétudes se sont multipliées après que Louis DeJoy, un important donateur de Trump, a repris la direction de l’USPS, le mois dernier, en préconisant des mesures drastiques de réduction des coûts.
La lettre de Joe Manchin évoquait les informations selon lesquelles «la fermeture imminente de nombreux bureaux de poste ou une réduction significative de leurs horaires d’ouverture sont prévues dans mon Etat et dans le pays tout entier […]».
Certains bureaux de poste de Virginie-Occidentale ont affiché des pancartes annonçant leur fermeture à la fin du mois d’août, a-t-il écrit.
Un responsable du syndicat des postiers de Virginie-Occidentale a corroboré les rapports reçus par Joe Manchin. Il montre que dans une seule des régions de l’Etat, 26 bureaux devront réduire le service à moins de quatre heures par jour, et que des réductions de service interviendront sur 31 autres sites.
«Une bonne partie de ces éléments nous ont été assénés sans véritable information», selon Elizabeth Coonan, déléguée syndicale de la section 3264 de l’American Postal Workers Union à Clarksburg, à Vice News, «les heures de fermeture qu’ils prévoient sont précisément celles où [les bureaux] travaillent le plus.»
Un responsable du syndicat du New Jersey a déclaré à la radio que 40 bureaux de poste de l’Etat subiraient des réductions. Des bureaux de poste en Alaska, en Californie, en Ohio et au Tennessee ont également annoncé des plans de réduction des horaires d’ouverture, selon Vice News.
«De telles mesures constitueraient probablement une violation de la loi fédérale» et des règlements de l’USPS, a écrit Joe Manchin en exigeant une liste précise des modifications qu’a introduites Louis DeJoy depuis son entrée en fonction.
«Il est tout simplement absurde de penser pouvoir arrêter quelque chose, ou le ralentir s’agissant de la pandémie, alors que la bouée de sauvetage du scrutin et de la démocratie sera entre les mains du service postal», a déclaré Joe Manchin à l’AP mercredi 29 août.
Mark Dimondstein [1], dirigeant de l’American Postal Workers Union et de ses 200’000 salarié·e·s et retraité·e·s, a déclaré au micro que l’annonce de fermetures imminentes sans plus de précisions faisait «un sacré buzz».
En début de semaine, un communiqué de Louis DeJoy annonçait que l’USPS ne pourrait pas continuer à fonctionner de la même manière. L’USPS a signalé une perte de 4,5 milliards de dollars au premier trimestre, mais a vu ses revenus augmenter légèrement au deuxième trimestre, au milieu de la crise des coronavirus.
«En raison de baisses substantielles du volume du courrier et d’un modèle commercial obsolète, le service postal est dans une position financière insoutenable», a déclaré Louis DeJoy. «Avec nos sources de financement actuelles nous ne sommes pas en mesure d’équilibrer nos coûts de façon à satisfaire à la fois notre mission de service universel et nos autres obligations légales. Voilà pourquoi, l’USPS a subi plus d’une décennie de pertes financières. Faute de pouvoir y mettre fin, nous sommes confrontés à une crise de liquidité imminente.»
Selon le communiqué de Louis DeJoy la situation exige «du service postal qu’il jette un regard neuf sur ses opérations et procède aux ajustements nécessaires».
«La conclusion est logique, il va essayer de fermer des bureaux de poste», a déclaré Mark Dimondstein à l’AP.
Le courrier de Joe Manchin rappelait que le Congrès a approuvé jusqu’à 10 milliards de dollars pour aider à renflouer l’USPS. «Malheureusement, a-t-il écrit, non seulement ce financement n’a pour ainsi dire pas été utilisé, mais vous proposez maintenant les coupes mêmes que nous avons cherché à éviter avec cette ligne de crédit d’urgence.»
Le département du Trésor [2] a annoncé mercredi 29 juillet avoir conclu un accord avec l’USPS sur les conditions de ses prêts, mais que l’agence pouvait continuer de fonctionner sans y recourir.
«L’USPS étant en mesure de financer pour le moment ses dépenses d’exploitation sans emprunt supplémentaire, nous sommes heureux d’avoir conclu un accord sur les termes et les conditions matérielles d’un prêt pour le cas où le besoin s’en ferait sentir», a déclaré par voie de communiqué le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin [ancien cadre de Goldman Sachs]. «Je me réjouis de continuer à travailler avec Louis DeJoy, le directeur général des Postes, pour atteindre l’objectif que s’est fixé le président: établir un modèle commercial durable afin que l’USPS puisse continuer à fournir à tous les Américains le service postal dont ils ont besoin, sans transfert de charge aux contribuables.»
Dirigée par les démocrates, la Chambre des représentants, avertie par l’USPS de pertes qui pourraient croître de 22 milliards de dollars au cours des 18 prochains mois, a approuvé l’attribution d’une aide supplémentaire de 25 milliards de dollars en sa faveur dans le cadre du paquet «HEROES Act» de 3000 milliards de dollars de mai 2020. Cette semaine toutefois, Mitch McConnell, sénateur du Kentucky et porte-parole de la majorité républicaine dominant le Sénat, a présenté une contre-proposition qui exclut toute aide financière à la Poste.
Donald Trump, a fréquemment critiqué l’USPS pour ses difficultés budgétaires. Récemment il a cherché à faire douter de la capacité de l’USPS à gérer le vote par correspondance. Déployant un complotisme décomplexé il a allégué la possibilité de fraudes et son opposition à cette procédure de vote. Les bulletins de vote par correspondance ont un taux de fraude d’environ 0,00006% [3].
En prenant appui sur ses craintes infondées de fraude, le président a suggéré, jeudi 30 juillet, le report des élections. Il n’a aucun pouvoir pour en déplacer la date. Le Congrès, qui en dispose, semble n’avoir aucune envie d’un tel report.
Les partisans du vote par correspondance ont fait part de leurs inquiétudes concernant les plans de Luis DeJoy pour un «pivot opérationnel», ils pourraient ralentir la distribution du courrier à la veille d’une élection où, en raison de la pandémie, un nombre record de votes par correspondance est attendu.
«Alors que de tels changements auraient des effets considérables au cours d’une année normale, dans une année d’élection présidentielle, où de nombreux Etats dépendent fortement du vote par correspondance, augmenter le délai de distribution du courrier nuirait à la réception des bulletins et à leur décompte en temps opportun. Une telle situation affecterait de façon inacceptable la tenue d’élections libres et équitables», a écrit (à Louis DeJoy) Carolyn Maloney, députée démocrate du 12e district de l’Etat de New York, présidente du comité de surveillance et de réforme de la Chambre.
Au cours du mois de juillet, des organismes de surveillance des institutions ont attiré l’attention sur le fait que la nomination de Louis DeJoy pouvait «corrompre une institution clé à la veille des élections». «Tout au long de sa présidence, Donald Trump a attaqué les institutions démocratiques et sapé les agences indépendantes. Aujourd’hui, où des millions d’électrices et d’électeurs comptent sur la contribution de la Poste pour assurer le bon déroulement de nos élections pendant la pandémie de coronavirus, Trump politise à nouveau une agence gouvernementale, autrefois non partisane. Un de ses partisans comme Louis DeJoy à la tête de la Poste fait problème pour des raisons éthiques et de compétence, et met potentiellement en péril l’élection de novembre», ont écrit dans un éditorial conjoint sur NBC News Donald K. Sherman, directeur adjoint de Citizens for Responsibility and Ethics à Washington, et Sylvia Albert, directrice du vote et des élections à Common Cause.
«Introniser Louis DeJoy, un de ses fidèles, est un nouveau truc de Trump pour saper la Poste et empêcher les élections de 2020», ont-ils ajouté. «Une nouvelle tentative désespérée, et potentiellement dangereuse de saboter les élections générales au moment où les sondages rendent compte de son constant déclin.» (Article publié sur le site Truthout en date du 31 juillet 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
Igor Derysh, politologue établi à New York. Ses travaux sont publiés dans le Los Angeles Times, le Chicago Tribune, le Boston Herald et le Baltimore Sun.
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[1] A l’Encontre a publié le 20 avril 2020 un entretien avec Mark Dimonstein, «Etats-Unis. L’United States Postal Office peut mourir ces prochains mois. Une lutte se profile». Le syndicaliste exposait déjà les conditions difficiles de l’USPS, parmi les victimes les plus lourdement atteintes par la crise financière due au coronavirus. Le service postale manquera littéralement de l’argent nécessaire à son fonctionnement sans un rapide plan de sauvetage par le gouvernement fédéral. Avec une grande partie des républicains, l’administration Trump veut couper dans le service postal, le privatiser. (Réd.)
[2] Le ministère des Finances. Le Secrétaire au Trésor est le ministre des Finances.
[3] Le New York Times a rendu compte, le 7 juin 2020, d’une étude réalisée par des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie et de l’Université de Tulane. Elle rappelle que «les chercheurs savent bien pourquoi aux États-Unis les dépouillements tardifs favorisent de manière disproportionnée les démocrates: les jeunes électeurs et les non-Blancs sont plus susceptibles de voter par correspondance, (…) et donc plus susceptibles d’être décomptés le lendemain du jour du scrutin». (Réd.)